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Symphonia 96153
octubre de 1995
Eremo di Ronzano, Bologna
Pierre GUÉDRON (c.1565-1621/2). Airs de cour
01 - Nicolas VALLET (1575-c.1642). Prelude III · luth
[0:55]
02 - Cessés mortels de soupirer
[3:45]
03 - Nicolas VALLET. Prelude XIII · luth
[0:55]
04 - Un jour l'amoureuse Silvie
[2:12]
05 - Elias MERTEL (c.1560-1626). Praeludium 175 · luth
[0:59]
06 - Quel espoir de guarir
[4:09]
07 - Elias MERTEL. Praeludium 131 · luth
[0:27]
08 - Doncques par force [3:35]
09 - Robert BALLARD (1575-c 1648). Première entrée de luth
· luth [1:31]
10 - Soupirs meslés d'amour. Récit
[2:54]
11 - Nicolas VALLET. Prelude VIII · luth
[1:12]
12 - Je voudrois bien chanter. A la
Reyne [3:11]
13 - Robert BALLARD. Cinquiesme entrée de luth ·
luth [0:58]
14 - C'en est fait je ne verray plus. A
la Reyne [4:43]
15 - Lors que Leandre amoureux
[4:06]
16 - Antoine FRANCISQUE (1570-1605). Prelude · luth
[1:43]
17 - Quel excès de douleur. Récit
[4:33]
18 - Elias MERTEL. Praeludium 109 · luth
[0:47]
19 - Aux plaisirs, aux delices bergeres
[2:24]
20 - Elias MERTEL. Praeludium 97 · luth
[0:37]
21 - En fin le juste Ciel
[4:20]
22 - Elias MERTEL. Praeludium 207 · luth
[0:57]
23 - Ce penser qui sans fin
[3:38]
24 - Elias MERTEL. Praeludium 93 · luth
[0:51]
25 - Quand premier je la veis. Récit
[2:12]
26 - Quoy? faut-il donc qu'Amour
[3:10]
27 - Elias MERTEL. Praeludium 179 · luth
[0:33]
28 - Si jamais mon ame blesée
[2:29]
29 - Elias MERTEL. Praeludium 3 · luth
[1:19]
30 - Donc ceste merveille des cieux. Récit
[5:16]
Claudine Ansermet, soprano
Paolo Cherici, liuto
»»» notas en espaņol
Seize pièces, (airs de cour judicieusement choisis dans
l’œuvre importante d'un compositeur presque oublié,
Pierre Guédron), mêlent ici leurs textes délicats
et souvent plaintifs aux préludes pour le luth composés
par les meilleurs luthistes français du XVllème
siècle: Nicolas Vallet, Robert Ballard, Antoine Francisque et
Elias Mertel, qui les encadrent et leur fournissent comme un
écrin sonore, grâce au toucher de Paolo Cherici.
Tout le premier XVIIème siècle français tient dans
ce dialogue entre le luth et la voix, dans cette atmosphère
galante et confidentielle, dans ce titre - emprunté a un air-
qui dit l'amour du temps pour la mélancolie et pour le soupir
amoureux, éloquent sinon sincère. Est-il possible de
rendre justice à Pierre Guédron, "compositeur en musique
de la chambre du roi" (Henri IV, en l'occurrence), dans ce
XVIIème siècle français on tout semble avoir
commencé avec Lully? (Les rois de France, eux-mêmes, Henri
IV et Louis XIII, ne voient-ils pas leur mémoire ternie par
celle du roi-soleil?)
