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capilla.be
Ricercar 306
2010
ANTE MISSAM
1. In minen sin [2:16] Alexander AGRICOLA
2. Si j'aime mon amy [0:59] (Alexander AGRICOLA)
3. Bien soiez venu ~ Alleluia [1:13] Anonyme
4. In mynen zin [1:48] Anonyme
AD MISSAM
Alexander AGRICOLA. Missa In myne Zyn
5. Gloria [9:13]
6. Comme femme desconfortée II [2:24]
A. Agricola (G. Binchois)
7. Credo [10:17]
8. D'ung aultre amer III [1:51]
A. Agricola (J. Ockeghem)
9. Sanctus [9:19]
10. Tout a par moy II [2:54]
A. Agricola (W. Frye)
11. Agnus Dei [7:37]
AD VESPERAM
12. Pater meus agricola est [6:49] Alexander AGRICOLA
13. Regina coeli [3:08] Alexander AGRICOLA
CAPILLA FLAMENCA
Dirk Snellings
Marnix De Cat, contre-ténor
Rob Cuppens, contre-ténor (pl. #11)
Tore Denys, ténor
Lieven Termont, baryton
Dirk Snellings, basse
Liam Fennelly, viole de gambe
Thomas Baeté, viole de gambe
Piet Stryckers, viole de gambe
In samenwerking met Davidsfonds / Eufoda
Conception et direction artistique : Dirk Snellings
Enregistrement : Abdijkerk van Park, Heverlee, mai & juin 2010
Prise de son et montage : Jo Cops
Production : Jérôme Lejeune
Photo Capilla Flamenca : Miel Pieters
Illustration du recto : Hans Memling (1425/40-1494) :
Portrait de Maria Portinari (New York Metropolitan Museum of Art)
© The Metropolitan Museum of Art / Arts Ressource / Scala, Florence
CAPILLA FLAMENCA : www.capilla.be
With the support of the Flemish authorities
Ⓟ & © Outhere 2010
English liner notes
ALEXANDER AGRICOLA
Imaginez-vous qu’un compositeur du début de
l’époque baroque soit déplacé vers la fin du XVe siècle et qu’il
s’imprègne du langage musical de son nouveau milieu en y apportant sa
propre sensibilité : certes, l’idée est étrange, mais elle donne une
bonne impression du talent surprenant et mercuriel d’Alexander Agricola.
Tout simplement, aucun autre compositeur de la dite « génération de
Josquin » ne garde une telle quantité d’atouts cachés. On ne s’étonne
pas qu’un musicien presque contemporain aurait dit que la musique
d’Agricola était « folle et étrange ».
Agricola est né à Gand aux
environs de 1456 (ce qui est près de dix ans plus tard que l'estimation
précédente). Fait remarquable, sa mère qui ne s’était pas mariée, était
une talentueuse femme d ’aff aires ; elle aurait financé elle-même
l’éducation de ses fils. Son père, par contre, était un personnage peu
fiable ; néanmoins, Alexander adopta une version latinisée de son nom
(Ackermann) comme pseudonyme. Il semble qu’Agricola ait passé le début
de sa carrière en France, travaillant à la chapelle royale sous la
direction du compositeur le plus important de l’époque, Johannes
Ockeghem († 1497). Agricola quitte la cour au début des années 1490 pour
travailler en Italie ; tant pour cette décennie que pour une grande
partie de sa carrière, il reste très diffi cile de déterminer exactement
les lieux où il a résidé ; tout au plus arrive-t-on à préciser l'un ou
l'autre séjour de quelques mois.
Cette situation change en 1500,
quand il s’installe à la cour de Philippe le Beau, duc de Bourgogne, le
fils et héritier de l’empereur du Saint-Empire romain Maximilien Ier. À
partir de ce moment, on connaît plus précisément ses déplacements car il
suit les mouvements de la chapelle de la cour. Si les comptes de la
cour nous apportent cette information, hélàs !, ils ne nous permettent
pas de découvrir sa personnalité. Deux de ces voyages le conduisent en
Espagne. Le deuxième lui sera fatal : son épitaphe stipule qu’il décède
des suites d’une fièvre à Valladolid aux environs du 16 août 1506 et
qu’il est enterré dans l’enceinte de la ville.
Paradoxalement, la
personnalité d’Agricola reste très secrète alors que les
caractéristiques de ses œuvres nous apparaissent avec tant d’évidence.
Ce qui est également surprenant, c’est que son collègue à la cour de
Bourgogne/des Pays Bas n’est autre que Pierre de La Rue (dont de
nombreuses œuvres ont été enregistrées par Capilla Flamenca) ; les
personnalités musicales des deux musiciens sont très contrastées.
