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Ligia Digital Lidi 0202217-10
Toulouse, église Saint-Pierre des Chartreux
juillet 2009
01 - Johannes
OCKEGHEM. S'elle m'amera / Petite camusette [3:54]
contre-ténor, ténor, baryton, basse, luth, 2
vièles, flûte
02 - Loyset COMPÈRE. Vous me faites morir [5:13]
Jean II de Bourbon
ténor, 2 vièles, flûte
03 - Johannes OCKEGHEM. Aultre Venus [4:13]
baryton, luth
04 - Loyset COMPÈRE. Pensant au Bien [6:02]
contre-ténor, ténor, baryton, luth, 2 vièles,
flûte
05 - Alexander AGRICOLA. Belles sur toutes / Tota pulchra es
[4:57]
contre-ténor, ténor, baryton, vièle PM,
flûte
06 - Johannes GHISELIN · VERBONNET. O florens rosa
[2:41]
2 vièles, flûte
07 - Johannes OCKEGHEM. Mort, tu as navré de ton dart / Miserere
[9:01]
contre-ténor, ténor, baryton, basse
08 - Johannes OCKEGHEM. La despourveue [4:15]
soprano, luth, 2 vièles, flûte
09 - Alexander AGRICOLA. Je n'ay dueil [7:48]
Jean II de Bourbon
contre-ténor, ténor, baryton, basse, luth,
vièle PM, flûte
10 - Loyset COMPÈRE. Plaine d'ennuy / Anima mea
[4:37]
soprano, 2 vièles, flûte
11 - Johannes OCKEGHEM. Presque transi [4:54]
contre-ténor, luth, vièle PM
12 - Johannes OCKEGHEM. Permanente vierge / Pulchra es / Sancta
Dei genitris [6:27]
contre-ténor, ténor, baryton, basse, luth, 2
vièles, flûte
La Main Harmonique
Frédéric Bétous
Axelle Bernage, soprano
Frédéric Mons, contre-ténor
Edouard Hazebrouck, ténor
Didier Chevalier, baryton
Marc Busnel, basse
Pau Marcos, vièle (PM)
Evelyne Moser, vièle
Fanette Estrade, flûtes
Diego Salamanca, luth
Ockeghem
et Compère...
Musiques au temps d'Anne de France
Le contexte
Anne de Beaujeu eut à son service certains des plus talentueux
artistes de son temps, comme le Maître de Moulins ou le sculpteur
Jean de Chartres. Un compte en date du 14 février 1498 mentionne
plusieurs noms d'artistes œuvrant à son service, tels les
peintres Jean Perréal et Jean Richer dit d'Orléans, ainsi
que l'architecte de la collégiale de Moulins, Jean Musnier.
Hélas, la disparition d'une partie importante des archives de la
maison de Bourbon dans l'incendie du château de Moulins en 1755,
puis à la Chambre des comptes de Paris en 1793, n'autorise pas
une connaissance précise de son mécénat, tout
comme de celui des Beaujeu d'ailleurs.
Nous savons pourtant que le duché des Bourbon accueillit des
compositeurs aussi renommés que Johannes Ockeghem. Loyset
Compère et Alexander Agricola ont très certainement
séjourné à la cour et exercé leur art,
aussi bien que le poète François Villon. Le duc Jean II
de Bourbon était lui-même un poète de renom (il est
l'auteur de quelques-uns des textes des chansons que nous
interprétons), et l'on comprend que sa sensibilité
artistique y est pour beaucoup dans le développement de cette
cour parmi les plus brillante d'Europe. De plus, ces mêmes
musiciens furent à différentes époques
rattachés au royaume de France dont Anne de Beaujeu, fille du
roi Louis XI, eut la régence jusqu'à la majorité
de son frère, le roi Charles VIII.
D'où mon envie de réunir ces compositeurs dans un
enregistrement, en leur donnant comme contexte le château de
Moulins et le Duché de Bourbon au temps d'Anne et de Pierre II
de Beaujeu.
La musique
La fin du XVème siècle voit les derniers exemples de
chansons en formes fixes que sont Ballades, Virelais et Rondeaux.
Héritées du Moyen-Âge, ces formes habitent alors
les chansons, souvent 3 voix, à la thématique courtoise
(«Vous me faites morir», «Aultre Venus»,
«Pensant au bien», «La despourveue», «Je
nay deuil», «Presque transi»). La technique
d'écriture en imitation en est souvent la caractéristique
principale. Toutefois, le jeu dans certaines pièces est
sublimé par l'introduction de 2, voire 3 textes
littéraires différents... Ce sont les fameuses chansons
pluri textuelles, doubles chansons et autres motets-chansons
(«S'elle m'amera — Petite Camusette», «Belle
sur Toutes — Tota pulchra es», «Mort tu as
navré — Miserere», «Plaine d'ennuy —
Anima Mea», «Permanent Vierge — Pulchra es/Sancta Dei
Genitrix».), populaires vers la fin du XVème siècle
jusqu'au tout début du XVIème siècle. Ces
œuvres, par la juxtaposition de différents textes et
musiques simultanés, aussi bien que par la rencontre possible
des genres profanes et sacrés, ouvrent tout un univers d'effets
symboliques riches et profonds.
ANNE DE FRANCE, artiste et
mécène
Anne aux trois noms.
Anne de France puisqu'elle est fille de Louis XI.
Anne de Beaujeu du jour où elle épouse Pierre de Beaujeu.
Anne de Bourbon lorsque son mari porte le titre de duc de Bourbon.
Née en 1461 et morte en 1522, durant sa vie elle connut quatre
rois: Louis XI, Charles VIII, Louis XII et François Ier. On
l'appelait aussi "Madame la Grant" parce qu'elle assura par deux fois
la régence du royaume de France, lors de la
minórité de son frère, le futur Charles VIII, de
1483 à 1491, et lors de l'absence du roi pendant la
première guerre d'Italie, en 1494 - 1495.
