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Alpha 'Les chants de la terre' ALPHA511
2003
01 - Yedidi Hashakhakhta [7:15]
Mon bien-aimé, as-tu oublié?
02 - Nani, nani [5:37]
03 - Ya viene el cativo [3:19]
Il vient le captif
04 - Durme querido hijico [4:19]
Dors, mon petit chéri
05 - Teromen Bat Rama [3:13]
Relève la fille noble
06 - Ya shadill el khan -Tsour Maguinenou [3:06]
Toi le chanteur de chansons dans la caravane - Ô rocher, notre
bouclier
07 - Alta alta es la luna [3:47]
Haute, si haute est la lune...
08 - Yedid nefesh [4:21]
Amant de mon âme
09 - Moshe [5:38]
Moïse
10 - Shaar, petakh dodi [4:05]
Ouvre la porte, mon bien-aimé
11 - Shekhora ani [2:40]
Brune je suis
12 - Shalom leven-dodi [5:29]
Bienvenue à mon bien-aimé
13 - Veeda ma [2:54]
Ainsi je saurais
Meirav Ben David-Harel, chant, percussion, chifonie
Yaïr Harel, chant & percussion
Nima Ben David, viole de gambe
Michèle Claude, percussion
Enregistré en juillet 2003 en la Chapelle de
l’hôpital Notre-Dame du Bon Secours à Paris
Prise de son & montage numérique: Hugues Deschaux
Les musiques juives
et les chemins de l’exil
La musique et la religion sont unies par une quantité
innombrable de liens réciproques. Divers aspects de cette
influence mutuelle ont imprimé leurs marques sur la musique
juive de l’Antiquité à nos jours.
L’infiltration au sein de la musique sacrée des airs
populaires et profanes provenant de l’environnement non juif fut
facilitée par le désir naturel d’augmenter
l’impact émotionnel des prières en leur adjoignant
une dimension musicale.
Le terme sefardim désigne les juifs qui vivaient dans la
péninsule ibérique jusqu’à leur expulsion
d’Espagne en 1492 et du Portugal en 1497. Après la
publication de l’Édit d'expulsion, ils s'exilèrent
en grande majorité dans les pays méditerranéens
voisins de l'Afrique du Nord (à Tétouan, Tanger, Tlemcen,
Oran et plus particulièrement dans l'Empire Ottoman (à
Istanbul, Salonique, Izmir, Edirne, Rhodes, Safed) emportant avec eux
une langue et une culture qu’ils allaient conserver jalousement.
Comme pour chaque communauté itinérante ou pour les
grandes diasporas, la musique judéo-espagnole s'est
constituée suivant une stratégie que l'on pourrait
appeler de «l’emprunt ponctuel», puisqu'elle adopte
temporairement des modèles types et les systèmes musicaux
des cultures d'accueil. On peut considérer que,
éloignés de leur source originelle, les Juifs
créatifs ont inévitablement été
influencés par leur nouvel environnement dans les
contrées de la dispersion. À cette phase
«d’imprégnation» a succédé une
phase «d’émancipation»: le répertoire
musical des communautés juives des Balkans et de la
Méditerranée orientale s'est mis à diverger peu
à peu de celui des Juifs du Maroc, lesquels maintenaient des
rapports étroits avec l'Espagne.
Les chants judéo-espagnols
Les juifs expulsés d'Espagne constituaient une population
hétérogène: ils venaient des différents
centres du judaïsme espagnol, chacun étant marqué
par son propre style poétique et sa tradition spécifique.
Tandis que les Cantigas de Santa Maria (XIIe siècle) et
des collections analogues fournissent bien des informations sur la
tradition musicale de la péninsule, nous supposons seulement que
la musique profane hispano-judaïque ressemblait à celle des
musulmans et chrétiens hispaniques. Il n’existe aucune
donnée certaine permettant de tirer des conclusions sur la
tradition musicale sous-jacente au romancero
judéo-espagnol.
Tout au long de ces cinq siècles d’exils, la culture
judéo-espagnole a été exposée à de
nombreuses influences des pays traversés et des terres
d'accueil. La musique judéo-espagnole se présente comme
une mosaïque où le sacré coexiste avec le profane,
les thèmes juifs avec les thèmes communs à toute
l’humanité, l’Orient comme l’Occident,
l’ancien avec le nouveau. Ces chants d’exil
s’exprimaient en langue judéo-espagnole nommée djudyo
au Levant et haketiya au Maghreb. Cette langue s'est
différenciée de la langue d'origine par une série
d'emprunts aux langues des pays d'accueil, tout en gardant des aspects
archaïques de l'espagnol péninsulaire.
