La danse médiévale  /  Ensembles Amadis & Joër


Catherine Ingrassia · Christophe Deslignes · Xavier Terrasa

ladansemedievale.free.fr




2009

2010


Volume 1

Volume 2






La danse medieuale

Au sein du mouvement de redécouverte des musiques et des danses anciennes, la danse médiévale est un sujet qui intrigue. Peu de danseurs s'y sont sérieusement intéressés. La plupart des spécialistes restent impuissants ou perplexes face à l'absence de documents chorégraphiques précis. Et pourtant, l'iconographie montrant des danseurs abonde, les manuscrits musicaux contiennent de nombreuses musiques à danser, et les textes littéraires décrivent très souvent des scènes de danse.

Dans sa thèse pour le Doctorat d'Histoire de l'Art « Danseurs, acrobates et saltimbanques dans l'art du Moyen-Age, Recherches sur les représentations ludiques, chorégraphiques et acrobatiques dans l'iconographie médiévale » - Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Catherine Ingrassia nous dresse un tableau précis des connaissances et propose des interprétations.

Les 20 musiques et chorégraphies prêsentées ensuite sont, pour ainsi dire, prétes à l'emploi, destinées à être jouées et dansées par les amateurs et les passionnés ou les simples curieux désirant s'initier aux musiques et aux danses du Moyen-Age. La méthode de reconstitution utilisée représente une proposition archéologique parmi tant d'autres possibles, mais toujours fondée sur les documents historiques.

Les musiques et les danses médiévales font partie de notre patrimoine. A nous, à vous maintenant de les redécouvrir et de les faire revivre de façon créative et ludique.


Catherine Ingrassia
Passionnée de danse depuis toujours, Catherine Ingrassia fait ses premières recherches sur la danse médiévale en 1982 à l'occasion d'une maîtrise et d'un doctorat d'Histoire de l'Art sur l'iconographie de la danse au Moyen-Age à la Sorbonne. Ses recherches et sa pratique réguliére l'aménent à se perfectionner et à découvrir de nombreuses techniques de danse différentes. En 2000, elle crée l'association Morescarole, troupe d'une vingtaine de danseurs et musiciens avec laquelle elle fait découvrir au public la reconstitution de danses et de spectacles médiévaux.

Christophe Deslignes
Spécialiste de l'orgue portatif dont il a recréé les modes de jeux virtuoses et expressifs, il a participé au succès international de l'ensemble Mala Punica de 1992 à 1998. Il est co-fondateur du collectif Millenarium avec lequel il enregistre 6 albums pour le label Ricercar. Il enseigne l'organetto, l'orgue médiéval, la flûte-à-bec, la musique d'ensemble, la danse médiévale, la réalisation de spectacles et l'improvisation au cours de sessions à la Fondation Royaumont, aux CNR de Toulouse et Belfort, au CNSMD de Lyon, en milieu associatif, socio-éducatif, académique et scolaire, ainsi qu'à Saint-Bris-le-Vineux. Il a étudié la danse médiévale avec Andrea Francalanci, Erika Schneiter et Véronique Daniels.

AMADIS
Depuis 1989, Catherine Joussellin réunit quelques uns des meilleurs chanteurs et instrumentistes afin d'explorer le Moyen-Age au travers des langages privilégiés que sont la littérature et la musique. Amadis est invité dans les festivals du monde entier. Ses six disques ont été salués et récompensés par la critique (Diapason d'Or et ffff de Télérama), dont Sur les Chemin de Saint-Jacques, Jehanne d'Arc, Cantos de la Vida et Anges ou Démons.

JOER
Ce sont des Musiciens de Ville qui sonnent de leurs Hauts Instruments : la chalemie, la cornemuse, la trompette et le tambour. Le répertoire musical est strictement médiéval : œuvres du XIème au XVème siècle. Les musiciens, spécialistes en musique médiévale, sont issus ou collaborent à des ensembles reconnus : Obsidienne, Amadis, Hespèrion XXI, La Maurache, Micrologus, Alla Francesca...
Direction artistique : Xavier Terrasa.