Le
style de La Rue est sérieux et sobre et ne laisse pas la place à
beaucoup d'expressivité ; son goût pour le canon et autres procédés
systématisés illustre parfaitement la tradition du « Kunst der
Niederländer » du début de la Renaissance. Agricola, par contre, semble
prendre plaisir a déjouer toutes les attentes : ses idées mélodiques
sont exubérantes, les voix suivent leurs propres lignes (un cliché du
style polyphonique) mais se permettent aussi des chemins divers. Les
chanteurs sont aussi amenés à faire usage d’une virtuosité inusitée.
Agricola
fait-il tout cela pour paraître original ? C'est probable, mais il est
tentant de penser que son sens de l'humour saugrenu est destiné à ses
collègues chanteurs ; parmi eux doivent se trouver les meilleurs talents
musicaux de l’époque, qui peuvent non seulement réaliser sa polyphonie
extravagante mais aussi apprécier l’originalité de son invention. Ceux
qui ont chanté sa musique en reconnaissent le caractère excitant qui dut
être apprécié par l’auditeur attentif de l’époque, comme il l’est
encore de nos jours !
Le joyau de cet enregistrement est la Missa In myne Zyn,
la plus longue et probablement la dernière des huit Messes de sa
composition qui nous ont été transmises. Basée sur une adaptation
polyphonique d’une mélodie populaire hollandaise éponyme réalisée par
Agricola lui-même, la Messe a probablement été composée pendant son
séjour à la cour de Bourgogne. Le Kyrie manque dans les deux sources
manuscrites de la Messe, mais il est très probable que cette absence
soit un accident survenu lors des copies. Les quatre mouvements qui
subsistent durent environ quarante minutes. Par rapport aux habitudes de
cette époque, chaque mouvement contient plus de subdivisions. Par
exemple, le deuxième Agnus Dei est subdivisé en trois parties,
une pour chaque ligne du texte : un trio pour « Agnus Dei », un duo pour
« qui tollis peccata mundi » et les quatre voix pour « miserere nobis
». Le compositeur a évidemment conçu son œuvre d’une façon assez
développée.
Tout comme le faisait Ockeghem avant lui, Agricola
n’introduit la mélodie empruntée que très rarement d’une façon très
perceptible. Dans cet esprit, la Messe est une sorte de « fantaisie »
sur In myne Zyn. Il est possible de distinguer des passages brefs
qui se retrouvent à toutes les voix de la version d’Agricola ;
disparaissant aussi rapidement qu'ils sont apparus, on les trouve dans
tous les mouvements et plus spécifiquement dans la section finale.
Il
y a aussi des phrases individuelles, plus ou moins ornementées, qui
sont traitées de manière épisodique ; en effet, la seule fois où la
mélodie se fait entendre dans son entièreté se trouve dans la deuxième
version de l’Osanna. Il est étrange qu’Agricola n’introduise pas de césure entre l’Osanna et le Benedictus qui le précède ; ce Benedictus
consiste en une série kaléidoscopique de duos qui répètent de façon
obsessionnelle des morceaux de phrases très similaires. Le début du
deuxième Osanna est aussi le moment où l'on entend la seule
exposition de la mélodie dans le ténor (en fait, une des deux voix
intérieures) ; c’est comme si le compositeur voulait signaler qu’il fait
quelque chose d’inattendu. Le moment le plus étonnant de la messe se
trouve dans l’Agnus Dei III ; la mélodie apparaît dans la ligne
de basse, mais avec des longueurs de notes qui diff èrent totalement du
rythme des trois autres voix : on a bien l’impression que ce nouveau
rythme fait tourner ces trois voix comme des toupies. C’est un moment
extraordinaire qui conclut l’œuvre avec une exubérance caractéristique.
Mais les dons d’Agricola vont plus loin que cette invention imaginative :
quand il le veut, il est bien capable d’écrire avec fluidité, lucidité
et grand lyrisme ; sa première mise en musique de l’Agnus Dei en
est un bel exemple. Ailleurs, il montre qu’il connaît très bien les
conventions de son époque : le commencement mélismatique du Sanctus rappelle les meilleures versions de la messe de son temps, pendant que le rythme et l’architecture du Credo portent le sceau d’un maître. Enfin, la Missa In myne Zyn
récapitule à la fois l’art d’Agricola et les possibilités dans la
composition des messes au moment de l’apogée de la tradition du cantus
firmus.
