Romances Judéo-espagnoles
Ensemble Lyrique Ibérique






medieval.org
amazon.com
L'empreinte digitale ED 13017

1992







1. Lavava i suspirava   [5:41]
2. Nani, nani   [5:08]
3. Ir me kyero (Jérusalem)   [3:52]
4. Kuando el rey Nimrod   [4:18]

5. Notches buenas   [2:48]
6. Durme durme mi alma donzeya   [4:48]
7. Mi suegra   [1:54]
8. Morenika a mi me yaman   [7:14]

9. A la una nasi yo   [2:51]
10. Skalerika de oro   [1:38]
11. Ven kerida, ven amada   [2:57]

12. La serena   [3:35]
13. O ke mueve mezes (Smyrne)   [5:23]
14. Porke yorach blanka ninya (version de Salonique)  [5:33]




Ensemble Lyrique Ibérique

Dominique Thibaudat, chant
Nabil Ibn Khalidi, oud
Pierre Rigopoulos, zarb et bendir



Prise de son numérique / recording engineer: Pascal Perrot
Chapelle de Sainte Philomène, Puget Ville, janvier 1992







Les communautés judéo-espagnoles officiellement expulsées d'Espagne en 1492 ont persisté en partie dans la péninsule ainsi que leurs voisines portugaises, sous le nom de "Conversos", au moins jusqu'à la fin du XVIIème siècle si l'on en croit les derniers grands "auto-da-fés" de 1680.

Ainsi les chants de ces communautés dispersées, essentiellement pour les espagnoles autour du bassin méditerranéen, déclinent-ils différents états de la chanson d'origine hispanique, notamment dans leur métrique, voire dans leur type mélodique - ce dernier ayant toutefois subi l'influence des pays d'accueil, surtout de l'est méditerranéen, avec un fréquent usage du "tétracorde chromatique" descendant (la sol dièse fa mi), dont l'usage pourrait aussi se rattacher à des particularités de l'Andalousie islamique, sous influence syriaque tout d'abord (Zyriab venu du califat de Damas). Les communautés juives étaient fortement implantées dans les émirats islamiques d'Espagne et dans le califat de Cordoue: elles y étaient bien accueillies avant la Reconquête chrétienne dont l'influence se fait sensible en Andalousie dès la première moitié du XIIIème siècle: Alméria est reprise en 1147, mais la bataille de Las Navas de Tolosa en 1212 fait sauter le verrou de l'Andalousie ouest: Cordoue devient "chrétienne" en 1236, Jaen en 1245, Séville en 1248, Huelva et Niebla en 1257, Tarifa l'était en 1294 et le redevient en 1340, dernier grand effort à la bataille du Salado pour repousser les dernières invasions du Maghreb. Puis c'est la reconquête jusqu'à la phase finale du royaume de Grenade en janvier 1492 avec en parallèle l'alternative pour les juifs, puis pour les musulmans dose convertir au catholicisme ou de partir

Ce programme proposé par l'ensemble Lyrique Ibérique fait apparaître a travers la variété des formes et des thèmes, celles des lieux et des temps de composition ainsi que le rôle de la tradition juive dans la conduite et la modification d'une tradition soit hispano-chrétienne du "romance" (ex. Lavava i suspirava, Porke yorach blanha ninya), soit islamo-andalouse des jarch'yas et chansons de femmes (Morenika ami me yaman, Ven kerida ven amada, Notches buenas) ou encore la conservation de la tradition juive hispanique en Orient (Nani, nani, Durme, durme, A la una nasi yo, Mi suegra, O ke mueve mezes). Ir me kyero et Kuando el rey Nimrod (de Tétouan) sont d'origine purement juive, auxquelles il faut ajouter la Serena, création musicale du XIXème siècle, romance de salon ou de café-concert, sur des thèmes poétiques inspirés de la "copla" andalouse de la même époque.

Lyrique Ibérique cherche à recréer l'oralité de cette tradition par la liberté de l'improvisation ornementale qui affleure au sein même des transcriptions musicologiques. L'emploi d'instruments connotés "orientaux" (zarb, oud), présents a la cour d'Alphonse X le Savant au XIIIème siècle, ajoute a notre dépaysement a la fois dans l'espace et dans le temps.

