Le chansonnier Nivelle de La Chaussée, vers 1460 / Ensemble Amadis
Chansons courtoises du XVe siècle de Busnois, Ockeghem, Delahaye





medieval.org
Adda 581 316

1993





Guillaume DuFAY
1. Puis que vous estes campieur  [3:58]
rondeau

Johannes DELAHAYE
2. Puisqu'il convient que le départ se fasse  [1:34]
instrumental

Antoine BUSNOIS
3. Quant ce viendra au droit d'estraindre  [5:38]
rondeau layé

4. La Falla  [1:18]
instrumental

5. D'une belle jeune fille  [2:47]
rondeau-triple chanson

Johannes DELAHAYE
6. Mort, j'apelle de ta rigueur  [6:31]
rondeau, texte: Villon

Johannes DELAHAYE
7. O dieu d'amour  [2:06]
rondeau

Walter FRYE
Tout a par moy · rondeau
8. instrumental  [1:39]
9. vocal  [1:39]

Alexander AGRICOLA
10. J'ars de désir à enflamé d'amer  [1:06]
rondeau · instrumental

11. Querez ailleurs paille en estrain  [1:22]
instrumental

12. Vous marchez du bout du pié, Marion, Marionette  [1:56]

13. Puis qu'à vous servir  [4:30]
rondeau

14. J'ay pris amours à ma devise  [1:12]
rondeau · instrumental

Antoine BUSNOIS
15. En tous les lieux ou j'ay esté  [4:45]
bergerette

16. Spania  [1:21]
instrumental

Robert MORTON
17. N'auray-je jamais mieulx que j'ay  [3:55]
rondeau

Antoine BUSNOIS
18. Le corps s'en va  [5:54]
rondeau

19. D'ung autre amer  [1:28]
rondeau



plages #5, 12, 16:
Les harpes utilisées sont équipées de chevilles crochues de braiement ou "arpions" (harpions), faisant "nazarder" les cordes.








Ensemble Amadis

Catherine JOUSSELLIN, dessus et vièle
Emmanuel BONNARDOT, contre-ténor et vièle
Françoise JOHANNEL, harpe
Pascale BOOUET, luth
Paul WILLENBROCK, basse
Raphaël BOULAY, ténor



Instruments

Luth renaissance d'après Jacob HES (Joël DUGOT - 1981)
Luth XVe à cinq chœurs d'après Arnaud De ZWOLLE (Ivo MAGHERI - 1991)
Harpe gothique à vingt-six cordes d'après un instrument du musée de Nuremberg (Simon CAP - 1992)
Harpe gothique d'après Jérôme Bosch (Yves D'ARCIZAS - 1983)
Vièle XVe (Bernard PRUNIER - 1983)
Vièle XVe (Judith KRAFT - 1986)
Vièle XVe (Judith KRAFT - 1989)








Enregistré à l'Abbaye Royale de Fontevraud du 9 au 11 novembre 1992
Directeur artistique: Jean-Christophe Frisch
Conseiller prononciation: Eugène Green
Photo de couverture: Tapisserie Cluny - La vie seigneuriale / Cliché Musées Nationaux
Co-production Centre de Musique Ancienne/ADDA

© 1992 / (P) 1993



Chansons courtoises à la Cour de France
Le chansonnier Nivelle de La Chaussée (vers 1460)

Le chansonnier Nivelle de La Chaussée, maintenant à la Bibliothèque Nationale (Rés. Vmc. Ms 57), après avoir été la propriété de Geneviève Thibault, comtesse de Chambure, figure parmi les sources majeures de la chanson polyphonique française (ou franco-bourguignonne) de la deuxième moitié du XVe siècle, comparable par son importance et par sa datation (vers 1460) aux manuscrits célèbres que sont le Chansonnier Cordiforme, le Chansonnier Mellon ou le MS. 517 de la bibliothèque de Dijon.

Sa principale originalité, cependant, est bien son appartenance quasi cer­taine à l'environnement musical, poétique et artistique de la cour de France, autour de quelques villes de l'actuelle région Centre qui consti­tuaient alors les résidences privilégiées des rois de France (Tours, Blois, Bourges...). Il se distingue ainsi des autres grands chansonniers associés aux cours de Bourgogne (Dijon), de Savoie (Cordiforme) ou de Naples (Mellon).

Un faisceau d'indices convergents désigne en effet son insertion dans la val­lée de la Loire, la Touraine et le Berry. L'étude codicologique effectuée par une jeune musicologue américaine, Paula Higgins, a révélé, par exemple, une inscription lisible seulement aux ultraviolets ("de palacio bit"...) qui semble bien désigner le palais de Bourges ("bituricense"). Les textes poé­tiques, quant à eux, pour l'essentiel rondeaux et bergerettes affichent de très nombreuses concordances avec le cercle littéraire blésois de Charles d'Orléans: En tous les lieux d'Antoine Busnois, par exemple, est une berge­rette qu'un manuscrit poétique attribue à un certain monsieur Jacques, en fait Jacques de Savoie, seigneur de Romon, présent à la cour de Blois en 1457.