INTRODUCTION


L'ouvrage que nous proposons a pour but de combler un manque. En effet, il n'existait à ce jour aucun manuel regroupant à la fois une présentation historique de la danse au Moyen-Age et des musiques à danser chorégraphiées, avec transcriptions d'après les manuscrits, le tout destiné à un usage pratique. Le CD accompagnant ce manuel offrira un support appréciable aux danseurs. Il a été conçu pour la danse. Fait par des musiciens et des danseurs, il sera certainement également apprécié pour l'écoute. Les connaisseurs trouveront une vingtaine de transcriptions nouvellement réalisées pour cet ouvrage parfois accompagnées de leur fac-similé. Enfin, complément indispensable de toute initiation aux danses religieuses, populaires et courtoises, l'iconographie, assez abondante, donnant lieu à bien des interprétations mais restant une précieuse source d'inspiration.

Histoire de la Danse au Moyen-Age
Une thèse et une maîtrise d'histoire de l'Art sont à l'origine du résumé présenté par Catherine Ingrassia. Sept années de recherches universitaires lui ont permis de compiler plus de cinq cents images et presque autant de textes sur la danse médiévale. Dans le présent ouvrage, afin d'être concis, la plupart des références iconographiques et littéraires ont été supprimées. Nous avons gardé le découpage de la thèse qui permettait de mettre en valeur six thèmes de la danse médiévale afin de survoler l'histoire de la danse de cette période. Cette recherche permet de donner une image riche, diversifiée et complexe d'une tranche de l'Histoire que beaucoup d'historiens de la danse qualifiaient d'inexistante. Ce résumé aidera le danseur d'aujourd'hui á mieux comprendre la culture, le mode de vie et la manière de danser des hommes et des femmes du Moyen-Age.

La reconstitution des danses médiévales
Pour ce premier volume, nous avons choisi de proposer les reconstitutions des danses les plus significatives du Moyen-Age, avec des musiques allant du XIIème au XVème siècle. Chaque reconstitution proposée est présentée à la fois sous forme de partition musicale et sous forme de description linéaire de la chorégraphie dans le temps mesuré. Pour certaines danses, les pas utilisés figurent en dessous des notes de musique dans la transcription, mais chaque mouvement n'est pas systématiquement noté en dessous de chaque note. Les pas sont plutôt notés de façon synthétique au début de chaque séquence de notes. Ainsi l'abréviation « Dgdg » veut dire que le pas double est composé d'un pas en commençant du pied gauche puis un pas en commençant du pied droit et un dernier pas en commencant du pied gauche, le tout se terminant pieds joints. Ce pas s'effectue sur une séquence de plusieurs notes. Un lexique regroupant les abréviations employées est proposé à la page 62. Le décryptage des notations anciennes et les transcriptions à partir des fac-similés constituent un élément essentiel de l'élaboration des chorégraphies. Souvent des lectures nouvelles ou simplement différentes de celles jusqu'ici pratiquées ont suggéré voire même obligé certains pas ou certaines figures, mais elles ont aussi parfois comblé les lacunes ou dissipé les doutes. Afin de donner une orientation solide et sensée aux danseurs, les instrumentations et arrangements choisis pour le CD ont le plus souvent été élaborés en fonction des chorégraphies proposées.

Partitions musicales
Toutes les transcriptions ont été réalisées d'après les fac-similés des manuscrits ou livres. Elles respectent les hauteurs et l'armure d'origine. L'interpréte transposera selon ses besoins. Les altérations de musica ficta sont proposées entre parenthèses : (b) bémol, (d) dièse. Les pliques, ornements, sont indiquées par un signe de trille (la longueur de note suggérée est à déduire de celle qui la précède). L'orthographie et la ponctuation des textes d'origine ont été respectées. Les œuvres n'ont pas été modifiées dans leur écriture et leur structure. Nous avons cependant proposé des choix rythmiques lorsque la notation d'origine ne nous permettait pas d'en proposer. Les pièces modifiées sont signalées comme contrafacta.









