Cantigas de Santa Maria
/ Ensemble Gilles Binchois
medieval.org
Ambroisie AMB 9973
2005
1. Porque trobar [6:08]
Prologue
2. Maravillosos [5:49]
CSM 139
3. A que fas os peccadores [5:59]
CSM 234
4. A virgen mui groriosa [5:42]
CSM 42
5. Nas mentes [1:53]
CSM 29
6. Rosa das rosas [5:49]
CSM 10
7. En o nome de Maria [5:12]
CSM 70
8. A que por muy gran fremosura [5:02]
CSM 384
9. Sen calar nen tardar [2:48]
CSM 380
10. Sola fusti [2:21]
CSM 90
11. Chant de la sybille [9:08]
traditionnel, Mayorque |
Introduction: Madre de Deus
CSM 422
12. Tant'e Santa Maria [3:15]
CSM 110
13. Santa Maria Sennor [3:09]
CSM 350
14. Pero cantigas de loor [4:02]
CSM 400
15. Virga de Jesse [4:32]
CSM 20
16. Nas mentes [1:05]
CSM 29
ENSEMBLE GILLES BINCHOIS
Dominique Vellard
Françoise Atlan, chant
Anne-Marie Lablaude, chant
Dominique Vellard, chant, oud
Emmanuel Bonnardot, chant, vièle, citole, crwth
Keyvan Chemirami, zarb, daf, udu
· · ·
Enregistrement du 9 au 13 Septembre 2003
en l'église Saint Jean-Baptiste de Til-Chatel (21)
Direction artistique, Étienne Collard
Montage & Premastering, Musica numeris
Conception graphique, Jean-Baptiste Levée
Prhotographies D.R-
Traductions, Mary Pardoe, Reto Schlegel, Pablo Galonce
Ⓟ © 2005 SOUND ARTS AG
AMB 9973
LES CANTIGAS
Alphonse
X, dit le Sabio (le savant), roi de Castille et de Léon, de 1252 à
1284, fut à la fois un roi conquérant et ambitieux (il aspira à la
dignité impériale du Saint Empire romain germanique) et l'un des princes
les plus éclairés de son temps. Poète, musicien, astronome, juriste, il
rétablit l'Université de Salamanque, à laquelle il attribua son premier
code (Las siete partidas) et fit dresser les tables astronomiques appelées de son nom Alphonsines. Également historien, il est l'auteur de la Crónica general et de la General e grand estoria.
Passionné pour les sciences, les arts et la poésie, il soutint la
fameuse école de traducteurs de Tolède et fut un protecteur fort prisé
des troubadours les plus divers qui, dans maintes pièces, célèbrent sa
valeur, sa courtoisie, et surtout sa largesse. Réciproquement, des
traces d'imitation troubadouresques peuvent se relever dans les
cantigas, aussi bien dans la formulation poétique que dans certaines
cellules mélodiques. De plus, Alphonse est le grand-père du roi Denis du
Portugal, qui fut un célébre troubadour galicien.
Il fut en outre lui-même troubadour et avant tout,
côté de quelques cantigas de amor et de maldizer, l'auteur
des Cantigas de Santa Maria, dans le même sillage que les Miracles de Notre-Dame du français Gautier de Coinci (1177-1236), les Milagros de Nuestra Señora
de l'espagnol Berceo (vers 1240-1250) ou la littérature mariale en
latin: toutes œuvres qui ont pu l'influencer. Mais, alors que ses
ouvrages historiques, juridiques ou astronomiques sont rédigés en
espagnol, son œuvre lyrique est écrite en galégo-portugais qui est à
l'époque la langue par excellence de la poésie chantée. Collection de
récits relatant les miracles de la Vierge, ces cantigas (en tout 417
pièces) nous ont été transmises par quatre manuscrits: l'un à la B.N. de
Madrid (copié à Tolède), deux à l'Escurial et l'autre a Florence. Les
manuscrits de l'Escurial sont ornés de magnifiques miniatures
représentant des instruments de musique et contiennent, de même que
celui de Madrid, la notation musicale des pièces. Il s'agit donc là de
documents extrêmement précieux: à la fois textuels, iconographiques et
musicaux.
En fait, Alphonse n'est évidemment pas le seul auteur
de toutes les pièces (pour certaines, toutefois, les allusions
personnelles ne laissent pas de doute quant leur attribution au roi),
mais c'est sous sa responsabilité, pratiquement toute sa vie durant,
qu'elles ont été écrites et il demeure le véritable chef d'atelier qui
surveille et contrôle toute l'activité créatrice. De toute façon, une
fraction importante de l’œuvre est marquée du même sceau stylistique et
peut être attribuée à un même auteur, le roi ou un autre (on a pensé au
troubadour portugais Airas Nunes). Essentiellement narratives, avec des
récits de valeur inégale -et ce dû probablement à la pluralité des
auteurs-, les cantigas alternent, toutes les dix pièces, avec un chant
de louange (cantiga de loor) en l'honneur de la Vierge: ce qui donne une proportion de 356 miracles contre 61 chansons de louange.
