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Musique en Wallonie MWH 1001 (LP)
Harmonia mundi HM 10069 (LP)
1980
CD, 2007: Musique en Wallonie MEW 0209
Gilles BINCHOIS
(Mons, vers 1400-Soignies, 1460)
1. «Mon cuer chante» [2:38]
2. «Triste plaisir» [3:28]
3. «Amoreux suy» [3:53]
4. «Dueil angoisseux» [2:47]
5. «Joyeux penser» [2:08]
6. «De plus en plus» [4:41]
7. «C'est assez» [2:03]
8. «Files à marier» [1:54]
9. «Jeloymors» [1:36]
Missa ferialis
10. Kyrie [2:59]
11. Gloria [3:53]
12. Sanctus/Benedictus [2:49]
13. Agnus Dei [4:12]
14. Magnificat [7:35]
15. «Adieu, adieu» [5:34]
Clemencic Consort
René Clemencic
Gerard Lesne, dessus I
Sergio Vartolo, dessus II
Henri Ledroit, bas-dessus I
Miesczyslaw Antoniak, bas-dessus II
Dominique Vellard, ténor
Andrew Schultze, baryton
René Clemencic, flûtes à bec
Peter Widensky, orgue positif, flûte à bec
Randy Cook, bombarde, flûte à bec, vièle
Bernhard Böhm, bombarde
Brigitte Ira, harpe médiévale, flûte
Mikis Michaelides, vièle
Michael Dittrich, vièle
András Kecskés, luth, qobus
Hans Tschedemnig, saqueboute
Karl Kautzky, saqueboute
Esmail Vasseghi et Wolfgang Reithofer, percussions
[CD]:
Production: Musique en Wallonie (première publication: 1980)
Direction artistique: Carl de Nys
Ingénieur du son: Maurice Precheur
Restauration: Marc Doutrepont (Equus)
Couverture: Henri Suso, Horologium Sapientiæ, Paris, ca. 1450-1460
(Bibliothèque royale Albert Ier - Beñgique, Ms IV 111, folio 16 vº
Graphisme: Édouard Capelle SPRL
Enregistrement: 27 novembre - 1er décembre 1979,
Wien, Schottenschift.
Réalisé avec le concours du Ministère de la Culture de la Communauté francaise de Belgique
(Service de la Musique et de la Danse)
Le destin des compositeurs est parfois étrange. Leur
présence dans la discographie moderne, plus encore. En 1979,
lorsque le Clemencic Consort enregistre ce disque consacré
à Binchois, aucun autre ensemble n'a encore proposé de
programme centré sur le musicien hennuyer. Les
interprètes réunis pour l'occasion n'avaient pas
même à leur disposition une édition fiable de la
production de Gilles de Bins. W. Rehm avait certes offert en 1957 une
édition des chansons, selon des critères philologiques
qui, s'ils ne sont plus véritablement d'actualité, n'en
demeurent pas moins sophistiqués, mais empreints de partis pris
aujourd'hui nuancés. En revanche, la musique sacrée ne
sera réellement accessible qu'au début des années
1990 grâce au travail de P. Kaye. Depuis une dizaine
d'années, de nombreux enregistrements de pièces de
Binchois ont paru. 1979: il n'y a pas même un quart de
siècle!
Destin étrange, car la réputation de Binchois
était au XVe siècle et encore durant le XVIe de vaste
étendue. Son nom est souvent associé à celui de
ses contemporains, Guillaume Dufay et John Dunstable. Ses œuvres
circulent abondamment et connaissent les honneurs de précoces
mises en tablature. Ses superbes mélodies inspirent ses
successeurs: Johannes Ockeghem compose une messe sur «De plus en
plus», John Bedyngham sur «Deuil angoisseux»;
Josquin, Agricola, Ghiselin, Brumel, Obrecht, Isaac et d'autres encore
ont rendu à leur façon un hommage au talent de Binchois.
La plus inspirée de ces marques d'admiration reste
incontestablement «Mort tu as navré de ton dart»,
une ballade composée par Ockeghem en mémoire de son
«compatriote».