La reconstitution des danses medieuales
par Christophe Deslignes


Si les amateurs de fêtes médiévales n'ont jamais hésité, faute de mieux, mais pour la bonne cause de la convivialité et du divertissement, à danser et faire danser des danses Renaissance, les spécialistes des danses anciennes se sont en revanche longtemps refusés à considérer la possibilité de chorégraphier les musiques à danser antérieures au XVème siècle („De arte saltandi et choreas ducendi“ de Domenico da Piacenza, paru en Italie vers 1425 est le premier traité connu). Face au manque de témoignages précis pouvant donner lieu à des restitutions historiquement fiables, ils ont préféré faire l'impasse sur une période pourtant riche et passionnante, plutôt que de partir à la recherche des chorégraphies perdues. Se référer uniquement à des autorités indiscutables ne suffit pas à rendre crédible la restitution de leur enseignement. Ne considérer que les maîtres à danser qui ont transcrit leurs chorégraphies ne peut entrainer qu'une vision très réductrice de ce qu'a pu être une pratique hétéroclite et intense. Quels danseurs pourraient sérieusement se contenter des seuls traités de Domenico da Piacenza, Giovanni Ambrosio, Antonio Cornazzano, Antonio Arena, Michel Toulouze et Thoinot Arbeau pour redonner vie aux danses pratiquées en France et en Italie pendant la Renaissance?

Vouloir reconstituer une chorégraphie de chanson à danser du XIIIème siècle est tout aussi légitime que de vouloir reconstruire une vièle d'après le chapiteau d'une église romane ou réinventer, en prenant comme modèle la chanson de Raimbaud de Vaqueyras, l'estampie jouée à la cour de Montferrat par deux vielleux du nord de la France. En effet, il n'existe pas plus d'instruments originaux ou de musique instrumentale originale (ou si peu) que de chorégraphies originales pour la période allant de la fin du Vème à la fin du XIVème siècle. Aussi, la reconstitution est indispensable pour le sujet qui nous intéresse. Tout comme ses cousins facteurs d'instruments et instrumentistes, le danseur désirant redonner vie aux danses du Moyen-Age devra tout d'abord se transformer en archéologue. Alors comment reconstituer les danses religieuses, populaires, courtoises et jongleresses antérieures au premier traité de danse? Si dans cette tache la part de créativité est importante, c'est d'abord en recherchant, en étudiant, en analysant et en recoupant le plus de fragments et d'indices possibles que les danseurs pourront véritablement envisager des reconstitutions fonctionnelles et historiquement fondées et s'interroger sur l'évolution de la danse dans les trois ordres de la société féodale et dans ses rapports avec l'Eglise catholique au cours des dix siècles qu'a duré le Moyen-Age. Et contrairement aux idées reçues, les témoignages concernant la danse médiévale sont très nombreux et parfaitement exploitables. Et il s'agit aussi de bien en saisir à la fois la valeur et le sens. La thèse de doctorat de Catherine Ingrassia est là pour le démontrer. La méthode que nous adoptons pour reconstituer les danses médiévales antérieures à 1425 est simple : il faut, dans un premier temps, rassembler les différentes sources, c'est-à-dire les traces musicales, iconographiques et lexicologiques afin de pouvoir les confronter à un „corpus“ de pas déterminé en fonction des connaissances historiques. Ce corpus comprend bien évidemment les pas les plus anciens décrits dans les traités de Domenico et de ses successeurs jusqu'à Thoinaut Arbeau. La confrontation des musiques à danser antérieures au XVème siècle avec les danses traditionnelles encore dansées de nos jours est également indispensable. En effet, même si la transmission a été rompue à partir des „Temps modernes“, comment se priver des précieuses indications que peuvent donner les danses traditionnelles dont l'origine est, pour certaines d'entre elles, bien antérieure au Moyen-Age ? C'est seulement après cette étude que ion pourra expérimenter, avec un ou plusieurs groupes de danseurs, des chorégraphies adaptées à chaque musique que ion affinera au fur et à mesure de cette phase pratique du processus de reconstitution. Enfin, une fois réunis toutes ces musiques à danser, conviendra de composer des contrafacta à partir des modèles étudiés, comme c'est le cas par exemple ici pour l'Estampida de maia (d'après la chanson Kalenda maia) et la Carole Rocamadour (d'après la cantiga Non sofre Santa Maria), et en particulier des danses instrumentales, afin d'élargir le plus possible un répertoire encore trop limité.

