O Maria virgo. Las Huelgas – 1300
Kantika





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Integral Classic KANT 02

2009


juillet 2007
Abbaye Blanche de Mortain






Santa María la Real de Las Huelgas
Messe Mariale




1 - Hymnus Maria virgo virginum   [3:50]

2 - CSM 10. Rosa das rosas   [5:17]
Cantiga de Santa Maria n. 10, codex B.1.2. El Escorial

3 - Introitus Salve sancta parens   [6:52]
Graduale Galliac, BNF lat. 776

4 - Kyrie eleison Rex virginum   [4:15]

5 - Gloria   [4:46]
Graduale Saint-Yrieix, BNF lat. 903

6 - Graduale Benedicta et venerabilis   [7:09]
Graduale Galliac (plain-chant)
Codex Las Huelgas (2 voix organum)


7 - Alleluia Salve virgo mater dei   [2:10]

8 - Hymnus Stabat iuxta Christi crucem   [5:05]

9 - Offertorium Recordare virgo mater   [3:09]

Graduale Galliac (plain-chant)
Codex Las Huelgas


10 - Sanctus   [3:19]

11 - Agnus dei Gloriosa spes reorum   [2:25]


12 - Communio Beata viscera Mariae virginis   [5:43]
Graduale Galliac

13 - Benedicamus Domino cum cantico   [2:07]




Kantika
Kristin Hoefener

Carlotta Buiatti • mezzo-soprano
Cserjési Kinga • soprano
Kadri Hunt • alto
Emmanuelle Thomas • soprano
Kristin Hoefener • mezzo-soprano



IMAGEN





Messe Mariale de l’Abbaye Royale cistercienne de Las Huelgas

O Maria virgo florata nigi stillans dilue
O vierge Marie des fleurs, chasse avec la rosée le froid de la neige

« O Maria Virgo » est la reconstruction d'une messe à deux voix qui aurait pu être ainsi chantée par les cisterciennes de l'abbaye Santa Maria la Real de Las Huelgas aux XIIIe et XIVe siècles.

La plupart des chants provient d'un manuscrit noté de l'abbaye de Las Huelgas, datant d'environ l'an 1300. C'est le seul livre de chants polyphoniques qui est encore conservé dans le lieu pour lequel il a été copié à l'origine. Le manuscrit de parchemin contient 45 chants monodiques et 141 polyphonies. Il n'a pas une fonction proprement liturgique, mais il est fort probable que l'on se servait de ce corpus pour enrichir la liturgie des grandes fêtes pendant l'année.

Quatre chants sont des plancti, chants funéraires monodiques pour différents membres de la famille royale. Ont été choisi pour cet enregistrement différents chants liturgiques et paraliturgiques pour reconstituer une messe pour la nativité de la Vierge : des chants de l'ordinaire tropés et en polyphonie (Kyrie eleison, Sanctus, Agnus dei), des chants polyphoniques pour le propre de la messe (Alleluia, graduel et offertoire), un Benedicamus Domino à trois voix et deux magnifiques hymnes à la Vierge. Le recueil de chants de Las Huelgas, une collection de pièces uniques, est une source exceptionnelle pour nous aujourd'hui. Elle atteste de l'existence de plusieurs styles musicaux de cette époque charnière entre l'ars antiqua et l'ars nova. Certains chants sont d'origine aquitaine, un style reconnaissable par ses tropes et sa polyphonie caractéristique à deux voix. D'autres chants sont des organa dans le style de l'Ecole de Notre Dame de Paris des XIIe et XIIIe siècles.

Ces deux traditions figurent parmi les plus anciennes traditions polyphoniques transmises dans des manuscrits. D'autres chants, à savoir de très belles hymnes à la Vierge, montrent un style propre à l'abbaye de Las Huelgas. Faute de manuscrits Castillans de l'époque existants, des chants grégoriens du graduel de Saint-Michel de Gaillac (XIe siècle) complètent ce programme, l'Aquitaine étant étroitement, et depuis longtemps, en relation avec les communautés monastiques de la péninsule ibérique. L'abbaye cistercienne de Las Huelgas comptait parmi les plus importants couvents de la péninsule ibérique. Elle a connu un fleurissement au Moyen Age, apporté par les membres féminins de la famille royale castillane qui se retiraient dans le couvent pour vivre une vie contemplative, pour chanter la liturgie quotidienne avec les autres moniales.

La messe pour la nativité de la vierge commence par une prose à 2 voix, Maria virgo virginum, une composition strophique de style conductus de Las Huelgas. Puis, nous avons inséré, comme une courte méditation, la belle cantiga de Santa Maria Rosa das rosas du codex d'El Escorial B.1.2. Ce manuscrit du XIIIe siècle transmet une large collection de chants mariaux en langue Galicienne collectionnée à la cour du roi Alphonse X le Sage.

La messe continue avec l'introït Salve sancta parens en mode de ré plagal, emprunté au graduel Aquitain de Gaillac (BNF lat. 776). Le petit trope Virgo dei genitrix précède le premier verset du psaume 44 Eructavit cor meum et reviendra plus tard dans la messe comme verset du graduel. Suivent un Kyrie eleison de Las Huelgas à 2 voix dans le style de Notre-Dame de Paris avec le trope Rex virginum et un Gloria monodique en mode de sol emprunté du graduel de Saint-Yrieix (BNF lat. 903). Parmi les chants les plus élaborés de cette messe compte le graduel Benedicta et venerabilis, savant mélange de plain-chant (graduel de Gaillac) et d'un organum de Las Huelgas. Ce sont le premier mot du graduel Benedicta et une grande partie du verset Virgo dei genitrix qui ont été composé pour 2 voix, soulignant ainsi l'occasion de plus haute importance pendant l'année liturgique.