En effet, tout comme Ockeghem, Binchois est né dans le Hainaut,
à Mons ou aux environs de Mons. Organiste à Sainte-Waudru
dès 1419, le jeune compositeur aurait été au
service du duc de Suffolk, avant de déposer les armes pour
intégrer, a fin des années 1420, la chapelle des ducs de
Bourgogne. Qu'il n'ait pas possédé de titre
universitaire, ni même été ordonné
prêtre, n'a pas empêché Binchois d'obtenir de
rentables prébendes, à Saint-Donatien de Bruges, à
Sainte-Waudru de Mons, à Saint-Vincent de Soignies et
Saint-Pierre de Cassel. Son talent suffisait. Le duc de Bourgogne en
était conscient, plus que tout autre. Il lui accorde ces
quelques prébendes, mais le gratifie aussi d'un titre
honorifique ou le rémunère ponctuellement pour divers
services. Ses obligations à la cour supposent une
présence assidue, contrairement aux prébendes. Lorsque le
compositeur décide, fin 1452, de se retirer à la
collégiale Saint-Vincent de Soignies, il continue — et
ceci est exceptionnel — de recevoir une pension de la cour.
À Soignies, Binchois n'est pas isolé: Guillaume Malbecque
et probablement Johannes Regis y résident également. Et
ces trois musiciens feront de la petite ville un centre musical de
grande renommée.
Binchois bénéficie d'avantages inhabituels donc. Il
fréquente la cour la plus brillante de la première
moitié du XVe siècle. Comme ses contemporains, il dut
recevoir une éducation solide durant sa jeunesse. Formé
au chant, il n'oubliera pas de mettre la voix en évidence dans
de somptueuses lignes mélodiques. Qu'il ait été
lui-même un chanteur hors norme, rien ne permet de l'affirmer. On
aimerait croire qu'il possédait cette «vox aurea»
qui ne fut certainement pas l'apanage du seul Ockeghem. De là
l'intérêt de cet enregistrement qui réunissait de
jeunes chanteurs amenés à jouir d'une renommée
internationale. Le concert des voix et des instruments tel que
l'imaginait à la fin des années 1970 René
Clemencic ne correspond pas idéalement au savoir musicologique
actuel, mais la soif de découverte d'univers sonores
inexplorés, la fraîcheur de voix que l'on imagine celle de
ces jeunes chanteurs franco-flamands quelques années
après la mue, le souci d'une franche expressivité font de
l'expérience du Clemencic Consort un moment important de
l'histoire de la redécouverte des musiques anciennes au XXe
siècle.
Le programme avait également été soigneusement
dessiné par René Clemencic. Car bien avant
l'édition de l’œuvre sacrée de Binchois en
1991, il avait compris que le talent du maître hennuyer n'est pas
uniquement confiné à la sphère profane. Certes,
ses rondeaux, avec l'émouvant «Triste plaisir et
douloureuse joie» sur un texte d'Alain Chartier, ses ballades,
avec le puissant «Deuil angoisseux rage
démesurée» sur un texte de Christine de Pisan
comptent parmi les plus belles réussites du temps. Mais les
sections de messe méritent plus qu'un détour: elles
occupent une position centrale dans l'activité d'un compositeur
attaché à des institutions religieuses durant sa
carrière. Toutefois, contrairement à ce que Clemencic
croyait, Binchois n'a apparemment pas composé de cycle
unifié, mais des sections indépendantes. La Missa
ferialis présentée ici est une reconstitution
hypothétique d'un cycle complet (sans Credo) permettant de
mesurer la diversité du langage musical de Gilles de Bins.
Philippe VENDRIX
The destiny of composers is sometimes strange, and their inclusion in
modern discographies stranger still. In 1979, when the Clemencic Consort
made this recording of music by Gilles de Bins, usually known as
Binchois, no other ensemble had even thought of making him the centre of
an entire programme. The performers who came together on that occasion
did not even have access to a reliable edition of his works. In 1957 W.
