Trecento. Musique italienne du XIVe siècle
Berry Hayward Consort · Groupe Vocal Claire Caillard-Hayward






medieval.org

BNL Production BNL 112 803
diciembre de 1990

1991
Église Évangélique de St-Marcel, Paris




01 - [5:21]
Principio di virtu  (estampie)

02 - [4:36]
Arnaud DANIEL. Chanson do'lh mot son plan e prim ... (instr.)   [2:16]
La Manfredina / La Rotta   [2:20]

03 - [2:39]
Francesco LANDINI. Gram piant'agli occhi   [2:39]

04 - [10:43]
Jacopo da BOLOGNA. Aquila altera (instr.)   [2:11]
Aquila altera  [Codex Faenza]   [2:34]
Lorenzo da FIRENZE. Sento d'amor la fiamma (instr.)   [2:37]
Lorenzo da FIRENZE. Povero çappator   [3:21]

05 - [10:15]
Isabella (estampie)   [8:14]
Francesco LANDINI. Fa metter bando (instr.)   [2:01]

06 - [5:13]
Istampita Ghaetta  

07 - [9:11]
Francesco LANDINI. El mie dolce sospir   [2:05]
Saltarello   [3:49]
Francesco LANDINI. Per la'nfluença   [3:16]

08 - [6:10]
In pro (estampie)

09 - [5:24]
Francesco LANDINI. O pianta vaga   [5:24]

10 - [13:03]
Amor mi fa cantar  [2:58]
Lamento di Tristano / Rotta   [3:16]
Saltarello   [1:17]
Chominciamento di gioia (estampie)   [5:33]





BERRY HAYWARD CONSORT
Groupe Vocal Claire Caillard-Hayward


Berry Hayward Consort
Claire Caillard-Hayward, orgue
Claire Antonini, luth
Isabelle Caillard, vièle à archet
Valérie Bienvenu, chalumeaux
David Bellugi, flûtes-à-bec
Bruno Caillat, percussions
Philippe Defurne, sacqueboute
Chris Hayward, flûtes traversières et à bec, percussions
Berry Hayward, Chalumeaux, flûtes-a-bec

Agnès Brosset, mezzo-soprano (Povero çappator, Per l'nfluença)
Mireille Patrois, soprano (Pianta vaga)









Le XIV siècle a été une période de grands bouleversements - politiques, théologiques et sociaux - marqués par la violence, la guerre, la famine et la peste. C'est l'époque du déclin médiéval.

Cependant, paradoxe étrange: ce contexte menaçant n'a été ni écrasant ni stérilisant pour l'esprit créateur. Bien au contraire. Il y eut les philosophes Guillaume d'Ockham et Duns Scots, qui ont poursuivi leurs idées avec une cohérence remarquable, créant ainsi des systèmes philosophiques d'une puissance et d'une complexité incroyables, qui ont modifié l'environnement intellectuel de leur temps et des siècles postérieurs. En Italie, à l'époque du Trecento, les travaux de poètes et d'écrivains comme Dante, Pétrarque et Boccace ainsi que la musique de Landini constituent des contributions fondamentales à ce nouvel esprit européen que l'on appellera plus tard humanisme.

Les tensions du XIVe siècle ont nourri une expression artistique à la fois personnelle et originale. Les bouleversements de l'époque ont incité poètes, écrivains et compositeurs aller jusqu'aux limites de l'humain, et leurs œuvres, aussi belles et équilibrées soient-elles, n'en contiennent pas moins une certaine violence. Ce sens de l'humain a permis un approfondissement dans l'appréhension de la présence divine, ce qui a renforcé les liens existant entre l'art et l'expérience religieuse.