Suit un bel Alleluia à 2 voix du même manuscrit avec son verset Salve virgo mater dei dans lequel les voix s'entrelacent, se croisent de manière très élégante et simple à la fois. Un des plus beaux chants de ce programme est l'hymne monodique Stabat iuxta Christi crucem, magnifique plainte d'un style musical propre à ce couvent de cisterciennes de Las Huelgas. L'offertoire Recordare virgo mater, du style organum de Las Huelgas, est orné de trois double strophes de tropes polyphoniques. Le Sanctus à 2 voix semble pressentir le style de l'Ars nova avec ces voix assez émancipées rythmiquement. L'Agnus dei est un autre plain-chant tropé, avec deux tropes polyphoniques proches du style aquitain avec ses croisements typiques des voix. Le deuxième trope O Maria virgo a donné son nom à cet enregistrement.

La messe se termine avec la communion Beata viscera Maria en mode ré du graduel de Gaillac et le Benedicamus domino tropé Cum cantico cum iubilo. Ce Benedicamus domino du codex Las Huelgas est le seul chant à 3 voix sur cet enregistrement et il clôt de manière solennelle ce programme avec sa reprise Deo gratias. Toutes les transcriptions mélodiques et rythmiques des chants grégoriens, des polyphonies de Las Huelgas et de la cantiga de Santa Maria font l'objet d'une édition qui sortira en même temps que ce cd.

Kristin Hoefener





Le monastére de Las Huelgas au Moyen Âge

« Las Huelgas » : le mot peut désigner un lieu de repos, mais aussi, plus vraisemblablement, des pâturages pour le bétail. Situé au bord de la rivière Arlanzôn, à proximité de Burgos, le monastère royal de Las Huelgas est attesté en tant que tel à partir de 1187. Fondé par le roi de Castille Alphonse VIII (1158–1214) et son épouse Aliénor, il se voit attribuer dès l'origine une double fonction : servir de lieu d'accueil aux infantes et aux grandes dames de l'aristocratie d'une part, jouer, par ailleurs, le rôle de panthéon pour les membres de la famille royale. Officiellement incorporé à Cîteaux en 1199, il est dès lors à la tête de tous les établissements cisterciens féminins du royaume, ce qui représente à terme une douzaine de maisons. Aliénor, fille de la grande Aliénor d'Aquitaine, soeur de Jean sans Terre et de Richard Coeur de Lion, mère de Blanche de Castille et grand-mère de saint Louis, intervint sans doute de façon décisive dans cette promotion du monachisme féminin qui s'inspirait peut-être de Fontevraud. La célébrité de Las Huelgas dans l'histoire du monachisme médiéval est liée à l'exceptionnelle puissance de son abbesse. Celle-ci donnait sur un vaste territoire l'autorisation de prêcher, de confesser, de célébrer, elle nommait les curés.

Ces pratiques, étonnantes pour une femme, s'étaient installées progressivement. Mais dans le strict domaine du spirituel, elles étaient sans doute en place dès la fin du XIIe siècle et l'on comprend qu'elles aient semblé scandaleuses aux dirigeants d'une Église invariablement gouvernée par des hommes. C'est très certainement en pensant à l'abbesse de Las Huelgas qu'en 1210, le pape Innocent III condamna les abbesses des diocèses de Burgos et Palencia car elles bénissaient et confessaient leurs propres moniales, et surtout car elles avaient « la présomption de prêcher publiquement l'Évangile ». Le pape rappelait alors que « même si la Vierge Marie fut plus digne et plus excellente que tous les apôtres, ce n'est pourtant pas à elle mais à eux que le seigneur remit les clés du royaume céleste ». Institutionnellement, les monastères féminins placés sous la dépendance de Las Huelgas envoyaient tous les ans leurs représentantes à une sorte de chapitre général qui rappelait celui de Cîteaux. On avait bien là l'ébauche d'une congrégation féminine, cistercienne mais partiellement autonome, qui était alors sans équivalent dans l'Église.

Le monastère de Las Huelgas joua durant des siècles un rôle de premier plan pour les monarques castillans. Ferdinand III, Alphonse XI, Henri II et Jean Ier y furent armés chevaliers selon un cérémonial particulièrement original, puisque l'on avait recours à une statue de saint Jacques dotée d'un bras articulé. D'autres souverains, Alphonse X, Alphonse XI encore, Jean II, y furent couronnés. Certains mariages, comme celui de l'infant Fernando de la Cerda et de Blanche de France, fille de Louis IX, restèrent dans les mémoires pour leur caractère solennel. Lieu privilégié de la mise en scène du pouvoir royal, le monastère de Las Huelgas était aussi un bel exemple de syncrétisme artistique.

Les tombeaux des rois, des reines, des princes et des princesses de sang royal étaient souvent tapissés intérieurement par de somptueux tissus d'origine orientale. L'église abritait également un magnifique étendard, considéré comme la bannière prise aux musulmans par les chrétiens lors de la bataille de Las Navas de Tolosa (1212).

Une chapelle (dite des Claustrillas) remontant à l'époque de la fondation était construite dans un style almohade d'une grande pureté. Et comme on s'en doute, la musique occupait une grande place dans cette exhibition permanente de beauté destinée à manifester la gloire de Dieu et des rois.

Patrick Henriet
Patrick Henriet est professeur d'histoire médiévale à l'université de Bordeaux III





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