Pour ce qui est des musiques à danser originales, aux côtès des quelques rares et précieuses danses instrumentales (estampies royales du Manuscrit du Roy, istampite, saltarelli et canzonette tedesche du Manuscrit de Londres...), il s'agira de rechercher dans les manuscrits contenant l'Œuvre des Troubadours et des Trouvéres tout ce qui peut ressembler de prés ou de loin à une chanson à danser : rondeaux et rondets de carole, virelais, chansons de mal mariée, pastourelles, chansons de la reine d'avril, rondeaux pieux, auxquels on ajoutera les Cantigas de Santa Maria et les danses du Llibre Vermell de Montserrat. Après avoir transcrit ces danses, on en étudiera la structure afin de déterminer les bases d'une chorégraphie et l'on réalisera une analyse comparative avec les danses plus récentes.

Pour ce qui est des images, leur étude sera évidemment très précieuse pour obtenir des indications non seulement sur les pas et les figures, mais aussi les expressions et bien entendu sur les différentes situations et fonctions de la danse dans les trois ordres mais aussi chez les jongleurs. Les traces de danses dans l'iconographie sont innombrables : sculptures, enluminures, vitraux, peintures murales, fresques, gravures, dessins, peintures sur bois... Elles offrent d'inépuisables sources d'inspiration à recouper avec les musiques et les occurrences littéraires.

Concernant les traces lexicologiques, elles sont également très nombreuses, et on ne se contentera pas de la poésie et du roman. Il faudra aussi analyser les textes interdisant la danse ainsi que les traités de musique. Les quelques extraits ci-dessous donnent une idée du patient travail de collectage qu'il est nécessaire d'entreprendre dans cette aventure archéologique :

« Ces gens dont je vous parle ce sont mis à caroler lors pouvait-on voir carole aller les gens gentillement baller et faire maintes belles tresches et maints tours sur l'herbe fresche ». (Roman de la Rose)

« Et je dis avec des battements réglés parce que les rythmes règlent la ductia elle-même et les mouvements de l'exécutant et qu'ils incitent l'âme humaine à faire des mouvements élégants correspondant à l'art qu'on appelle la danse, et déterminent le mouvement dans les ductiae et les caroles ». (Jean de Grouchy)

Les 20 chorégraphies que nous proposons dans ce fascicule ne sont pas uniquement le fruit de notre imagination. Elles sont le résultat à la fois d'un énorme travail de recherche et d'une pratique sans cesse renouvelée et perfectionnée en spectacle, en animation, en stage, avec des publics très différents : enfants, adolescents, adultes, musiciens, chanteurs, débutants, amateurs, professionnels, danseurs confirmés. Il nous a semblé très utile de proposer deux chorégraphies différentes pour trois musiques parmi les plus connues, « A l'entrada del tens clar », « Stella splendens » et l'un des Saltarelli du Manuscrit de Londres, ceci afin de montrer qu'il n'existe pas une seule vraie manière de chorégraphier les musiques á danser du Moyen-Age.

Les musiques et les chorégraphies présentées ici sont, pour ainsi dire, prêtes à l'emploi, destinées à être jouées et dansées par les amateurs et les passionnés ou les simples curieux désirant s'initier aux musiques et aux danses du Moyen-Age. La méthode de reconstitution utilisée représente une proposition archéologique parmi tant d'autres possibles. Bien qu'inévitablement subjective, elle est toujours fondée sur les documents historiques.

Les musiques et les danses médiévales font partie de notre patrimoine. A nous, à vous maintenant de les faire revire de façon créative et ludique.