Rehm produced a critical edition of his songs, but sophisticated though
his editorial criteria were, his work is marked by some rather biased
assumptions and now seems somewhat dated. By contrast Binchois' sacred
music was forgotten until the 1990s when it surfaced again thanks to the
labours of P. Kaye. The last ten years have seen numerous recordings of
Binchois' music. What a change in only twenty years!
Yet
Binchois' reputation extended far and wide in the 15th century and well
into the 16th. His name was often linked with those of his
contemporaries Guillaume Dufay and John Dunstable; his works circulated
widely and were given the distinction of being noted down in tablature.
His successors drew inspiration from his splendid melodies: Jean de
Ockeghem composed a mass on "De plus en plus", John Bedyngham wrote one
on "Deuil angoisseux", while Josquin, Agricola, Ghiselin, Brumel,
Obrecht, Isaac and others besides paid homage to his talents in their
own ways. The most inspirational of these tokens of esteem was
undoubtedly the ballad "Mort, tu as navré de ton dart", which Ockeghem
composed in memory of his "compatriot", as he called him.
Like
Ockeghem, Binchois was born in the province of Hainaut, in or near its
capital, Mons. Organist at the church of St Waudru from 1419, the young
composer is thought to have been in the military service of the Duke of
Suffolk before laying down his arms in order to join the musical
establishment of the Dukes of Burgundy towards the end of the 1420s. The
fact that he had not taken a university degree or been ordained priest
proved no obstacle to his benefiting from handsome stipends as a
prebendary of St Donatian in Bruges, St Waudru in Mons, St Vincent at
Soignies and St Vincent at Cassel. His talents were enough, as the Duke
of Burgundy knew better than anybody. He granted Binchois this handful
of prebends, but also honoured him with a title and remunerated him for
various services. Unlike his prebends, Binchois' responsibilities at the
ducal court demanded his constant presence. When he decided to retire
to the collegiate church of St Vincent at Soignies late in 1452 he
continued to receive a court pension, which in those days was quite
unusual. Nor was he isolated in his retirement: Guillaume Malbecque and
probably Johannes Regis also lived at Soignies. Between them these three
musicians made the little town a famous musical centre.
Binchois
enjoyed many rare advantages. He was a member of the most brilliant
court in the first half of the fifteenth century and, like his
contemporaries, he must have received a thorough education. A trained
singer himself, he was always careful to focus attention on the voices
by providing them with sumptuous melodic lines. But there is no evidence
that he himself was an outstanding singer however much we might like to
think that he, too, possessed that "vox aurea" ("golden voice") which
was surely not Ockeghem's alone. This is what makes this recording from
the late 1970s so interesting. It brought together a group of young
singers whose reputation was to become worldwide. The ensemble of voices
and instruments created by René Clemencic may not correspond ideally to
present-day musicological knowledge, but the enthusiasm of these young
Franco-Flemish singers to discover as yet unexplored musical worlds, the
fresh sound of their voices, which seem to have broken only a few years
before, and their eagerness to achieve straightforward expression make
this performance by the Clemencic Consort a memorable milestone in the
twentieth century's rediscovery of ancient music.
The programme
was carefully devised by Rene Clemencic. Well before the publication of
Binchois' sacred works in 1991, he realized that the musical talents of
the Hainaut master were not confined to the realm of secular music. Of
course his rondeaux, including the touching "Triste plaisir et
douloureuse joie" to a text by Alain Chartier, and his ballads, such as
his powerful setting of Christine de Pisan's "Deuil angoisseux, rage
démesurée", are amongst the most beautiful masterpieces of the period.
His settings of sections of the mass are well worth more than a glance;
indeed they occupy a central position in the output of a composer who
worked for religious establishments throughout his career. Nevertheless,
contrary to what Clemencic believed, Binchois appears to have composed
independent pieces rather than a unified cycle. The Missa ferialis
presented here is a hypothetical reconstruction of a complete cycle
(though lacking a Credo) which provides an insight into the whole range
of Gilles de Bins's musical language.
Philippe VENDRIX
Translated by Celia SKRINE