On aperçoit bien a travers cet enregistrement la symbiose qui s'est faite entre un texte tantôt d'origine hispanique du nord, tantôt andalou, tantôt issu de la pure tradition juive d'Espagne avec des mélodies orientales, d'Asie Mineure ou des Balkans. Mais on notera également l'arrivée à peine modifiée d'une série plus récente de la fin du XVIIIème siècle et du XIXème siècle dans un genre plus léger qui voisine avec des traces de formes médiévales revêtues de mélodies beaucoup plus récentes.

Pour qu'un texte survive dans la tradition orale chantée, sa mélodie doit s'adapter au milieu ou à la mode ambiante. Cependant certaines mélodies hispaniques, précisément par leur parenté avec le style andalou, ont pu survivre avec relativement peu de modifications.

Danièle BECKER, musicologue



Le 31 mars 1492, les Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon, décidaient d'expulser les Juifs qui n'accepteraient pas la conversion au catholicisme.

Juifs et espagnols a la fois, près de 200.000 d'entre eux, choisirent l'exil. Ils emportaient la langue et la culture espagnoles de la fin du XVeme

Ils se répartirent à travers tout le bassin méditerranéen et constituèrent deux branches de la famille judéo-espagnole: l'une levantine (ex Empire Ottoman), l'autre maghrébine (Maroc, puis à partir de 1850 environ, l'Oranie). Le judéo-espagnol vernaculaire (Djudezmo ou Djudyo - Djidyo, dit Edgar Morin -, au Levant; Haketiya au Maghreb) se différencie vers 1620 de la langue d'origine. Il est en quelque sorte un musée vivant des variétés d'espagnol de 1492. Il en est de même pour la littérature orale contée, "proverbialisée" ou chantée (romances ou romansas et cantos qui constituent aujourd'hui le kansyonero judéo-espagnol).

Ces juifs espagnols ont conservé les sons de l'époque quand n'existait pas encore la jota, ce son guttural de Don Quijotte avec ch et non j.

Signalons que le Djudezmo et le Haketiya (judéo-espagnol vernaculaire ou parlé) se distinguent du Ladino (judéo-espagnol calque), langue non parlée, pédagogique et liturgique résultant de la traduction mot a mot des textes hébreux bibliques et liturgiques en un espagnol qui remonte au XIIIème siècle dont certains sont également chantés, mais la synagogue.
         
C'est dire qu'existent des chants judéo-espagnols en djudezmo (langue profane) ou en ladino (langue semi-sacrée).

Le répertoire de Dominique Thibaudat est en judéo-espagnol vernaculaire (djudezmo) ou judéo-espagnol tout court. Il correspond à différents moments de la vie des judéo-espagnols: naissance (O ke mueve mezes) - enfance (Nani nani) - les étapes dei la vie (A la una nasi yo) - le mariage (Skalerika de oro) - l'amour (Ven kerida - Lavava - La Serena - Morenika) - les misères de certains mariages (Porke yorach - Mi suegra la negra) - la nostalgie de Jerusalem (Ir me kyero) - l'amour du patriarche Abraham (Kuando el rey Nimrod) - etc, etc...

Il faut dire ici quelques mots sur notre transcription qui se veut semi-phonétique et a l'usage des francophones, car le judéo-espagnol n'est pas l'espagnol péninsulaire (comme le français et les autres langues romanes ne sont plus le latin).

En espagnol le son k peut s'écrire c (cantar), qu (querida) ou k (kilo), c'est vraiment compliqué! Nous optons pour une seule lettre, k, et adoptons la graphie de l'Association VIDAS LARGAS (pour la défense et la promotion de la langue et de la culture judéo-espagnoles).