Par ailleurs, les nombreuses lettrines initiales enluminées, peintes selon la technique du "camaïeu d'or" peuvent être attribuées à l'atelier tourangeau de Jean Fouquet (c. 1420—1481), peintre des rois Charles VII et Louis XI ou Jean Colombe de Bourges (c. 1430—1498).

En situant ainsi ce manuscrit dans l'entourage de la cour de France, ces indices permettent de mieux comprendre l'importance particulière qu'y occupe un petit groupe de compositeurs. Les deux principaux d'abord, Antoine Busnois et Jean Ockeghem, respectivement représentés par 11 et 6 chansons.

On a cru longtemps que Busnois avait été essentiellement attaché à la Cour de Bourgogne (de 1467 à 1483): des documents récemment découverts attestent sa présence à Tours, où il est clerc de Saint-Martin en 1465. Il a donc pu y connaître Ockeghem qui y occupait la fonction de trésorier depuis 1459 parallèlement à la charge de "premier chapelain" de la Chapelle royale. On ne sait pratiquement rien en revanche de Delahaye dont le chansonnier de Dijon contient aussi quelques chansons: il a dû être attaché à Louis de Luxembourg, archevêque de Rouen vers 1443, avant de rejoindre vraisemblablement la chapelle du duc de Bretagne... Toujours est-il que le Chansonnier Nivelle de La Chaussée constitue la principale source de ce "petit maistre", puisqu'on y trouve 7 chansons (dont 4 unica): trois d'entre elles sont présentées ici, grâce à l'aimable collaboration de Jane Alden, étudiante en musicologie à l'université de Manchester et au Centre de la Renaissance de Tours. On doit notamment à ce compositeur le seul poème de Villon mis en musique à l'époque, le rondeau Mort rappelle de ta rigueur (extrait du Grand Testament).

A côté de ce répertoire particulièrement original, le chansonnier présente aussi les valeurs sûres de la courtoisie franco-bourguignonne que se parta­gent les grands recueils manuscrits contemporains, à quelque cour qu'ils appartiennent. Au premier rang le très célèbre rondeau anonyme, J'ay pris amour à ma devise, chanson liminaire du manuscrit de Dijon, où il semble résumer emblématiquement le projet courtois.

La chanson d'Ockeghem, D'un aultre amer, figure aussi au nombre des "classiques" à côté de N'aray-je jamais mieulx de Morton et de Tout a par moy, de Walter Frye.

Il faut aussi remarquer, cependant, quelques pièces d'un ton nouveau, doubles ou triples chansons, dans lesquelles on entend comme un écho (déformé) d'un patrimoine populaire quasi inaccessible pour cette époque: l'anonyme D'une belle jeune fille/coquille bobine en est un exemple, de même que la chanson de Busnois, Vous marchez du bout de pié. Par sa capacité de transposition registrale, de détournement parodique, par ses potentialités de métissages qui se révéleront bientôt de plus en plus nom­breux, la courtoisie, à "l'automne du Moyen Age", manifeste peut-être ici, en même temps que sa complexité, une forme de lucidité autocritique...

Jean-Pierre Ouvrard


Issu d'une collaboration productive entre musiciens (l'ensemble AMADIS et en particulier Catherine Jousselin et Emmanuel Bonnardot) et musicologues (Jane Alden et Jean-Pierre Ouvrard), ce programme illustre la volonté du Centre de Musique Ancienne d'articuler recherche musicologique et pra­tique musicale, au service du patrimoine artistique régional.
Au lendemain de l'enregistrement de ce disque s'éteignait Jean-Pierre Ouvrard, emporté par la maladie.
Musicologue et directeur du Centre de Musique Ancienne de Tours, mais surtout homme d'une inestimable richesse humaine, il avait été l'initiateur de ce projet "Nivelle de La Chaussée".
Que cette musique lui soit dédiée en témoignage de notre reconnaissance et de notre attachement.

Ensemble Amadis





IMAGEN


Songs from the Court of France
The Nivelle de la Chaussée Song Book (c. 1460)


The song book known as the Chansonnier Nivelle de la Chaussée, formerly owned by the Comtesse de Chambure and now in the Bibliothèque Nationale (Rés. Vmc. Ms 57), is a major source of late 15th century French (or Franco-Burgundian) polyphonic music, comparable in importance and date (c. 1460) to famous manuscripts such as the Chansonnier Cordiforme, the Chansonnier Mellon or Dijon Public Library MS. 517.