Toute la musique du siècle se résumerait-elle celle que
produisit le temps de Louis XIV? Rien n'est plus faux,
évidemment. La riche tradition polyphonique qui avait
placé la France à la pointe des nations
européennes au XVIème siècle, est encore bien
vivace en 1600, quand Henri IV réorganise sa musique royale et
en confie le commandement Pierre Guédron. Après les
difficiles premières années du règne, la cour
demande des divertissements, des concerts, des ballets, des spectacles
surprenants et burlesques. Par dessus tout, on aime la danse, ses pas,
ses figures et ses symboles. Le ballet sera, sous Louis XIII, le
divertissement favori du roi et de sa cour. C'est aux mois de janvier
et février que les ballets sont les plus fréquents; on
les danse non seulement au Louvre, dans la grande salle qui contient
environ trois mille personnes, mais aussi dans les palais
privés, chez Marguerite de Valois ou chez le duc de Nemours. Les
courtisans prennent part aux ballets, déguisés en
personnages, allégories, figures burlesques, et dansent devant
les dames les entrées les plus extravagantes. Aux figures
dansées se mêlent des airs et des récits
chantés, accompagnés par des dizaines d'instruments,
violes, luths et cornets, notamment.
Les premiers airs d'un ballet, dépourvus de fonction narrative
ou dramatique, s'adressent généralement au roi ou a la
reine: Donc, ceste merveille des cieux s'adressait
vraisemblablement à Marie de Médicis: cet air a
été publié dès 1608, dans un recueil de
musique pour une voix et luth, avec la mention récit,
qui semble indiquer qu'il était associé à un
ballet. Je voudrois bien chanter ta gloire pourrait avoir
appartenu au Ballet de monseigneur le duc de Vendosme (l'un des
fils naturels d'Henri IV), dansé en 1610; une édition
nous informe qu'il s'adressait A la reyne; une autre, plus
tardive, précise que ce ballet se dansait à cheval. A
côté de ces pièces d'ouverture, d'autres, plus
impliquées dans la dramaturgie, accompagnent une action ou un
tableau. Aux plaisirs, aux délices, bergères,
publié en 1615, puis en 1617, a sans doute appartenu au Ballet
de Monsieur le Prince (Condé, bien entendu), dont le
poète Maynard avait écrit les textes. Parmi les airs
enregistrés ici, environ la moitié ont vraisemblablement
appartenu à des ballets de la cour; mais les sources musicales
sont très imprécises et la restitution de l'origine
exacte des airs reste aléatoire.
Il n'y a pas que les ballets qui sollicitent le compositeur d'airs. Il
y a aussi et surtout les salons, plus intimes, tel celui de la Marquise
de Rambouillet, qui choisit ses hôtes et leur impose les lois
rigoureuses de la courtoisie et du bien dire, et que fréquenta
vraisemblablement Pierre Guédron. Célèbre dans
toute l'Europe, le salon de Madame de Rambouillet accueillait tout ce
que la France comptait d'intelligences et de talents, tant
littérature et en poésie qu'en musique. Le chant y
était particulièrement prisé et la capacité
de bien chanter un air, ou mieux encore, de la chanter en
s'accompagnant au luth, faisait de celui qui la possédait un
hôte illustre et envié. Si, dans ce milieu
privilégié, les airs ont pour compagnon d'élection
le luth, (sans lequel la voix est réputée sans charme), a
la chambre du roi et pour son divertissement privé, on peut
supposer que les airs de cour sont chantés par des
spécialistes de la polyphonie, soit à quatre ou cinq
parties, tels qu'ils sont publiés avec le privilège royal.
Les airs choisis pour cet enregistrement ont le mérite de
montrer toutes les facettes de l'art de Pierre Guédron, depuis
la première période on il s'exerçait encore, comme
son prédécesseur Claude Le Jeune, a la musique
mesurée (Lorsque Léandre amoureux, sur des vers
mesurés de Nicolas Rapin, 1602), jusqu'aux grands récits
dramatiques comme Soupirs meslés d'amour et Quel
excès de douleur, publiés en 1620, l'année de
la mort du compositeur. Durant sa carrière de compositeur de la
chambre du roi, Guédron n'a cessé de s'intéresser
au développement des moyens de l'expression, tant dans la
polyphonie que dans le chant soliste; il a cherché, dans la
conjugaison de rythmes calculés sur la parole
déclamée avec des mélodies hautement chantantes,
un compromis nouveau. Aussi, même si la France du premier
XVIIème siècle marque un retard évident par
rapport à l'Italie, l'apport de Pierre Guédron au chant
français et au style récitatif encore très
balbutiant apparaît aujourd'hui décisif. Les historiens du
chant baroque s'accordent même à voir en lui le plus
certain prédécesseur de Lully.
