Balades a III chans de Johan Robert «Trebor» & al. / Ferrara Ensemble


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"This recording consists of primarily French (with one Italian, but performed instrumentally) secular songs; sources are the Codex Chantilly and Modena MS. The featured composer is the "Trebor" of the Codex Chantilly, tentatively identified as Johan Robert; track #2 is especially impressive".

medieval.org
Arcana A 32
marzo de 1994
Église Catholique de Seewen (Soleure)






01 - Johan ROBERT «TREBOR». Helas pitié envers moy dort si fort   [6:05]

02 - Johan ROBERT «TREBOR». Si Alexandre et Hector fussent en vie   [13:00]

03 - Baude CORDIER. Tout par compas suy composés   [2:11]

04 - Adieu vous di, tres doulce compaynie   [3:30]

05 - Matteo de PERUGIA. Rondeau-refrain   [1:52]

06 - Matteo de PERUGIA. Pres du soloil deduissant s'esbanoye   [10:00]

07 - Antonio da CIVIDALE. Io vegio per stasone   [2:30]

08 - Lamech Judith et Rachel de plourer   [3:21]

09 - Le mont Aon de Thrace, doulz pais   [11:11]

10 - Magister GRIMACE. Se Zephirus, Phebus et leur lignie   [4:52]



fuentes:
Chantilly, Musée Condé Ms. 1047
Modena, Biblioteca Estense Ms. α5.24




FERRARA ENSEMBLE
Crawford Young

Lena Susanne Norin, alto
Kathleen Dineen, soprano
Stephen Grant, baritone

Randall Cook, viola d'arco
Norihisa Sugawara, viola d'arco, luth
Debra Gomez, harpe
Crawford Young, luth et guitare



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"Tout par coinpas suy composés en ceste ronde proprement... " (Artfully was I composed, correctly upon this circle... ).The opening words of Magister Baude Cordier's celebrated canon can be applied to a number of aspects of his composition, including the canonic form of the work, its careful counterpoint and phrase balance, its tuning system, and the unique layout of the notation as a visual complement or symbol (created, one imagines, to enrich the hearing of the piece). Had Cordier played the tenor of the song on a lute, say, while singing the cantus, the tune's opening words would have been more fitting still: the design of that instrument, according to Arnaut de Zwolle's construction plan of c. 1440 began with a compass-drawn circle and proceeded exclusively with Pythagorean proportions (all based on the prime numbers 1, 2, 3) to complete its measurements. It may not be too farfetched to imagine that Cordier knew the precepts of the so-called Berke1ey Treatise (Paris, 1375, which included the following: "It must be noted that one may well syncopate in discanting and sing various mensurations that differ from that of the tenor, so long as he knows how to proportion them properly to each other and maintain properly his co-equal mensuration; otherwise he should not concern himself with these things".

To be sure, some of the composers represented in Chantilly Codex concerned themselves very much with these things; they made fashionable, cutting-edge secular motet-chansons that would prove the cultural superiority of their patrons' court establishments (courts that held obedience to papal Avignon); their art was self-conscious and, with explicit intention, more "developed" than that of previous masters. Their songs have come down to us only in shadow form, that is, as musical notation developed after-the-fact of the music tradition itself. There can be little doubt that what was recorded in musical notation was not always a literal transcription of performance, and that singers capabilities went well beyond the limits of the notation.

Within the same artistic society which dictated proportion, Pythagoras and rationality, there lived a group of 'irrational fools' - the "fumeurs ". They were moral-political satirists, "all the musicians, master astronomers, engineers, masons, carpenters, who willingly follow Fumée, players of organs and cymbals...", self-described as melancholic, quarrelsome, lazy, egoistic artist types with a drinking problem: 'beat poets' of the latter fourteenth-century. Part of Chantilly belongs to them, for their music is that of self-conscious elitists, stretching limits and challenging tradition.

The composer called "Trebor" in Chantilly is relatively well-represented in the manuscript, yet his identity remains problematic; his real name was most likely Johan Robert or Roubert. Six ballades are attributed to this singer, and the quality of the pieces (listen for example, to the beautifully crafted melody of [/i]Helas pitié[/i] is such that one longs for a larger body of preserved works and surer stylistic criteria. Modern research has linked these pieces with the courts of Aragon, Foix and Burgundy, specifically with the patrons, respectively, John I, Gaston Fébus and Jean, Duke of Berry. Of the two "Trebor" compositions presented here, one can probably be associated with Mathieu de Foix, successor to Gaston Fébus, dated c 1393-4 (note: for this recording, Gordon K. Greene's suggestion for two missing lines of text in the third strophe has been adopted). The opening line of this piece, Se Alixandre et Hector fussent en vie features a conditional construction, and indeed the prevalent use of the conditional mode in a number of Chantilly ballades (see comments by Nicoletta Gossen) has a kind of parallel in the musical settings. Cadences are prepared, hinted at, led up to but then resolved in a different way than expected, as if to say, "if the phrase ended here, then?" Another technique for extending a phrase, giving it alternate chances to finish, is the use of sequences, as in [/i]Adieu vous di[/i] or the second section of Le mont Aon de Thrace. A counterpoint of "ifs"; what the ear thinks should happen does not in fact always happen, and the unexpected is the only sure thing to be expected.
Crawford Young




Les chansons présentées dans cet enregistrement ont été écrites à la fin du XIVe siècle et transmises dans les manuscrits Chantilly, Musée Condé Ms. 1047 et Modena, Biblioteca Estense Ms. α5.24. Elles appartiennent au style que la musicologue Ursula Günther a appelé Ars subtilior (Art plus raffiné) en sebasant sur des sources de l'époque. Ce style était en vogue a la cour des papes à Avignon et à Milan, ville fortement influencée par la France. Ces chansons se distinguent par plusieurs actéristiques de ce qu'on connaît par exemple d'un Guillaume de Machaut. Les différences concernent les relations entre les voix et surtout le rythme. La complication du dernier produit une complexité extrême de la notation qui trouve son apogée dans le manuscrit de Chantilly.

