Deo Gratias Anglia / Ensemble Céladon
Polyphonies sacrées et chansons anglaises de la Guerre de Cent ans





medieval.org
æon AECD 1218

2012







1. Agincourt carol [4:58]
tutti
Cambridge Trinity College - Ms. 0.3.58, circa 1475

2. Angelus ad Virginem [4:40]
sopranos, contre-ténor
Cambridge, University Library - Add 710, fol. 130

3. Nowel sing we [3:03]
sopranos, contre-ténor
Oxford Bodleian Libray - Ms. Arch. Selden b 26, fol. 7, circa 1450

4. Now wolde y fayne [4:09]
sopranos, contre-ténor
Oxford Bodleian Libray - Ashmole 191

5. Pray for us [4:00]
tutti
Cambridge Trinity College - Ms. 0.3.58, circa 1475

6. Do way Robin ~ Sancta Mater gratiae [2:58]
sopranos, contre-ténor
London British Library 29, Cotton fragment, fol. 36

7. Perspice Christicola [3:31]
tutti
London British Museum 978, Harley, fol.. 11v
Summer canon, le texte latin étan une contrafacta
provenance: Abbaye Bénédictine de Reading Abbey, circa 1250

8. Stella Maris nuncuparis [1:23]
sopranos, contre-ténor
Chicago University Library 654, fol. 2v
provenance: Abbaye Bénédictine de Meaux, East Yorkshire, circa 1290

9. O Maria, Virgo pia [3:19]
soprano CC, contre-ténor
Worcester Cathedral Libray - Add. 68, nº XXIX, fol. a2-a2v

10. Virgo pudicicie [4:49]
sopranos, contre-ténor
Oxford Bodleian Library . Ravol. lit.d.3, fol 71

11. Gabriel fram Heven-King [3:47]
vièle, percussion
Improvisation d'aprés la chanson populaire éponyme, circa 1400

12. Lullay, lullow [3:08]
soprano AD, contre-ténor
London British Museum - Add. 5666

13. O sponsa Dei electa [2:42]
sopranos, contre-ténor
Worcester Cathedral Libray - Add. 68, nº XXIX, fol. b2v

14. There is no rose of such vertu [5:12]
soprano CC, contre-ténor, vièle, percussion
Cambridge Trinity College - Ms. 0.3.58

15. Singularis et insignis [2:13]
sopranos, contre-ténor
Worcester Cathedral Libray - Add. 68, nº XXIX, fol. a1-a1v

16. Do way Robin ~ Sancta Mater gratiae [3:06]
Canon - sopranos, contre-ténor
London British Library 29, Cotton fragment, fol. 36

17. Cormacus scripsit [1:09]
sopranos, contre-ténor
London British Library - Add. 36 929, fol. 59
Signature, fin du XIII. siècle




sopranos: Anne Delafosse (AD), Clara Coutouly (CC)
Contre-ténor: Paulin Bündgen (PB)
vièle: Nolwenn Le Guern (NLG)
percussions : Ludwin Bernaténé (LB)

Direction artistique, prise de son: Jérôme Lejeune.
Enregistrement : 23-26/06/2010, Eglise Notre-Dame de Centeilles, France







Deo Gratias Anglia
Polyphonies et chansons anglaises de la Guerre de Cent ans

Si le cavalier lourdement harnaché de l'enluminure qui illustre ce disque nous renvoie directement à l'univers très masculin des chevaliers, les deux femmes qui l'accompagnent rappellent par leur présence leur importance au Moyen Âge.

Notre enregistrement évoque abondamment la douce figure de celle qui est nommée «Étoile de la Mer», la Vierge Marie, idéal médiéval de la féminité. Sa grâce et sa bonté, les miracles et le merveilleux qui entourent son image sont le miroir inversé de la brutalité qui, au XIVe siècle, bouleverse une Europe déjà ravagée par la peste noire.


Un siècle de musique pour un siècle de guerre

Pendant cent seize ans, de 1337 à 1453, la France et l'Angleterre se livrent une guerre sans merci. Plantagenêts côté anglais, Valois côté français, et entre les deux, un épineux et douloureux conflit entrecoupé de trêves plus ou moins longues.

La Guerre de Cent ans qui consume les deux pays est le fruit pourri d'une situation politique et familiale délicate qui prend en grande partie sa source au cœur des problèmes de succession de Philippe le Bel. Après la mort du dernier fils de Philippe, son petit-fils Edouard III d'Angleterre brigue le Royaume de France.

La loi salique lui interdit de prétendre au trône mais, bien décidé à ceindre une double couronne, Édouard déclenche une guerre qui couvait depuis des décennies.

La présence de possessions anglaises en Aquitaine ne fait que compliquer la situation et offre un bon prétexte aux Anglais pour ouvrir les hostilités.

Cette discorde particulièrement longue est lourde de conséquences économiques, politiques, démographiques, diplomatiques et sociales pour les deux pays. La France finira par conserver sa couronne et reconstruire son royaume, après un siècle de querelles et de conflits armés. Aucun traité de paix ne fut toutefois signé, si bien que les rois anglais continuèrent de porter le titre de roi de France jusqu'en... 1810!

En Angleterre, loin des champs de bataille, l'activité spirituelle et intellectuelle s'intensifie. Plus que jamais, on prie, on chante. Fleurissent ainsi, un peu partout dans le royaume, diverses œuvres qui jalonnent et égayent la vie quotidienne.

Les musiciens laïcs poursuivent la tradition musicale et poétique des trouvères et des troubadours importée de France suite au mariage en 1154 de Henri II Plantagenêt et Aliénor d'Aquitaine.

Le Nord de la France et le Sud de l'Angleterre continuent d'échanger et de communiquer, même pendant la guerre, et le style français influence les musiciens d'Outre-Manche.