On a déjà souligné combien les sources musicales
du temps sont imprécises et incomplètes. Elles ne disent
ni l'année, ni l'occurrence pour laquelle tel air a
été composé; elles ne mentionnent
qu'exceptionnellement le nom du poète, et pas toujours le nom du
compositeur; il n'est pas rare que des airs de Pierre Guédron
soient publiés anonymement. Aussi ne doit-on pas
s'étonner de voir des attributions incertaines, comme C'en
est fait, je ne verray plus, publié sans nom d'auteur, dans
un arrangement pour voix et luth de G. Bataille en 1613, ou encore Quand
premier je la veis, qui fut initialement mis en musique par Jehan
Planson, en 1587, puis publié, sous une autre musique, et sans
nom d'auteur, dans ce même recueil de 1613.
Un autre domaine où règne l'imprécision, voire le
non-dit, est la manière de chanter les airs. Les
témoignages du temps affirment tous que seul le premier couplet
était chanté simplement, comme il est noté dans
l'édition. Les autres couplets devaient être ornés
"avec goût" (le goût français était
constamment opposé, dans sa justesse et sa mesure, aux
excès du chant italien); il appartenait au chanteur d'inventer
des ornements, toujours renouvelés, représentatifs des
affects exprimés par les vers et ce pari n'allait pas sans de
grandes difficultés: il s'agissait en effet d'inventer une
virtuosité non écrite, et variable selon les
émotions à traduire. En outre, le public attendait que le
chanteur fit preuve d'une virtuosité mesurée, tout
à la fois spectaculaire et demeurant dans les limites du bon
goût. Si l'on ajoute à cela que pas une méthode de
chant contemporaine ne permet de se faire une idée de ce
qu'étaient ces ornements, on jugera de la difficulté
qu'il y a à tenter une restitution de ce répertoire
à la manière du XVIIème siècle.
C'est pourtant ce que Claudine Ansermet réussit parfaitement.
L'imagination qui nourrit l'invention musicale, la perfection de
l'exécution vocale et de l'élocution, font de son
interprétation une authentique et magistrale
démonstration du chant baroque français. Elle adopte
librement l'attitude imposée aux chanteurs du temps, qui
devaient se considérer comme les auxiliaires du compositeur,
dont ils complétaient l’œuvre par leur propre
invention. Celle-ci devait conjuguer une technique vocale
irréprochable et une capacité d'apporter à
n'importe quelle syllabe un ornement calculé dans sa
durée, son ambitus, sa forme, sa force expressive. Le chant
français ne se limitait donc nullement à
l'écriture dépouillée et sommaire que nous livrent
les éditions de musique. Aussi l'interprète moderne
doit-il faire tout un travail de redécouverte de ce
siècle lointain: redécouverte de ses goûts, de la
prononciation et de la musicalité qu'elle véhicule, du
concept d'éloquence verbale et de la manière de la
restituer par la voix chantée, du mode d'énonciation
correspondant à la sensibilité ancienne et tant d'autres
paramètres. Peu d'interprètes accomplissent ce travail
exigeant; l'accomplir, c'est se donner les moyens de sortir des
habitudes cent fois réitérées, d'un enregistrement
à l'autre, pour fournir à nos oreilles une musique
vivante et vibrante d'affects, une musique que les invités de la
marquise de Rambouillet auraient reconnue pour la leur
GEORGIE DUROSOIR