Véritable patrimoine, le cancionero
judéo-espagnol était transmis par les femmes, de
génération en génération, dans
l’espace de la vie quotidienne et du foyer.
Le chant sacré était interprété par les
hommes dans les synagogues, selon des makams (modes)
arabo-andalous ou ottomans, en hébreu ou en ladino (traduction
mot à mot de l’hébreu en judéo-espagnol). On
lisait la Torah dans le mode segah, on chantait dans le mode
joyeux ajam nawruz lors du Shabbat Shirah, Simha Torah ou
à l’occasion des mariages, le mode hijaz
était utilisé pour la commémoration de la
destruction du temple et pour les funérailles, le mode saba
pour les circoncisions.
Cependant, si nombre de traits principalement mélodiques
témoignent de l’orientalisation du chant
judéo-espagnol, celui-ci conserve des caractéristiques
qui indiquent son origine européenne comme la métrique
syllabique (alors qu’en Orient on privilégie la
métrique classique arabe aruz, basée sur
l’organisation des syllabes longues et brèves) ou encore
strophique bâtie sur le modèle des romances espagnoles et
des villancicos médiévaux.
Romances, coplas et kantigas
Les chants interprétés représentent les principaux
genres du répertoire judéo-espagnol: romances
(ballades médiévales), coplas (chants à
caractère religieux hébraïques) et kantigas
(chants de la vie quotidienne).
La romance médiévale espagnole, tout en se
perpétuant dans la tradition judéo-espagnole, a subi de
profondes modifications en gardant sa forme littéraire de
poème octosyllabique ou hexasyllabique assonancé en
hémistiche.
De tradition plus récente, les coplas se
caractérisent par un contenu proprement judaïque. Il y est
fait référence aux fêtes juives, à des
épisodes de la Bible ou encore à des
événements importants de l'histoire du judaïsme.
Les kantigas, les chants lyriques constituent le cœur du
répertoire judéo-espagnol. L’amour contrarié
ou déçu, l’hésitation entre deux amants,
sont les sujets privilégiés. La variété des
styles musicaux et poétiques est encore plus grande que dans les
autres genres. De très anciens textes espagnols alternent avec
des traductions modernes des chants populaires turcs.
C'est dans les chants que les femmes ont pu exprimer leur histoire,
leurs désirs, leurs déboires mais aussi les valeurs du
judaïsme qui sous-tendent l’édifice culturel. Pour
ces femmes souvent isolées et exclues du culte public à
la synagogue, ces chants ont constitué une forme de
libération. Grâce à eux, elles pouvaient
extérioriser les aspects marquants de leurs expériences
et de leur existence. Par conséquent, la forme de ces chants
n’était pas fixe; des femmes talentueuses pouvaient
exprimer leur créativité en ajoutant des paroles de leur
cru.
Les chants judéo-espagnols collectés par Alberto Hemsi,
Leon Algazi, Moshe Attias, Isaac Lévy ont été
rassemblés et transcrits à travers les collectages
effectués dans les pays balkaniques, en Turquie et en
Israël au début du XXe siècle.
Les piyyutim et la liturgie du Maghreb
Les communautés juives du Maghreb ont adapté la musique
arabo-andalouse aux piyyutim, à la poésie
liturgique de langue hébraïque, ou à celle
destinée à la célébration des grands
moments de la vie familiale. Les musiciens juifs, dans les mariages et
autres cérémonies, jouaient et chantaient
également les suites les plus populaires, comme les muwashshahat
originels en arabe classique ou en dialecte andalou.
À l’origine, les piyyutim – poèmes
liturgiques – étaient composés pour rehausser les
prières. Le cadre structurel de la plupart des piyyuts
se cristallisa et s’épanouit d’abord en Palestine,
en Babylonie puis dans d’autres pays.
Au Xe siècle, l’Espagne devint le plus grand centre de
production de piyyut. Pendant les cinq siècles qui
suivirent, ce genre littéraire fleurit au contact direct de la
poésie arabe. Après le XVe siècle et
l’expulsion des Juifs d’Espagne, qui mit fin à
l’existence de cette communauté, on vit
s’épanouir le piyyut de style espagnol du
Yémen jusqu’en Tunisie et du Maroc jusqu’à
Alep. À la différence du piyyut ancien ou
classique, le piyyut espagnol emprunta à la
poésie arabe qasidah de nombreuses
caractéristiques formelles de première importance dans le
domaine de la rime et du rythme. C’est ainsi que les
procédés de la métrique de la poésie arabe
furent adaptés à la poésie hébraïque
sous le nom de yetodot.