Même Boccace, qui est le plus "profane" de ces écrivains, a comparé les Écritures a la poésie. Selon lui, elle utilisent des figures de style poétiques - métamorphose, parabole, images - et leur sens profond est constamment dissimulé au sein d'un texte littéral. Les Écritures sontu Une "fiction poétique"; Boccace ajoute que ceux qui condamnent la poésie classique comme étant contraire à la religion ne comprennent pas que la poésie est connaissance, intelligence et vérité. Ainsi, dit-il, la poésie est née avec Moïse et a été exploitée par Jésus dans son expression des Évangiles. Les poètes classiques ont menti, bien sûr, mais il n'étaient pas conscients de leur mensonge et n'avaient par ailleurs nullement l'intention de mentir. Était-ce leur faute s'ils n'avaient pas reçu la révélation du Christ? La réponse de Boccace à la peste, décrite de façon si émouvante dans son premier jour du Décaméron, a été d'écrire un livre qui explore l'amour humain, son aspect temporel représenté comme une donnée à la fois instinctuelle et spirituelle de la vie. Sa réponse au désespoir du XIV' siècle a été de percevoir les ressources de l'amour et de l'art comme un moyen de trouver soulagement et sérénité. Chacun à sa façon, Dante et Pétrarque explorent ce sujet et le traitent comme un moyen de trouver le salut et la compréhension divine.

Ces expressions artistiques exaltées n'excluaient pas les œuvres d'un écrivain comme Franco Sacchetti sont la célébration truculente de la nourriture et de l'acte de manger constituaient un remède plus quotidien et populaire au désespoir et au remords.

De toute manière, la musique ne reflète certainement pas le désespoir: ce qui domine, c'est la danse et une polyphonie qui stimule l'amplification des thèmes musicaux par une improvisation ornementale très riche. Mais la puissance et l'énergie perceptibles dans ces danses traduisent la façon étrange dont l'art médiéval véhicule une certaine folie qui est l'expression de la violence de l'époque.

Ces danses - aux titres dantesques - portent l'empreinte d'une sorte de rituel perdu et incorporent, par le biais de leur rythme intense, le sentiment d'une redécouverte métaphysique. Leur forme très élaborée souligne leur gravité, leur vitalité, leur enracinement dans une tradition populaire ancienne. Nous pouvons comparer leurs cadences énergétiques avec les cadences du Paradis de Dante dans lequel St-Thomas, les anges, Dante et Béatrice dansent au milieu d'un tumulte de lumière et de mouvement. Ces danses reflètent l'idée orientale ancienne selon laquelle les vrais dieux dansent et que le démiurge doit danser. La danse est le reflet de la divinité.

La polyphonie du XIVe siècle italien prolonge les notions gothiques relatives à la lumière et à l'ornementation. Les évolutions sonores des voix qui s'entrelacent intensifient la structure de base tout en l'allégeant; l'échange entre les voix est la concrétisation musicale du discours amoureux. Les lignes continues de l'ornementation sont constamment changeantes, comme la lumière à travers les vitraux gothiques, et comme les arabesques qui caractérisent ce même type d'architecture. Les ornementations, les arabesques, ne sont pas décoration: elles sont plutôt un mouvement reflétant l'imagination conçue comme une énergie créatrice, comme un souvenir constamment réactivé par l'improvisation. Ces arabesques sont comme les pièces d'armes et d'orfèvrerie qui accompagnaient les rituels de l'amour courtois.

Réminiscence et souvenir sont des thèmes bien ancrés dans la littérature de cette époque, et Dante reconnaît sa dette envers la tradition provençale, tout particulièrement envers Arnaud Daniel. La recherche dans la compréhension du monde par le souvenir et l'observation des variations subtiles des humeurs et états intérieurs est le credo des fedele d'amore. Cet attachement au souvenir et l'émotion rappelle le parallèle frappant que Henri Corbin établit entre Dante et les philosophes orientaux Ibn Arabi et le Soufi iranien Ruzebehan Baqli de Shiraz: le culte de l'amour voué a une personne de grande beauté est la voie obligatoire pour accéder l'amour divin. Comme dit Corbin, la relation entre ces auteurs est générique, mais pas nécessairement historique. Elle représente un événement extraordinaire quand les richesses des métaphysiques occidentale et orientale se rencontrent et surmontent des obstacles qui subsistent encore aujourd'hui. Obstacles une compréhension universelle plus profonde dans laquelle la recherche de la vérité est inséparable de l'expression esthétique.

Ne soyons pas surpris, en écoutant cette musique, de ressentir sa transcendance: elle n'est ni occidentale, ni orientale, ni religieuse, ni profane.

BERRY HAYWARD