- U = 1) ou de chou (umo/fumée) -2) w de watt (guardar/garder; bueno/bon)
- y = y de mayonnaise (bayle/danse; Dyo/dieu; byen/bien
- iy = ill de brilla (diya/jour - komiya je mangeais ou il mangeait).
- b et y = b et y de Libre et livre (bovo/sot; bive/il vit; terrivle/terrible).
- ch = ch de cheque (facha/lange).
- tch = tch de tchèque (fatcha/face, visage)
- g = g de gare (gata/chat; gerra/guerre; gizar/cuisinier; godro/gros; guzano/ver).
- h = ch allemand de Bach et la jota espagnole (halis/authentique; haham/sage): pas de h muet.
- j = j de jaune (ijo/fils; paja/paille).
- dj = j de John, jeep (djente/gens; djidyo/juif).
- k = k de kilo, qu de qui, c de col (karne/chair; ke/que; kola/queue; kual/quel).
- s = s de chanson, -ss- de passer (sosyeda/société).
- z = z de Zoé ou s de rosé (kaza/maison; zembil/couffin).
- ks = x de extase (eksepsyon/exception).
- gz = x de exemple (egzistir/exister).

- Les accents ne sont pas utilisés

Haïm Vidal SEPHIHA
Chaire de judéo - espagnol
(Sorbonne Nouvelle - Inalco)








1. LAVAVA I SUSPIRAVA,
de versification très libre est un bon exemple de la transformation au long des siècles d'un "romance" hexasyllabique de la frontière andalouse de Jaen: Don Buesco. La ballade-source conte le voyage d'un jeune prince chrétien en terre musulmane pour s'y chercher une amie. Il rencontre a la fontaine une belle qui lave les habits du roi, esclave du harem, demoiselle sans lignage. Ici commence la ballade judéo-espagnole de Rhodes: le jeune homme, pensant ramener une amie, ramène sa sœur enlevée jadis et qui reconnais son pays sur le chemin du retour. Sa mère l'accueille par des bénédictions.

La mélodie suit la coupe binaire du "romance" traditionnel le plus ancien: récit recto-tono au premier hémistiche, suivi d'une ornementation sur le second, avec des compensations autant que de besoin pour pallier l'irrégularité des vers et des strophes. La seconde phrase mène en deux temps a une conclusion selon la même technique: récit recto-tono avec intonation de quinte diminuée pour revenir en ornement vers une finale supposée avec reprise en surprise et en métabole qui résout la quinte diminuée en quarte juste, ce qui déconcerte l'auditeur mais ramène vers l'occident cette pièce d'abord orientalisante.


2. NANI, NANI,
Berceuse sur l'échelle altérée chromatique, avec une cadence suspensive systématique sur les degrés altérés: fa dièse-mi bémol pour retenir l'attention de l'enfant jusqu'à la cadence finale. Une longue cadence mélismatique redescend du plus haut de l'échelle jusqu'à ses appuis suspensifs qui invitent ensuite au repos et a l'endormissement.

Dans cette berceuse la mère tisse un conte compliqué de jalousie et de soupçon contre un mari qui revient, dit-il, des champs et qu'elle soupçonne de revenir de chez une femme - ni plus belle, ni plus noble, ni plus riche...


3. IR ME KYERO (Jérusalem)
Chant de pèlerinage et de bénédiction du Temple, au Chandelier et à la présence de la Gloire dialoguant entre ses trois émanations sous forme de trois colombes. Comme chant de jubilation dans le ton de La, il s'établit d'abord dans le grave (ton plagal) pour aller du plus haut du plagal au plus grave et venir reposer sur la finale (la-mi-la-ré-mi-la). La conclusion reprend deux fois une broderie autour de La pour les deux premiers vers qui expriment la foi et l'espérance, puis la gloire du Très-Haut est exposée par la métabole vers le mode de Mi chromatique comme insondable, infini, divin.


4. KUANDO EL REY NIMROD,
Chant d'anniversaire, de fête et de berceuse.

La complainte pseudo-historique deis naissance d'Abraham Kuando el rey Nimrod (Tétouan) est calquée sur les récits de la naissance du Christ qui reposent sur les prophéties d'Isaie. On y remarque qu'Abraham naît au sein d'une "communauté juive" encore à fonder, avec le signe de l'étoile miraculeuse, Nemrod, comme Hérode cherche a faire périr le nouveau-né de la grotte. L'enfant miraculeux est assez grand a vingt jours pour prophétiser la grandeur de Dieu.