Its main originality, however, lies in the fact that it almost certainly belonged to the musical, poetic and artistic environment of the Court of France, cente­red on several towns in modern Région Centre where the kings of France were wont to hold court (mainly Tours, Blois and Bourges). This distinguishes it from the other major song books, which are associated with the courts of Burgundy (the Dijon manuscript), Savoy (Cordiforme) and Naples (Mellon).

A number of convergent clues enable it to be ascribed to the region of the Loire Valley, Touraine and Berry. For instance, codicological research by the young American musicologist Paula Higgins has brought to light a faded inscription (" de palacio bit... ") which probably refers to the Palace of Bourges (palacio bituricense). The poems set, mainly rondeaux and berge­rettes, display a great number of concordances with the literary circle of Charles d'Orléans in Blois. For instance, the words of the bergerette En tous les lieux by Antoine Busnois are attributed by a poetry manuscript to someone it calls "Monsieur Jacques", i. e. Jacques de Savoie, seigneur de Romon, who was at the court in Blois in 1457. In addition, the many illumi­nated initials can be attributed to the ateliers of Jean Fouquet (c. 1420—1481) in Tours or Jean Colombe (c. 1430—1498) in Bourges.

Once the manuscript is seen to belong to the entourage of the Court of France,
the particular importance it gives to a small group of composers becomes
more understandable. Two composers are especially prominent within this group: Antoine Busnois, with eleven songs, and Jean Ockeghem, with six.

For a long time it was thought that Busnois spent most of his career (from 1467 to 1483) at the Court of Burgundy. Recently-discovered documents attest his presence as a clerk at St. Martin's in Tours in 1465. So he may well have met Ockeghem, who alongside his job as premier chapelain in the Chapelle Royale had been treasurer at St. Martin's since 1459. By contrast, very little is known about Delahaye, a few songs by whom are also found in the Dijon manuscript. He was apparently a member of the house­hold of Louis de Luxembourg, archbishop of Rouen c. 1443, before proba­bly entering the chapel of the Duc de Bretagne. The Chansonnier Nivelle de la Chaussée is the main source for Delahaye's works, containing seven songs (of which four are not found elsewhere). Three are recorded here by courtesy of Jane Alden, of the University of Manchester and the Centre de la Renaissance in Tours. This composer wrote the only known contemporary setting of a poem by Villon, the rondeau Mort j'appelle de ta rigueur from the Grand Testament.

Alongside its particularly innovative features, the Chansonnier also contains the stock repertoire of Franco-Burgundian courtly love as found in a num­ber of important contemporary manuscripts from a variety of Courts. One of the best known is the anonymous rondeau J'ay pris amour à ma devise, which opens the Dijon manuscript as a kind of emblematic summary of the courtly ethos.

Ockeghem's song D'un aultre amer is another classic, alongside Morton's N'aray-je jamais mieulx and Walter Frye's Tout a par moy.

However, a few pieces in a new style are also noteworthy. These are double or triple chansons displaying a kind of (distorted) echo of folk music, which was almost inaccessible to the aristocratic culture of the period: the anonymous D'une belle jeune fille/coquille bobine is one example, as is Busnois's chanson Vous marchez du bout de pié. In pieces such as this, the late medieval courtly tradition reveals its capacity for changes of register, parody and genre -mixing- a tendency which increased as the century advanced and highlighted, alongside a certain complexity of form and content, a taste for self-critical playfulness.

Jean-Pierre Ouvrard
Translated by Roger Greaves



This recording is the result of a fruitful collaboration between musicians (Ensemble Amadis, particularly Catherine Jousselin and Emmanuel Bonnardot) and musicologists (Jane Alden and Jean-Pierre Ouvrard). It illus­trates the intention of the Centre de Musique Ancienne in Tours to bring together musicological research and musical performance in order to pro­mote the artistic heritage of Tours and its region.
Jean-Pierre Ouvrard died shortly after the recording had been completed. As a musicologist in charge of the Centre de Musique Ancienne in Tours, but above all as a very great humanist, he was the initiator of the Nivelle de la Chaussée project.
We would like this music to be dedicated to him as a sign of our gratitude and affection.

Ensemble Amadis

Instruments

Renaissance lute by Joël Dugot, 1981, after Jacob Hes.
15th century five-course lute by Ivo Magheri, 1991, after Arnaud de Zwolle. 26-string Gothic harp by Simon Cap, 1992, after an instrument in Nuremburg museum.
Gothic harp by Yves d'Arcizas, 1983, after Hieronymus Bosch.
15th century fiddle by Bernard Prunier, 1983.
15th century fiddle by Judith Kraft, 1986.
15th century fiddle by Judith Kraft, 1989.