DBA Productions DBA-10028
2004
1. Nani, nani [4:51] Rhodes, Balkans
chant, cetera médiévale
2. Yo m'enamori d'un aire [2:38] Orient
orgue portatif, tambourin
3. Puncha, puncha [2:58] Istanbul, Balkans
chant, orgue portatif, luth, zarb
4. Hija mia mi querida [2:49] Sarajevo
chant, orgue portatif, cítara, tambourin
5. Virgen Santa Maria [2:48] Espagne
CSM 47
orgue portatif, luth, tambourin
6. Reina de la gracia [5:43] Izmir
chant, cítara
7. Yo' hanino, tu' hanina [4:04] Orient
chant, orgue portatif
8. Morena me llaman [5:11] Tetuán
chant, orgue portatif cítara, zarb
9. Lamma bada [3:05] Mouwashah arabo-andalou
orgue portatif, luth, zarb
10. Entre la mar y el rio [2:46] Tetuán
chant, orgue portatif, luth, tambourin
11. Se lava este novio [5:09] Tetuán, Marruecos
chant, orgue portatif, luth, zarb
12. Juden Tanz [2:41]
orgue portatif, luth, tambourin
13. Noches, noches [3:46]
chant
AMADIS
Catherine Joussellin
Catherine JOUSSELLIN, chant
Christophe DESLIGNES, orgue portatif chromatique
Francisco OROZCO, cítara, cetera médiévale, luths
Bruno CAILLAT, zarb, tambourins
LES INSTRUMENTS:
Orgue portatif chromatique : Johannes Rohls (Neubulach, Allemagne), 1993
Citara cinq cordes simples : Carlos Gonzalez (Paris, France), 1995
Cetera médiévale : Ugo Casalonga (Pigna, Corse), 2003
Luth cinq chœurs en mi : Ivo Magherini (Roma, Italie), 1991
Luth cinq chœurs en sol : Carlos Gonzalez, d'après le «Livre des jeux»
d'Alfonso X el Sabio de 1283 (Cordoba, Espagne), 2002
Zarb et tambourins : fabrication traditionnelle
LES SOURCES:
Algazi, Leon Chants séphardis
Hemsi , Alberto Cancionero setardí
Levy, Isaac Chants judéo-espagnols
Menéndez Pidal, Ramón Romancero hispánico
Katz, Israël J. Judeo-spanish traditional ballads from Jerusalem
REMERCIEMENTS:
Le père Abbe de Ligugé et "Chemins de Musique"
Soeur Marie-Chantal et l'institution de Larnay
Sebastian de la Obra
Hector Sabo
1. Un peu de scholastique
Il
est difficile de synthétiser en quelques lignes le développement d'un
patrimoine culturel (en l'occurrence la musique séfarade) qui a près de
cinq siècles d'existence. Un patrimoine qui plonge ses racines en
«Sefarad»/Espagne, qui se développe dans une vaste diaspora et qui
atteint l'époque actuelle comme un trésor que, bien qu'on ne puisse
l'acheter, certains mettent en vente. La tradition académique établit
trois genres dans la tradition musicale séfarade: le romancero, les coplas et le cancionero.
Le romancero
séfarade a son origine dans la tradition hispanique médiévale; une
grande partie des «romances» séfarades viennent de la péninsule ibérique
et voyagent avec les Séfarades dans tout le bassin méditerranéen
(surtout au Maroc et dans l'aire balkanique ottomane). Au fil du temps,
en marge de la tradition hispanique, de nouvelles «romances» (en forme
de balades) apparaissent et se développent, dans la diaspora, jusque sur
le continent américain au début du XXème siècle ; jusqu'au milieu de ce
siècle enchante de nouvelles balades au Canada, en Israël, en France,
etc. Ces romances adoptent la forme de balades narratives et elles sont à
l'origine accompagnées au luth et au-violon.
Les coplas
se développent surtout aux XVIIIème et XIXème siècles. Elles sont
directement liées à la tradition religieuse et festive juive. Elles
rappellent des événements historiques du judaïsme classique, des
conseils moraux ou des célébrations du cycle des fêtes. Cette tradition
adopte des formes d'expression qui appartiennent aux deux ères
géographiques des Séfarades : le Maroc et les Balkans/Empire ottoman. La
création du monde, la célébration du shabbat, Jacob et les douze
tribus, l'histoire de Joseph, le cycle de Moïse, le livre d'Esther, la
destruction du Temple et l'exil sont les thèmes essentiels des coplas.