Vraisemblablement d'ancienne tradition de la Kabbale, c'est un récit fondateur légendaire. Celui-ci s'achève par une série de bénédictions et saluts au "Seigneur nouveau-né" qui permet d'attendre le Messie. Chaque série peut être suivie à la mode jongleresque d'un refrain de bénédiction à "Abraham, père et lumière d'Israël".

Si le texte est contemporain de l'école d'Alphonse X le Savant (env. 1245-1280) à Tolède, sa mélodie est alors sous les influences du zejel (a/a/a/b) et de la chanson balladée (Cantigas de Nuestra Senora) sans exposer toutefois d'abord le refrain, structure un peu complexe, liée à la variation mélismée du "virelai-refrain" suries éléments mélodiques du couplet, dans le mode de Mi chromatisé déjà rencontré. Il faut signaler que si la tradition métrique est médiévale (contemporaine des controverses judéo-chrétiennes), la coupe de la mélodie est toutefois plus récente, malgré la construction médiévale.

C'est pour les enfants, un premier contact avec les origines du peuple juif.


5. NOTCHES BUENAS
Chanson d'amour d'avant 1492.

Cette version est proche de son original andalou de l'époque des taifas (XII-XIIIeme siècle), réadaptée en langue romane: d'abord en distiques avec un jeu sur deux rimes, masculine et féminine, reprise par le refrain. Cette mélodie, dans sa sobriété, marque son origine occidentale, malgré ses long mélismes au refrain en retrouange qui dérivent en surprise (en métabole) vers le mode de Mi. La chanson de Salamanque pratique encore ce genre de mélodies.

Ajoutons que le début de cette ballade donne lieu aux Asturies a une chanson aux ornements totalement diatoniques.


6. DURME DURME MI ALMA DONZELLA
Berceuse ou sérénade amoureuse en distiques décasyllabiques a l'espagnole, à la rime subtile issue du "gay sçavoir". La mélodie en mode de Re se développe sur un seuil distique dont le second vers, répété, constitue la réponse sur la finale, à la première partie cadençant sur la teneur.

La mélodie se rapproche du style pratiqué dans le Cancionero musical de Palacio de la fin du XVéme siècle et reflète ainsi la musique des années 1492.


7. MI SUEGRA,
nous conte les déboires de la jeune épousée victime des avanies de sa toute puissante belle-mère et qui va jusqu'à souhaiter sa mort. La jeune femme voudrait que son mari ait le courage de quitter la maison maternelle pour fonder un nouveau nid. Sorte de virelai avec une introduction de trois vers dont le dernier reprend en l'ornementant la phrase mélodique du troisième vers de l'introduction. Un chromatisme de malédiction sur cette "suegra" introduit les éléments de la mélodie générale: tandis que le couplet récite simplement en brodant les finales, par manches descendantes posées, jusqu'à l'explosion finale vers le chromatisme initial du ton de Mi transposé.

Chanson de femme dont le thème se retrouve dans le répertoire du romancero traditionnel hispanique.


8. MORENIKA A MI ME YAMAN
La chanson est d'origine andalouse; le premier couplet évoque de loin le Cantique des Cantiques, mais la jeune fille revendique la blancheur de sa peau comme signe de distinction. Le refrain pourtant suggère une jolie brune aux yeux noirs courtisée par un galant. Les autres couplets sont traditionnels des séguedilles andalouses anciennes (au moins de la fin du XVIème siècle). La conclusion en forme libre de jarch'ya et la coupe mélodique et rythmique qui emprunte ici aux Balkans sa danse de type binaire à 4/4 (5+3) dans le couplet, tandis que le refrain se distribue en deux fois cinq mesures sont une forme fréquente du folklore de l'aire nord-orientale de la Méditerranée.


9. A LA UNA NASI YO
Chanson de comptage aux multiples versions, très répandues dans toute l'Europe: limitée aux quatre temps qui préparent à vie d'adulte et au mariage. Cette version assez syllabique ajoute un refrain en "tralala" sur les éléments fondamentaux de la mélodie: celle-ci rappelle la chanson andalouse de salon "Señor alcade mayor" ou sa variante flamenca "la Petenera" (avatar du genre fandango).