Les
récits de miracles sont généralement en vers longs, coupés 7' + 7,
comme le romance hispanique ou 6' + 6, parfois 8' + 6, les chants de
louanges en vers beaucoup plus courts et sans césure marquée (6, 7, 8 et
rarement 10 syllabes). Toutes les pièces sont à refrain et offrent le
plus souvent -les récits de miracles plus de 90%- la structure du zadjal
arabo-andalou: 2 vers refrain (estribillo) suivi d'un tristique monorime et d'une cauaa (vuelta),
qui a la même rime que le refrain et annonce sa reprise, soit: AA bbba,
AA bbba etc. On peut présumer que ces cantigas, surtout celles de loor,
étaient chantées à l'occasion de festivités religieuses. De plus,
chaque pièce, récit ou louange, est précédée dans les manuscrits d'un
résumé en prose de son contenu. Par exemple:
Esta é como santa Maria deu saude al rey don Affonso quando foi en Valadolide enfermo que foy juygado por morto.
[Cette chanson raconte] comment sainte Marie rendit la santé au roi Alphonse quand il fut malade à Valladolid et passait pour mort.
Esta é de loor de santa Maria, coin' é fremosa e bõa e á gran poder.
[Cette chanson] est à la louange de sainte Marie et dit combien elle est belle et bonne et a un grand pouvoir.
Ces
brèves introductions servaient-elles de préludes a l'interprétation des
pièces, ou ont-elles été ajoutées par les copistes? Ce qui parait plus
vraisemblable. Car il est à présumer que les cantigas, dont la
thématique véhicule tout un monde de croyances et une foi quelque peu
naïves, étaient connues du peuple et pouvaient également circuler par la
seule voie orale.
Pierre Bec
POUR ABORDER LE RÉPERTOIRE DES CANTIGAS,
il
est nécessaire, au-delà de la référence première à l'écriture, de
comprendre que ce corpus, pensé comme une entité, devait trouver sa
cohérence dans tous ses aspects: structure du répertoire, unité de style
des enluminures, langue poétique commune, système de notation musicale
unifié.
En effet, pour la cohérence de l'ceuvre et la beauté du
manuscrit, le scribe a utilisé une notation unifiée qui, cependant,
témoigne de réalités musicales très diverses.
Comme pour la grande majorité des répertoires monodiques,
liturgiques ou courtois du XIIIe siècle, la notation des Cantigas
tente de rendre compte d'une réalité musicale qui oscille entre la
tradition d'un «grand chant» non mesuré - dont le rythme est déduit du
rythme oratoire, de la structure poétique et de son rapport à une
mélodie inscrite dans un système modal - et des structures rythmiques
simples qui ont été définies et théorisées à la fin du XIIe siècle
autour de l'École de Notre-Dame de Pariss. Cette tension entre
rythme non mesuré et pulsation perdure dans les compositions liturgiques
monodiques jusqu'au XVe siècle et est présente dans nombre de
traditions populaires (notamment en Espagne). Dans notre enregistrement,
les pièces Rosa das rosass, et Tant' é Santa Maria, par exemple, appartiennent au style du «grand chant» tandis que Sen calar et Virga de Iesse utilisent une pulsation métrique.
L'ampleur
du répertoire et sa richesse, l'élégante simplicité des mélodies et la
saveur des textes ont fait que, très vite, ce répertoire a été l'objet
de nombreuses études (F.Pedrell, J. Ribera) et interprétations dès le
début du XXe siècle (on peut entendre Rosa das rosas réinvesti
dans la tradition populaire dans un collectage fait en Espagne par K.
Schindler en 1930). Cependant, les transcriptions utilisées par les
interprètes du XXe siècle, en particulier celles de H. Anglès, les ont
fourvoyés vers des solutions qui ne respectent pas la diversité de la
réalité musicale et qui dénaturent profondément la relation, extrêmement
réussie pourtant, entre texte et musique.
A l'image du choix,
par le roi-troubadour, d'une langue poétique unifiée, nous avons tenté
de trouver un style cohérent d'interprétation, une langue musicale
s'appuyant sur des répertoires savants et populaires des trois
traditions, musulmane, juive et chrétienne. Nous avons essayé de rendre
compte de la richesse des diverses cultures présentes à la cour
d'Alphonse le Sage, par le choix de musiciens qui témoignent à des
degrés divers de ces traditions. Ainsi nous avons utilisé aussi bien les
techniques d'accompagnement des traditions méditerranéennes que des
procédés de contrepoint du XIIIe siècle. Au fil du travail s'est
progressivement dessinée une esthétique qui reprend à son compte ces
trois cultures.
Nous n'avons pu résister au plaisir d'apposer à
la Cantiga Madre de Deus, qui reprend une mélodie traditionnellement
utilisée pour le Chant de la Sybille, une version de ce chant collectée
par F. Pedrell à Majorque ; le refrain est adapté d'une des nombreuses
versions polyphoniques du XVe siècle.
Anne-Marie Lablaude & Dominique Vellard