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Zig-Zag Territoires ZZT 051002
febrero de 2004
Chapelle de l'École Sainte-Geneviève, Versailles
01 - Dance. Nota (instr. ) [1:43]
cornemuse, harpe, vièles, cistre, tambourin
02 - Lai 17. D'amours vient mon chant et mon plour [1:47]
chant EV, harpe
03 - Lai 15, ''de victoire''. Après chou que je vi
victoire [4:18]
chant BL, flûte double
04 - Estampie (instr.) [4:07]
harpe, guiterne, cornemuse, vièles, grand tambourin
05 - Lai 8, ''Voir disant''. Tant me sui de dire teüs
[5:00]
chant EV, flûte traversière, vièle
06 - Dance. Tant me sui de dire teüs (instr.)
[1:51]
vièles, guiterne
07 - Lai 16, ''Boire pesant''. La u jou fui dedens la mer
[4:05]
chant BL, harpe
08 - Lai 6. Sans cuer sui et sans cuer remain (instr.)
[2:29]
harpe, guiterne, vièle, flûte à 3 trous
09 - Lai 1, ''mortel''. Ja fi canchonettes et lais
[3:54]
chant EV, harpe, vièle
10 - Lai 9. D'amours viennent li dous penser [4:18]
chant BL, cistre, flûte à 3 trous et tambour à
cordes, vièles
11 - Lai 10. A toi, roi Artus, qui signeur [1:31]
chant EV, harpe, vièle, tambour à cordes à
archet
12 - Lai 4. Folie n'est pas vaselage [3:33]
chant BL, flûte à 3 trous et tambour, vièles,
guiterne, tambourin à cymbalettes
13 - Rotta du Lamento de Tristan [Brit.Lib. Add 29987]
(instr.) [2:03]
flûte double, tambourin, cistre à archet
14 - Lai 5. En morant de si douche mort [3:54]
chant EV, cloches
15 - Lamento de Tristan [Brit.Lib. Add 29987]
(instr.) [3:37]
flûte à bec, harpe, vièle
16 - Lai 2. Li solaus luist et clers et biaus [6:52]
chant BL, cistre à archet, flûte double
17 - Lai du chèvrefeuille [Ch. Noailles]
(instr.) [5:45]
flûte à 3 trous et tambour, harpe, vièles, cistre,
tambourin
ALLA FRANCESCA
Brigitte Lesne & Pierre Hamon
Brigitte Lesne
chant - #3, 7, 10, 12, 16
harpes - #1, 2, 4, 7, 8, 9, 11, 15, 17
Emmanuel Vistorky
chant - #2, 5, 9, 11, 14
Pierre Hamon
cornemuses - #1, 4
flûte double - #3
flûte traversière bansuri - #5
flûtes à 3 trous - #8, 10, 12, 17
flûte double satara - #13, 16
flûte à bec - #15
Vivabiancaluna Biffi
vièle à archet - #1, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12,
15, 17
Michaël Grébil
cistres ceterina - #1, 10, 11, 13, 16, 17
guiterne - #4, 6, 8, 12
Birgit Goris
vièle - #1, 4, 6, 10, 12, 17
Bruno Caillat
tambourins - #1, 4, 12, 13, 17
En choisissant les lais de Tristan du manuscrit de Vienne, nous avions
la certitude d'aborder des rivages pleins de richesses musicales et
poétiques. A partir de l'histoire devenue emblématique de
l'amour de Tristan et Yseut, nous allions aussi et surtout nous trouver
au coeur même de la thématique de la lyrique courtoise, un
de nos répertoires de prédilection.
Les lais pris isolément ne tissent aucune narration. Ils sont
comme des ponctuations, des commentaires, des parenthèses
liés à une étape du récit. Ils
n'apparaissent d'ailleurs que très loin après le
début du manuscrit, privant toute sa première partie d'un
contrepoint musical. Nous avons donc choisi de reconstituer un ordre
fondé sur l'enchaînement des musiques et des
thématiques : l'amour, la colère, la tristesse, la folie,
la mort, ... commençant avec Tristan et finissant avec Yseut.
Certains lais sont brefs - nous avons alors choisi d'en chanter la
totalité -, d'autres comptent de très nombreux couplets
dans lesquels nous avons dû faire des choix tout en sauvegardant
leur quintessence poétique. Cette sélection nous a permis
de proposer onze lais sur les dix-sept que compte le manuscrit.