En regardant ces ballades, on reconnaît tout de suite leur parenté avec la poésie musicale de l'amour courtois. Mais soit dans le domaine de la musique, soit dans celui du texte, on trouve des différences importantes. La ballade Le mont Aon de Thrace nous livre une clé pour la compréhension de ces oeuvres. Dans la deuxième strophe, nous apprenons que les poètes «subtils» cherchent surtout à connaître tous les délices amoureux de la fontaine des muses. Il fut une époque, où les Troubadours et les Trouvères cherchaient en tant que fins amans l'amour vrai qui devait mener à la béatitude spirituelle. Et encore dans le Roman de Fauvel de la deuxième décade du XIVe siècle, le fin amans est synonyme de vertu. Avec Guillaume de Machaut nous rencontrons un poète qui est déjà beaucoup plus occupé à trouver son identité d'artiste de prestige, que de rendre hommage à l'amour courtois. Chez les poètes de l'Ars Subtilior il est toujours question d'amour et de service amoureux, mais il apparaît éloigné dans le royaume des muses. Il faut conquérir les muses pour devenir un artiste savant et habile. Il ne s'agit plus du jeu de l'amour courtois avec ses règles fixes qui, dans sa sublimation, mène à un but spirituel. Les artistes «subtils» montrent - non sans chercher l'effet - ce qu'ils savent faire. Ils adorent l'art de vivre raffiné, le vin et les femmes. Quelques-uns adhèrent à des compagnies d'hommes, comme par exemple les Fumeux, où la consommation de certaines quantités de vin est une vertu et l'abstinence un vice.

Que cet art ait fleuri à la cour d'Avignon ne surprit pas. Cette ville était devenue, depuis que les papes y résidaient, un centre culturel de premier rang. Des hommes comme Francesco Petrarca se détournaient avec dégout de cette Babylone, où les cardinaux s'occupaient beaucoup plus de la mode de leurs habits que des âmes des chrétiens. Mais Avignon exerça un magnétisme exceptionnel. C'était une ville pleine d'ordures, de bordels et de corruption. Mais c'était aussi une ville flamboyante, pompeuse, dirigée par des personnalités importantes de la vie ecclésiastique et politique. Sur la scène dipomatique on nouait des intrigues sans pudeur - donc il fallait plaire aux hommes importants - entre autres à l'aide de musique. «Si Alexandre, Hector et Achille étaient encore en vie, ils ne seraient pas à la hauteur de notre seigneur» dit une ballade du manuscrit de Chantilly, et dans la troisième strophe on affirme qu'il faut louer le bienfaiteur et seigneur «sans flatterie»!

«Si Alexandre et Hector étaient en vie"... » avec ce «si» commence un autre texte de Chantilly: «Si Zéphirus, Phébus odeur lignage étaient d'accord pour me consoler». On trouve toute une série de poésies de caractère conditionnel dans l'Ars subtilior. La combinaison du conditionnel avec des héros ou des dieux de l'antiquité éloigne ces textes de la réalité, une réalité qui est tout autre que «subtile». Des guerres horribles sans fin, des mouvements révolutionnaires parmi les plus pauvres de la société, et des épidémies de peste qui tuent une grande partie de la population en quelques mois, caractérisent l'époque. Une couche très mince de la société se retire sur la montagne des muses, dans un monde plus subtil, un ars subtilior vivendi. La poésie qui y est produite possède plusieurs racines dans le passé:

-La tradition de la chanson française remontant au XIIe siècle, enrichie par la polyphonie du XIVe siècle, forme musicalement et poétiquement la base là plus importante.

- Dans les pièces de l'Ars subtilior écrites par des Italiens on reconnaît souvent l'influence du Trecento italien. Certains sujets et expressions trahissent la provenance de l'italien qui s'exerce dans un art, qui en comparaison avec l'italien a été nommé «subtilior» comme par exemple par Prosdocimus de Beldemandis.

- Une troisième racine se trouve dans le motet français. Des ballades pour rendre hommage aux princes reprennent le rôle du motet. On énumère les prouesses du prince et on chante ses louanges. La chanson comme hommage permet peut-être un contact plus intime entre louant et loué.

Le monde de l'Ancien Testament (Lamech, Judith et Rachel), Thrace (Le mont Aon) ou Troie (Si Alixandre et Hector) offrent les scènes de fond, devant lesquelles les contenus, qui se démasquent très vite comme fiction, se déroulent.  L'intérêt est surtout fixé sur le raffinement de la forme et l'amplification des moyens artistiques. Le système existant (harmonie, notation, rythme, contenu poétique) est mené jusqu'à ses limites. Le poète subtil se délecte à Libefrois, le lieu où les muses s'ébattent, qui- ne l'oublions pas - sont des dames!
Nicoletta Gossen