Les
coplas jouent un rôle primordial dans la transmission de la
connaissance de l'univers juif et elles permettent en même temps à la
langue séfarade d'atteindre le statut de langue littéraire qui lui était
jusqu'alors refusé.
Le cancionero est, de nos jours, la
forme de la culture séfarade la plus répandue et la plus connue. Le CD
que nous présentons fait indiscutablement partie de cette tradition. De
caractère fondamentalement lyrique, le cancionero adopte n'importe
quelle forme métrique. L'immense variété de thèmes qui apparaît dans
cette tradition favorise la popularité de ces compositions: chants
d'amour et de désamour, endechas (chants funèbres), chansons pour les
mariages, les naissances, cantos de parida, chansons d'enfants, chants à
motifs religieux, satiriques, etc.
Le cancionero s'inscrit
dans la tradition orale, qui se maintient jusqu'à la fin du XXème
siècle, exclusivement dans la bouche des femmes. Bien que quelques
chants aient leur origine dans la tradition hispanique médiévale,
l'immense majorité des morceaux que nous connaissons proviennent de la
diaspora, donc de lieux divers dont les traditions musicales, les formes
d'harmonisation et les langues respectives entrent dans un processus
d'osmose et de permanente interaction avec la culture séfarade.
Le cancionero
séfarade a subi de multiples influences : la France, l'Italie, la
Grèce, le Maroc, l'Argentine, parmi d'autres espaces géographiques,
l'opérette, le tango, le fox-trot, parmi les modalités musicales, l'ont
marqué de leur empreinte.
2. Un peu d'amour
Les
femmes séfarades, et les femmes juives en général, ont été au cours de
leur longue histoire, exclues des noyaux du rituel juif, où la musique
jouait un rôle central. Pendant trop longtemps, la tradition orale et sa
transmission se sont vues nier toute reconnaissance. Les spécialistes
lui attribuaient une nature archaïque (Idelsohn), niant sa dignité qu'ils reconnaissaient néanmoins à la musique liturgique -des hommes-.
Ce
qu'on appelle aujourd'hui la perspective de genre, c'est-à-dire le rôle
de la femme dans les différents espaces de la vie, est absente des
études plus ou moins académiques consacrées à ce patrimoine culturel
singulier (à
de rares exceptions près qui méritent d'être
signalées, comme les travaux de Seroussi, J.Cohen, Koskoff et S.
Weich Shahak).
Ces derniers ont introduit un peu de sérieux et un peu d'amour pour
révéler et reconnaître le rôle des femmes dans la conservation et la
protection du patrimoine culturel séfarade, en particulier musical.
Bien
que les femmes séfarades fussent exclues de la musique dénommée
religieuse, certaines eurent l'audace de s'y consacrer et composèrent
même des poèmes religieux. Malgré les limites qui leur étaient imposées
dans presque toutes les sphères de la vie publique, les femmes séfarades
trouvèrent l'espace et le temps pour chanter et conter. Les moments qui
apparaissent communément comme des passe-temps étaient occupés par les
femmes pour maintenir vivante la tradition musicale. Quand elles
lavaient, cousaient ou cuisinaient, elles entretenaient la tradition du
Cancionero ou du Romancero. Malgré l'opposition des rabbins qui
censuraient le chant des femmes, celles-ci profitaient des naissances,
des noces et des cortèges funèbres - circonstances où la censure se
relâchait - pour chanter et conter. Elles s'appropriaient le temps et
l'espace pour recréer leurs chants et leur langue séfarades. Elles
ménagèrent même de nouveaux domaines, quand elles se retrouvaient une
fois par semaine dans la maison de l'une d'entre elles, pour les
«compañas» où elles se consacraient à chanter les unes pour les autres.
Y
a-t-il une explication plausible à la survie du patrimoine musical
d'une communauté extrêmement religieuse et patriarcale, qui a toujours
vécu dans des contextes où elle était très minoritaire ? Oui, les
femmes, les femmes séfarades et leur tradition de transmission orale.
Le
CD que nous présentons demande qu'on accorde un peu d'amour à ces
femmes qui ont maintenu vivante une tradition musicale belle et
originale. Qu'on traite aussi ces mêmes femmes avec un peu de sérieux, y
compris dans les travaux académiques, afin de leur restituer la place
qui leur a été trop longtemps refusée.
Sebastian de la Obra
Historien, fondateur de la «Casa de la Memoria»de Séville
Membre de l'Ensemble de musique séfarade "Aljama"