On constate une manière de mise en abîme dans le
scénario d'apparition des lais: l'auteur ou les auteurs,
anonymes, en attribuent la composition à différents
héros du récit, qui eux mêmes en ont eu
connaissance par un autre personnage, qui enfin les donne souvent
à interpréter à un tiers, ici une demoiselle,
là un «harpeur» (la harpe - dont Tristan joue lui
même - est particulièrement présente). Cet ultime
personnage, le ménestrel - l'artiste interprète de
l'époque - est celui que nous incarnons le plus naturellement
puisqu'en somme leur métier est déjà le
nôtre!
Pas de théâtralisation ni de rôles attribués
donc: la chanteuse n'est pas Yseut, le chanteur n'est pas Tristan; les
héros sont bien présents, mais comme en filigrane, dans
un tissu narratif que chacun peut restituer ou réinventer
à sa guise...
Certains ménestrels sont instrumentistes et parfaits virtuoses
de leur instrument. En retrouver les pratiques est chose
délicate car leur savoir était de toute évidence
transmis oralement. L'iconographie, les recherches de facteurs et
luthiers, quelques textes littéraires, et les pratiques
aujourd'hui vivantes de par le monde de musiques monodiques de
tradition orale, nous renseignent toutefois utilement. Nous proposons
ainsi, au sein même des lais ou en alternance avec eux, de
restituer ces diverses pratiques instrumentales - préludes,
commentaires, danses... - dans l'esprit qui était
peut-être celui des musiciens de l'époque. C'est en tout
cas notre conviction.
Alla francesca
TRISTAN et YSEUT
"Ni vous sans moi, ni moi sans vous". La conception occidentale de
l'amour semble façonnée par l'histoire tragique de
Tristan et Yseut.
Le mythe d'origine probablement celtique fut maintes fois
raconté. Aussi, lorsque vers 1170 apparaissent les premiers
textes écrits, les versions sont déjà multiples.
Les trouvères Béroul puis Thomas rédigent chacun
un Tristan en vers français. D'autres auteurs anonymes
ajoutent certains épisodes nommés Folies Tristan
qui sont maintenant conservés dans les bibliothèques
d'Oxford et de Berne. Enfin, toujours dans le domaine français,
Marie de France développe, dans le lai du
Chèvrefeuille, la métaphore célèbre du
coudrier et du chèvrefeuille qui ne peuvent vivre longtemps
séparés. La légende est bientôt
adaptée en allemand par Eilhart von Oberg puis par Gottfried de
Strasbourg tandis qu'un certain frère Robert rédige une Saga
norroise pour le roi de Danemark. Les textes en vers français
nous sont malheureusement parvenus dans des sources mutilées, de
sorte que la légende que nous connaissons est constituée
par la somme d'une mosaïque de récits. L'histoire des
amants légendaires comporte finalement quelques épisodes
principaux : la naissance de Tristan, son combat contre le géant
Morholt, sa guérison par la mère d'Yseut, la
conquête de la jeune fille aux cheveux d'or pour son oncle le roi
Marc, le voyage en bateau et l'absorption du philtre fatal, la fuite
des amants dans la forêt, le mariage de Tristan avec Yseut aux
Blanches mains, la visite de Tristan déguisé en
ménestrel à la cour du roi Marc, la maladie puis la mort
de Tristan rejoint bientôt par Yseut la Blonde.
La réécriture du mythe est constante. Les conteurs du
Moyen Âge ajoutent bientôt d'autres récits à
la trame principale. Dès le XIIIe siècle apparaissent
plusieurs versions en prose où transparaît l'influence des
romans de chevalerie à la mode: Tristan côtoie les
personnages arthuriens de la Table ronde, son amour pour Yseut est
comparé à la relation adultère de la reine
Guenièvre et du chevalier Lancelot. La tradition de ces Tristan
en prose est riche et durable: on compte plus de quatre-vingt
manuscrits et plusieurs rééditions imprimées
jusqu'à la fin du XVIe siècle.
Alors qu'autour de la légende originelle les digressions se
multiplient, des poèmes lyriques en vers scandent le
récit. Ils sont insérés dans la trame narrative,
mais, bien qu'ils fussent très probablement chantés,
seuls deux manuscrits des Tristan en prose transmettent leur
mélodie. Le plus important est conservé à Vienne
au département de la musique de la Bibliothèque nationale
autrichienne sous la cote 2542. Il rassemble dix-sept lais monodiques
censés avoir été composés soit par les
trois protagonistes du récits (Yseut, Tristan et Marc) soit par
des personnages secondaires souvent étrangers au récit
originel (le harpeur Kahedin, Dinadan, Palamedes...).