C'est une chanson probablement assez récente du type "voix de ville" de la fin du XVIIIème


10. SKALERIKA DE ORO
Chanson de noces des Balkans dans le style des séguedilles andalouses primitives à la mode dès la fin du )(Vierne siècle.

Ce chant de célébration comprenait une intervention du chœur témoin des noces, en refrain; puis des vœux un peu corniques, pour "elle" qui est pauvre niais sera bonne épouse, en solo, repris par le chœur pour conclure par des bénédictions. L'entrée est réellement la séguedille en deux thèmes parallèles, l'un dans l'aigu et l'autre au registre moyen du ton de La (a la quarte, sans toutefois répéter le dessin tout à fait). Cette pratique était cependant celle de la séguedille théâtrale du XVIIème siècle. Mais, et la mélodie et sa coupe rythmique binaire sortent plutôt des rives de la mer Noire que de l'Espagne. Les textes hispaniques sépharades se sont habillés de mélodies ashkénazes.


11. VEN KERIDA, VEN AMADA
En lente mélopée sur le mode de Mi authente, se déroule cet appel amoureux ou de mort. Il "récite" avec insistance et sensualité sur la teneur dans le premier hémistiche, avec un mélisme concluant dans une cadence qui glisse par tous les degrés du mode vers la finale, et retravaille ses ornements sur le second vers du distique après un nouvel élan sur la teneur. Les distiques se présentent par trois groupes de deux, assonances aux vers pairs, changeant par groupe, à la manière d'un "romance" a rime alternative.


12. LA SERENA
Où est la sirène de cette romance de salon du début du XIXème siècle du style des théâtreuses comme la Tirana, portraiturée par Goya?

La réthorique est traditionnelle de double sens érotique, propre aux chants de marins. Le dernier couplet, non chanté ici, révèle l'intrusion du modernisme dans la défense de sa vertu que fait la demoiselle (avec un révolver!), quand le marin ne rêve que de mourir d'amour dans ses bras...


13. O KE MUEVE MEZES (Smyrne)
C'est le chant des accouchées et des nouveaux-nés, chant de bénédiction pour rassurer la parturiente qui relève totalement de la Méditerranée orientale dans son art de l'ornementation répétitive. On remarquera les longues phrases rythmant le travail de l'accouchement en mélopées qui peuvent éventuellement s'accélérer ou ralentir au besoin.

On y envisage les deux éventualités: fille ou garçon, l'effort final puis le repos et la récompense de l'accouchée: "une poule à la reine" tandis que le mari "accouché" aussi par sympathie, invite à un banquet de poissons les voisins et offre les "jaunets" a sa femme en remerciement.


14. PORKE YORACH BLANKA NINYA (version de Salonique)
Chanson curieuse qui, sous la forme du romance octosyllabique mono-assonance aux vers pairs, rassemble ou raboute les bribes de quatre légendes traditionnelles, bien connues au XVIème siècle, mais probablement antérieures car déjà assez traditionnalisées: on débute avec la légende du Conde de Irlos qui abandonne sa toute jeune femme et ses enfants pour partir à la guerre ou a l'aventure. S'il n'est pas revenu au bout de sept ans, elle pourra se remarier avec quelqu'un qui pourra endosser les habits du premier époux (ajout de notre version). Mais notre texte dérive ensuite ourles malédictions maternelles suris nef du fils qui s'en va. La jeune mariée disparaît du conte. La mère guette le retour de son fils: celui-ci revient et n'est d'abord pas reconnu. Le conte dérive sur celui du paumiez le pèlerin (mari, fils ici) prétend avoir vu le fils (ou le mari) mort et donne des signes: ici il les emprunte à la mort de Bertrand a Roncevaux, très chantée à la fin du XVème et XVIème siècle. Ensuite, ayant vu le chagrin de la dame (ou de la mère), il se fait reconnaître par des preuves intimes (ici le grain de beauté sous le sein). Puis, empruntant de nouveau au "romance" du Conde Niño, voici que mère et fils s'envolent métamorphosés pour un amour éternel qui montre finalement la prégnance de la mère juive sur son fils, au point de modifier profondément tous les modèles de l'amour conjugal auquel le récit emprunte ses thèmes. Nouvelle version de Jocaste et Œdipe?