Cependant, une école de composition spécifique l'Angleterre voit le jour à la fin du XIIe siècle.

La technique du faburden (ou faux-bourdon), procédé d'improvisation consistant en l'ajout de deux voix parallèles à une mélodie préexistante, est largement utilisée et développée. L'emploi abondant d'harmonies basées sur la tierce et la sixte donnent à la polyphonie anglaise une couleur unique, à tel point que ce style si particulier, surnommé sur le Continent au XVe siècle la «Contenance Angloise», franchira la Manche et inspirera Guillaume Dufay et ses contemporains, juste retour des choses.

Les couleurs si caractéristiques de la «Contenance» illuminent les carols, genre spécifiquement anglais, aux accents populaires, qui naît et s'épanouit au XIVe siècle. Alternant la plupart du temps burden (un refrain généralement en latin) et verse (l'équivalent du couplet), ils abordent des sujets aussi variés que la politique, la foi, la guerre, la société ou l'amour. Des carols religieux accompagnent les grandes processions. Certains sont encore chantés dans les pays anglophones au moment des fêtes de Noël.

La musique sacrée constitue la majeure partie de la production musicale notée de l'Europe médiévale. N'oublions pas qu'en plus de susciter la ferveur des fidèles à l'office, elle est également fonctionnelle et sert à rythmer les diverses heures monastiques.

Les œuvres circulent, des liens se tissent entre le monde conventuel et séculier, les monastères, les bibliothèques.

Les moines sont moins reclus qu'on ne le pense... Ils courent la campagne, prêchant la bonne parole, commerçant avec les villageois, soignant les malades. Les Franciscains présents sur le sol anglais fédèrent et unissent la population grâce à des chants de facture simple, de plus en plus souvent écrits en langue anglaise, qui forgent durablement l'identité sonore du pays.

D'inspiration populaire et à l'impact fort, les musiques que nous avons choisies illustrent bien la variété des compositions musicales et poétiques de ce siècle trouble qui oscille entre barbarie et naïveté.






Peu d'indices...

Interpréter cette musique soulève bien des interrogations.

On sait peu de choses de l'art du chant au XIVe siècle en Angleterre. Si l'on se réfère aux clefs musicales dans lesquelles la musique est notée, les voix «hautes et claires» semblent appréciées.

Masculines? Féminines? Finalement, qu'importe. La mixité des interprètes, la présence ou non d'instruments dans la musique vocale ou le choix du diapason et du tempérament sont autant de questions ouvertes auxquelles le musicien d'aujourd'hui tente de répondre grâce à sa propre inventivité, son imagination, sa fantaisie.

Pour mener à bien ce projet, certains textes manquants ont dû être réécrits, des mots perdus, retrouvés. Des recherches ont été réalisées pour proposer une restitution des couleurs des langues anglaise et latine telles qu'elles auraient pu être prononcées au XIVe siècle. Un patient et passionnant travail musical a été mené pendant près de deux ans pour comprendre cette musique, l'investir, la faire devenir notre langage musical propre.

Il serait dommage de vous dévoiler tous les secrets de notre cuisine, car si l'imagination du musicien est nécessaire à l'approche du répertoire médiéval, celle de l'auditeur demeure, à nos yeux, la plus belle façon d'entrer dans cet univers.

Toutefois, signalons que selon les pratiques en usage au XIVe siècle, certains carols du programme ont été repensés, comme Nowel sing we, que nous avons choisi de chanter en faburden ou There is no rose auquel nous avons ajouté une ligne vocale supplémentaire.

Le fervent motet Sancta Mater se déploie sur une section de la mélodie populaire Do way Robin et recèle un canon habilement dissimulé par le compositeur. Nous proposons ici les deux versions, éclairages différents d'un seul bijou.

La pièce instrumentale imaginée par les deux musiciens se construit sur le thème du carol Gabriel fram Heven-King, chanson très à la mode en son temps en Angleterre et qui sert également de base au Conduit Angelus ad Virginem.

Enfin, le carol militaire Deo Gratias Anglia, qui donne son nom au projet, relate l'inattendu triomphe des troupes anglaises à l'issue de la bataille d'Azincourt.

L'affrontement a lieu au matin du 25 octobre 1415, sur le sol français, en Artois. La pluie discontinue qui tombe durant toute la nuit transforme la clairière d'Azincourt en un vaste champ de boue dans lequel rapidement les cavaliers français, mal préparés et trop lourdement harnachés — bien qu'étant en nombre largement supérieur — se gênent et s'engluent. Souples et expérimentés, les archers anglais embusqués à la lisière des forêts voisines saisissent leur chance et, en une demi-heure, taillent en pièces l'armée des Fleurs de Lys.

De nombreuses actions de grâce célèbrent aussitôt cette victoire, devenue depuis un événement fondateur de l'histoire Anglaise.


Cormacus scripsit hoc psalterium, ora pro eo

Comment définir cette miniature sonore qui clôt le disque?

Ces quelques phrases de chant apparaissent à la fin d'un psautier et constituent une petite énigme. Les trois lignes vocales doivent-elles être chantées en même temps (en polyphonie) ou séparément (en monodie)?

Nous avons opté pour la transcription polyphonique de la musicologue Susan Rankin, où éclate le caractère audacieux de cette courte pièce.

Dans un contexte où règne l'anonymat, le moine irlandais Cormacus, scribe du psautier, a signé son travail et nous lance, depuis le lointain XIIIe siècle, un émouvant appel à prier pour lui.

Un jour de juin, dans le calme de l'église de Centeilles, parmi les vignes et les cigales, nous avons chanté son nom.

Paulin Bündgen