Notre enregistrement commence avec plusieurs autres mises en musique d’In myne Zyn, y compris celle d’Agricola pour trois voix qui deviendra la base de la messe ; il y a aussi sa version courte du Regina cœli,
l’antienne mariale renommée, dont la mélodie grégorienne apparaît dans
la voix supérieure. La messe proprement dite est entrecoupée de versions
plus courtes d’autres chansons bien connues de l’époque écrites par
quelques compositeurs renommés de la génération précédente : Comme femme desconfortée de Binchois († 1460), D’ung aultre amer de Johannes Ockeghem et Tout a par moy
d’un anglais, Walter Frye. Ces courtes mises en musique, probablement
conçues pour des instruments, montrent bien l'intérêt d’Agricola pour le
contrepoint libre construit à partir des thèmes courts et piquants qui
passent d’une voix à l’autre, souvent pas au même moment. Pater meus Agricola est (Mon Père est agriculteur)
est d’une invention tout à fait libre, sans aucun emprunt ; à cause de
cette pratique assez insolite, l'on ne s’étonne pas que son titre fasse
un jeu de mots sur une citation de la Bible et sur le nom du compositeur
(agriculteur = agricola en latin). La musique nous rappelle des
fantaisies instrumentales postérieures par sa forme modulaire et
librement articulée, son interaction des motifs imitatifs et ses
changements de mètre sporadiques.
Cette imagination et ce plaisir
du détail et de l'ornementation ont eu pour effet que la musique
d’Agricola est parfois décrite comme étant de l'improvisation. Même s’il
y a peut-être une part de vérité là-dedans, on ne doit pas exagérer cet
élément de sa musique. Malgré l'abscence de preuves, on dit souvent
qu’Agricola pourrait bien avoir été instrumentiste. En effet, plus on
examine les détails de son contrepoint, plus on a l’impression que la
partie imaginative a été organisée bien soigneusement — ou du moins
qu’elle a été bien planifiée. La sensibilité d’Agricola est clairement
autre que celle de La Rue ou de Josquin, ces deux étant souvent
considérés comme les archétypes de la polyphonie du début de la
Renaissance. Il est donc important de rappeler que, pour autant qu'on le
sache, Agricola n'est pas arrivé dans le XVe siècle par téléportation !
On peut décrire son art comme une extension maniériste du style musical
de son temps. Son humour original nous offre un équivalent musical des
peintures de Pieter Brueghel l’Ancien, où les jeux cachent parfois un
objectif sérieux et parfois sont joués purement pour le plaisir.
FABRICE FITCH
ALEXANDER AGRICOLA
Imagine an early baroque composer being
teleported into the late fifteenth century, absorbing the musical
language of his new environment, and bringing to it his particular
sensibility: a rather far-fetched analogy, perhaps, but one that gives
an impression of Alexander Agricola's startling, mercurial imagination.
Quite simply, no other composer of the so-called ‘Josquin generation’
has as many tricks up his sleeve. A near-contemporary musician once
referred to his music as ‘crazy and strange’: no wonder.
Agricola
was born in Ghent, probably around 1456 (that is, about ten years later
than had been generally assumed until recently). Remarkably, his mother
was an unmarried and highly successful businesswoman who seems to have
provided for her sons’ education by her own means. His father, by
contrast, was an unreliable and slippery character, but Alexander took
the Latinized form of his name, ‘Ackermann’, as a nom-de-plume. He seems
to have spent his early career in France, and served for some time in
the chapel of the French royal court under the most distinguished
composer of his age, Johannes Ockeghem (d. 1497). Agricola left the
court in the early 1490s to work in Italy, but in that decade (as for
most of his career) it’s impossible to be certain of his whereabouts for
more than a few months at a time. That changes in 1500, when he settled
at the court of Philip the Fair, Duke of Burgundy, the son and heir of
the Holy Roman Emperor Maximilian I. Thereafter he continued to travel
with the itinerant court’s chapel, so we can follow his movements quite
closely. However, we know of these only through payment records that
tell us absolutely nothing of the individual. These travels included two
visits to Spain, the second of which was fatal to the composer: a later
epitaph tells us that he died suddenly of a fever at Valladolid on or
shortly after 16 August 1506, and was buried within the city walls.
It’s
ironic that Agricola the man should be so completely hidden from view,
for his individuality as a composer so often comes across with startling
clarity. It’s equally ironic that his colleague during his time at the
Netherlands/ Burgundian Court should have been Pierre de La Rue (whose
music Capilla Flamenca has recorded extensively), for it is difficult to
imagine two more contrasted musical personalities. La Rue’s style is
one of sober seriousness and expressive restraint; his taste for canon
and other systematic devices epitomizes the tradition of the early
Renaissance Kunst der Niederländer. By contrast, Agricola seems
to take great pleasure in confounding expectations: melodic ideas are
tossed about exuberantly, voices not only follow their own course (a
cliché of polyphony) but actually pull the music in different directions
at once, and the singers are frequently called on to display
extraordinary athleticism. Is Agricola just showing off? Perhaps, but
it’s tempting to think that his outlandish humour is directed at his
fellow-singers, who would have included some of the finest musical minds
of the time, and would not only have been able to perform his exuberant
polyphony but also appreciate the originality of his invention. Anyone
who has performed his music knows how exciting it is to do so;
inevitably, now as then, that excitement communicates itself to the
attentive listener.