Les deux versions musicales concordent parfaitement et les lignes
mélodiques se recouvrent exactement. Mais au plan de la
thématique les textes ne se superposent en aucune façon:
le poète juif a des préoccupations qui concernent la foi
et la liturgie, alors que les compositions qu’il adapte sont
souvent de caractère profane, véhiculant la poésie
laudative ou érotique.
Le besoin accru des piyyutim a stimulé la
créativité des poètes imprégnés des
mystiques. Ils ont composé une poésie riche dans la
quelle les hymnes du rabbin Israel Najjara ont été
utilisés pour les baqqashot (supplications), cycle de piyyutim
marocaines. Dans les baqqashot chantés lors de la nuit
de vendredi à samedi, le répertoire se répartit en
plusieurs séries de piyuttim. Inspirés du
modèle arabo-andalou de la nouba, ils reflètent une
affinité profonde avec la culture environnante.
Soulignons ici le phénomène d’interaction qui
existe entre musiciens musulmans et juifs dans le processus de
cristallisation et d’évolution d’une tradition
commune dans l’univers judéo-maghrébin. Dans ces
musiques, il est difficile pour l’observateur de
déterminer d’une part ce qui provient de source juive ou
de source arabe et d’autre part de distinguer l’innovation
de l’emprunt.
D’un piyyut à une kantiga
Yedidi Hashakhakhta, piyyut fait partie des baqqashot
de Shabbat et forme le prologue de nishmat. Ici, il est
interprété dans une métrique longue (tawil)
proche du mode égyptien mashri.
Nani, nani, berceuse recueillie en Orient, tisse un conte
compliqué de jalousie pour raconter l'histoire d'un mari qui
rentre des champs et que sa femme soupçonne de revenir de chez
une autre ni plus belle ni plus noble qu'elle même. Cette
berceuse montre comment l’imaginaire des mères juives
arrive à peupler les berceuses des histoires d’adultes.
Ya viene el cativo est un bon exemple de la transformation
d’une romance populaire de la frontière andalouse
"Don Boyso". La ballade d'origine raconte le voyage d'un prince
chrétien en terre musulmane pour y chercher une amie. Il
rencontre à la fontaine une belle, esclave de harem qui lave les
habits du roi. Le jeune homme pensant ramener chez lui une future
épouse découvre que la jeune fille n’est autre que
sa sœur enlevée jadis. Cette même histoire aux
allures d’épopée se prolonge dans la ballade
judéo-espagnole Ya viene el cativo. Elle est
également reprise dans deux autres versions
judéo-espagnoles, Lavava y suspirava et Una tarde de
verano.
Durme querido hijico, berceuse recueillie à Salonique,
souligne l’importance que les études revêtent dans
la vie des jeunes garçons et l’espoir des parents
misé sur leur réussite dans la vie. Le répertoire
des berceuses judéo-espagnoles, riche en thématique, est
le fruit des femmes de talent qui exprimaient dans ces créations
leurs espoirs, leurs craintes ou leurs amours.
Teromen Bat Rama, piyyut, de tradition turque,
écrit par Israel Nadjarra sur le mode ajam nawruz est un
bon exemple de l’adaptation à l’univers musical
ottoman, des Juifs arrivés d’Espagne accoutumés aux
modes de la musique arabe. Israël Nadjarra (1550-1620),
poète musicien dont l’œuvre exerça un
très puissant impact sur la postérité et emprunta
librement à la musique populaire de son temps, fait
apparaître les noms de certaines mélodies turques, arabes,
espagnoles ou grecques en exergue de ses chants. Il compila un
véritable diwan de poèmes classés selon
douze makams différents.
Ya Shadilll el khan / Tsour Maguinenou est un poème
bilingue du genre dit matruz (poésie brodée) mis
en musique par le rabbin marocain David Buzalgo. On y voit
s’entrelacer stiques hébraïques et arabes de
même mètre isosyllabique. Les premiers en arabe
évoquent l’amour perdu et la séparation de
l’être aimé. Dans les seconds, le poète
exalte en hébreux la grandeur de Dieu, déplore les
errances de son âme. Il est interprété dans un mode
proche du hijaz.