Dès les plus anciennes sources, le personnage de Tristan associe
la prouesse du chevalier à l'art du ménestrel. La
Folie d'Oxford, par exemple, met en scène un Tristan
déguisé en fou racontant à Yseut les moments
intimes de leurs relations. Il lui rappelle comment, lors de leur
première rencontre, se faisant passer pour un ménestrel,
il lui apprit à jouer de la harpe et à chanter des lais
bretons, comment plus tard, il sut la reconquérir en jouant de
la rote mieux que le harpiste qui l'avait enlevée au roi Marc.
Tristan est certes un interprète de talent, mais il est aussi un
auteur renommé. De fait, dans les Tristan en prose de
nombreux chants lui sont attribués et chantés par
d'autres. Le moment de la performance est alors mis en scène par
les conteurs: une demoiselle prie Tristan de lui montrer "ce qu'il sait
de harper et de chanter", il interprète alors La u jou fui
dedens la mer, elle lui dit ensuite connaître tous les lais
qu'il a composé et lui chante Apres chou que je vi victoire.
La blonde Yseut chante aussi son amour passionnel. Des trois lais qui
lui sont attribués Li solaus luist est sans doute le
plus émouvant. Il commence comme une reverdie. Mais cette
évocation du renouveau printanier contraste cruellement avec
l'appel désespéré d'Yseut qui, après
l'annonce de la mort de Tristan, ne désire plus que sa propre
fin.
Les lais transmis dans le recueil de Vienne sont parfaitement
représentatifs du genre lyrique cultivé au XIIIe
siècle bien distinct de la forme complexe élaborée
par Guillaume de Machaut au XIVe siècle. Tous les poèmes,
à deux exceptions près, se composent d'une longue
série de couplets de quatre octosyllabes de rime identique. La
structure musicale est aussi d'une grande simplicité. En
général, la même mélodie est
répétée, plus ou moins exactement, de strophe en
strophe. À l'intérieur de chaque quatrain, les deux
premiers vers sont chantés sur la même phrase tandis que
les deux suivants utilisent une musique nouvelle (soit le schéma
a a b c). L'ambitus de ces chansons dépasse rarement l'octave;
l'écriture mélodique est conjointe et quasiment
syllabique. La notation carrée, typique des répertoires
monodiques de cette époque, n'est pas mesurée. Le rythme
n'est donc pas réglé par la battue d'une pulsation
régulière (mesure moderne) mais il suit le débit
fluctuant de la parole; il garde la souplesse du plainchant. Le
manuscrit 2542 présente une caractéristique rare et d'un
grand intérêt pour les interprètes contemporains.
La musique, bien que strophique, est notée tout du long.
Habituellement, dans les chansonniers de la même époque,
la mélodie n'est inscrite qu'une seule fois, au-dessus de la
première strophe, selon le principe d'économie propre
à la production médiévale. Ici, la notation
continue montre que le chant n'est pas totalement uniforme. De strophe
en strophe, des modifications sont apportées: changement d'une
note, répartition d'un groupe de trois notes sur une, deux ou
trois syllabes, répétition de la même note, ajout
d'un ornement... Ces variantes, bien que minimes,
révèlent toute la subtilité de l'art lyrique
médiéval: la recherche d'un équilibre situé
entre, d'une part, un état d'hypnose, né de la
répétition d'une simple ligne mélodique
discrètement ornée et, d'autre part, le renouvellement
incessant de l'harmonie entre le texte et la musique.
Dans un corpus d'estampies des XIIIe et XIVe siècles (Londres,
British Library, Add. 29987) figure un couple de danses italiennes au
titre évocateur, Lamento di Tristano et Rotta, qui
témoigne du rayonnement considérable de la légende
celtique au Moyen Âge. Les deux pièces se distinguent par
le tempo et le rythme, mais leur matériau musical est identique;
il provient peut-être d'un poème lyrique aujourd'hui
perdu. C'est l'hypothèse suivie par les musiciens de l'ensemble
Alla francesca qui ont composé par ailleurs deux autres danses :
une nota et une estampie, à partir des mélodies de
différents lais du manuscrit de Vienne. D'autre part, les lais
sélectionnés pour cet enregistrement, extraits de leur
contexte narratif, ne sont pas agencés selon l'ordre du Tristan
en prose: l'unique fil conducteur en est la quête
éternelle des amants de la légende qui «chantant et
pleurant meurent de parfait amour».
Isabelle Ragnard