The centerpiece of this recording is the Missa In myne Zyn,
his most extended Mass cycle and probably the last of his eight Masses
to have come down to us. Based on Agricolás own polyphonic setting of a
popular Dutch tune that gives the Mass its name, it must have been
written during his period of employment at the Burgundian court. Neither
of the work’s two sources includes a Kyrie, but that is in all
likelihood an accident of transmission. The four remaining movements
last about 40 minutes in performance. Each movement has a greater number
of sub-sections than is usual in this period: the second ‘Agnus Dei’
invocation, for example, has individual sections for the three parts of
the text: a trio for ‘Agnus Dei’, a duo for ‘qui tollis peccata mundi’,
and the full four voices for ‘miserere nobis’. Clearly, the composer
conceived the work in the most expansive terms.
Agricola, like
Ockeghem before him, seldom presents the borrowed tune audibly or
straightforwardly. In this sense, the Mass is like a ‘fantasia’ on In myne Zyn.
However, brief passages alluding to all three voices of Agricola’s
setting (particularly its closing section) may be heard in each
movement, only to disappear as quickly as they appeared. Elsewhere,
individual phrases, more or less ornamented, are heard episodically. In
fact, the only time the tune is heard in its entirety is in the second
setting of the ‘Osanna’. Unusually for a large-scale Mass of this period, Agricola has no break between this section and the preceding Benedictus,
which itself consists of a kaleidoscopic series of duos that
obsessively repeat very similar snippets of material. The point at which
the second ‘Osanna’ begins is also the point when we hear this
unique statement of the tune in the tenor (in fact, one of the two inner
voices): it is as though the composer is deliberately signaling that he
is doing something unusual. But the most astonishing passage of the
entire Mass is its concluding Agnus Dei III, in which the tune
appears in the Bass, but in note-lengths that are completely different
from the rhythm of the three other voices, which sets them spinning
around like tops. It is an extraordinary moment, and brings the work to a
typically exuberant conclusion. But Agricola isn’t all fantastical
invention: when the mood takes him, he is just as capable of fluent,
lucid, deeply lyrical writing: the first setting of the Agnus dei illustrates this beautifully. Elsewhere, he shows himself to be aware of convention: the melismatic opening of the Sanctus is typical of the best Mass-settings of his time, and the pacing and architecture of the Credo reveals the sure touch of a master. Altogether, the Missa In myne Zyn sums up both Agricola’s art and the possibilities of Mass composition at the culmination of the cantus firmus tradition.
Our recording opens with a number of other settings of In myne Zyn,
including Agricola’s three-voice setting on which he went on to base
the Mass-setting; and near the end is his short setting of a famous
Marian antiphon, the Regina cœli, whose well-known plainchant is
heard in the top voice. The Mass itself is interspersed with shorter
three-voice settings of other well-known tunes of the day by some of the
most famous names of preceding generations: Comme femme desconfortée is by Binchois (d. 1460), D’ung aultre amer by Johannes Ockeghem, and Tout a par moy
by the Englishman Walter Frye. These short settings, which may have
been intended for instrumental performance, nicely illustrate Agricola’s
habit of building free counterpoint on short, pithy motives that are
passed from voice to voice, even on different parts of the beat. Another
piece is completely freely invented, with no borrowed material at all.
This, again, is rather unusual, and so it’s perhaps not surprising that
its title puns on a biblical quotation and the name of our composer: ‘My
father is a farmer’ – ‘farmer’, Latin for ‘Agricola’. The music reminds
one of the later instrumental ‘fantasia’, with its freely articulated
sectional form, its interplay of imitative motives, and its occasional
changes of metre.
This sense of fantasy, of delight in detail and
ornament, has sometimes led to Agricola’s music being described as
improvisatory. While it may contain an element of truth, this element of
his music should not be overstated. (In support of this claim, it is
often said that he may have been an instrumentalist, but the evidence
for this is inconclusive.) In fact, the more closely one examines the
details of his counterpoint, the more one has the impression that its
more fantastic elements may have been rather carefully organized, or at
any rate closely considered. Agricola’s sensibility is clearly very
different from those of La Rue or Josquin, who are often held up as the
archetypal representatives of the polyphony of the early Renaissance. So
it’s important to remember that, as far as we know, Agricola didn’t
arrive in the fifteenth century in a time machine; rather, his art might
be described as a mannerist extension of the musical style of his time.
Its quirky humour offers a musical equivalent of the paintings of
Pieter Brueghel the Elder, in which games and play sometimes conceal a
serious purpose, and are sometimes indulged in, quite simply, for their
own sakes.
FABRICE FITCH