Alta alta es la luna, kantiga judéo-espagnole,
est une adaptation judé-espagnole d’une romance espagnole
publiée au début du XVIe siècle.
L’interprétation proposée ici est la version turque
de la fin du XIXe siècle collectée par I. Lévy et
insiste sur la séparation et la douleur de l’absence.
Yedid nefesh, piyyut dont le texte, écrit par
Eliezer Azikri de l’école de Safed au XVIe siècle,
est chanté dans des baqqashot de samedi dans la
tradition marocaine. Il est courant dans la poésie mystique que
l’amour qu’on porte à la bien-aimée et les
qualités de celle-ci se confondent avec l’amour de Dieu,
ou du protecteur, et ses bienfaits. Ce piyyut était
chanté à chaque veillée de shabbat et
s’adaptait au mode (makam) musical de la semaine.
Moshé, l’éloge de Moïse, composé
par Ovadia Haguer, moine converti au judaïsme, connu aussi sous le
nom d’Ovadia le prosélyte, avait déjà eu des
échanges philosophiques à propos des ancêtres du
judaïsme avec le grand théologien juif de Cordoue,
Maïmonid.
Shaar Petakh dodi, piyyut du livre Shir Yedidot,
est interprété ici avec la mélodie d’un
autre piyyut, Dodi yarad le-ganno, qui, lui-même,
est extrait de la nouba Ramal al-Maya. Il est
interprété au Maroc avec les baqqashot de Shabbat.
Shekhora ani est un psaume de Shir Ashirim (Cantique
des Cantiques) mis en musique par Marc Lavri au début du XXe
siècle. Le Cantique des cantiques était
chanté le soir du vendredi pour accueillir le Shabbat dont la
célébration est entourée d’une
solennité toute particulière. Elle baigne dans une
atmosphère dominée par les doctrines relatives au
rôle de l’homme dans la restauration de l’univers
cosmique.
Shalom leven-dodi, piyyut fait partie des baqqashot
marocains rassemblés sous le nom de Shir Yedidot et
publiés à Marrakech. Ce livre contient 550 piyyutim
répartis entre vingt Shabbats. Chaque groupe ou série est
composé sur le mode qui est propre au jour en question.
Veeda ma est de Ovadia Haguer, compositeur du XIIe siècle
installé en Italie (Sicile) et en Egypte, issu d’une
famille noble normande chrétienne, convertie au judaïsme.
Le poète fait parler son âme de son angoisse devant le
jour du Jugement. Ici, l’esquisse de sa mélodie
d’accompagnement est interprétée dans une approche
orientale.
Le style vocal et l’accompagnement instrumental des chants
séfarades (judéo-espagnols ou liturgiques) de cet
ensemble se situent entre le style médiéval et le style
oriental. Fidèles à ces esthétiques, Yaïr
Harel et Meirav Ben David-Harel se font accompagner dans certaines
interprétations par des instruments médiévaux
comme la vièle, la viole de gambe, la chifonie etc., et
utilisent des ornementations vocales médiévales; tandis
que pour d’autres, prenant l’option orientale des lieux de
collectage de ce répertoire, ils chantent accompagnés de saz,
darbouka, zarb, daf ou bendir tout en
restant dans l’univers d’ornementation modale des makams.
En replaçant dans leur contexte socioculturel les musiques
séfarades des diverses communautés juives de la
Méditerranée, en soulignant la question des influences de
la musique de l’environnement non juif sur le patrimoine musical
juif, les musiciens de cet ensemble nous font découvrir comment
ce patrimoine musical s’imbrique dans la trame de
l’histoire et des chemins d’exil de ces communautés.
Sami Sadak
Université de Provence
All of our grandparents were born in different places, and our origins, from recent generations alone, include Iraq, Kurdistan, Yugolsavia, Tunisia, Russi, Hungary, Spain and Israel. At home we heard Hebrew, Arabic, Yiddish and Ladino, French and English. This album is an attempt to mirror these various origins from a personal musical perspective. The instruments create an antique tone: the Baroque viola da gamba, the medieval chifonie (hurdy-gurdy, the Eastern tar, and percussion instruments. The style of singing is influenced by tradition, but it is also replete tee our personal style, influenced by the multicultural world we grew up in, with many style, coexisting and mingling together indistinguishably. We adapted the songs jointly —listening to voices of tradition echoing inside each one of us and trying to meet.
Nima Ben David
Meirav Ben David-Harel
Yaïr Harel
Michèle Claude