Elle vécut à cette époque charnière entre
la fin du Moyen Age et l'aube de la Renaissance, où les
mentalités basculaient tandis que s'ouvrait le Nouveau Monde.
Et, voici que, pour la chapelle du "Logis neuf' -en 1497 ou 1498 sans
pouvoir être plus précis-, elle a commandé un
retable en trois panneaux. Ce que Raphaël a fait à la
même époque mais sous d'autres cieux, le Maître de
Moulins, avec le même génie, vient de l'exécuter.
Aujourd'hui encore, il est impossible, devant le "Triptyque de la
Vierge en gloire", de ne pas être fasciné par la
présence intense des donateurs. Peut-être parce qu'ils ne
sont pas idéalisés comme leurs intercesseurs mais tout
chargés d'humanité.
La Cour de Moulins
Anne insuffle un nouvel état d'esprit au service d'une culture
très ouverte en accueillant tout ce que le monde des arts et des
lettres de l'époque contient de talents. Comme tous les princes
de son temps, et à la manière italienne, elle cherche
à former une "cour" où sont appelés les artistes
les plus prestigieux.
Pour construire un cadre digne de son œuvre elle fait agrandir le
parc en achetant ou en échangeant des maisons alentour pour
permettre de constituer une cour à galeries, un jardin "d'en
haut", avec une terrasse à treillages d'où l'on embrasse
le val d'Allier; de là descendent en cascades des cuves en
pierre de taille où nagent des poissons. Le parc aboutit
à la place des Lices où se donnent des tournois. Anne
fait construire aussi une oisellerie, -elle a un gouverneur pour ses
oiseaux-, planter des arbres d'essence exotique, orangers, citronniers,
myrtes, lauriers, pins, etc; poser une immense fontaine en pierre de
Volvic, l'une des plus belles du royaume selon Nicolas de Nicolaÿ.
Ses parterres sont en toutes saisons fournis de fleurs et de
légumes. Dans le jardin est même dessiné un
labyrinthe. Dans le "Compte des dépenses pour Anne de France
à ses châteaux et jardins de Beaumanoir et de Moulins", on
relève des factures prouvant qu'elle fait également
travailler de nombreux artistes, des poètes et des musiciens.
Aux Temps Modernes
Anne de France est une femme de l'histoire, mais c'est aussi une
présence.
Face à elle, chacun devrait pouvoir se sentir concerné. A
une époque où l'individu l'emporte plus que jamais sur le
groupe, ne serait-il pas temps de retrouver et de repenser la notion de
"corps" autour de laquelle il faudrait inventer une nouvelle
façon de "vivre en commun".
Autrefois, les confréries rassemblaient les hommes au sein de
sociétés pour faire œuvre commune et de
charité (humanitaire, dirait-on aujourd'hui). Pourquoi ne pas
renouveler les sociabilités d'antan en créant des
réseaux qui se donneraient pour mission de sauver et transmettre
les héritages de ceux qui vécurent sur cette terre, de
ceux qui surent l'embellir mais qui disparurent comme nous
disparaîtrons? Car la beauté, elle, ne doit pas
disparaître, et la mémoire de ceux qui lui
consacrèrent leur vie, pas davantage. Tout simplement parce que
sans mémoire, il n'y a pas de futur. Sans racine, pas de fleur.
Sans symbole, pas de sens.
A celui qui, à notre époque, voudrait affirmer son amour
des arts, de tous les arts, il lui suffit de s'inspirer d'Anne de
France. Car, dans un monde dominé par les violences de pouvoirs
fous, il n'est guère de salut en dehors d'une confiance
agissante en des valeurs civilisatrices, celle de la musique, celle du
chant, celle de la poésie, celle de la sculpture, celle de la
peinture, celles qui font la vie si belle...
Jean CLUZEL, de l'Institut
Eléments
musicologiques :
S'elle m'amera/Petite camusette - Johannes Ockeghem
(1420-1497)
Sources imprimées: Petrucci 1504/3
Sources manuscrites: FlorC 2439 (à. 3); Brus 11239, MunBS 1516
(an, à. 3)
Double chanson à 4 voix, avec un rondeau cinquain en
octosyllabes au supérius (S'elle m'amera) qui se déploie
sur une chanson écrite en quodlibet dans les 3 parties
inférieures (Petite Camusette)
Vous me faites morir - Loyset Compère (1445-1518)
Source littéraire: Jean II de Bourbon in FPn fr. 2245 Sources
imprimées :
Sources manuscrites: Paris BNF 2245; CopKB 1848 (an, «Or suis je
bien transy d'esmoy»)
Rondeau à. 3 voix, à l'écriture musicale virtuose.
Le texte littéraire, selon toute vraisemblance, est de Jean II
de Bourbon.
Aultre Venus - Johannes Ockeghem
FlorR 2794 / Rondeau quatrain en octosyllables à 3 voix.
Pensant au Bien - Loyset Compère
Paris BNF 2245 / Rondeau quatrain en décasyllabes à 3
voix.
Belles sur toutes/Tota pulchra es - Alexander Agricola
(1445-1506)
Sources imprimées: Petrucci 1504/3; Attaingnant 1529/4 (an);
Formschneider 1538/9 n°84 (an, s.t.) Sources manuscrites: FlorC 2439
Motet Chanson avec un Rondeau quatrain en décasyllabes (Belle
sur toutes) au supérius et au ténor, et motet
(plain-chant) à la basse (Tota pulchra es) et écrit
à 3 voix.
Mort, tu as navré de ton dart - Johannes Ockeghem
F-Dm 517 / Motet Chanson à 4 voix, avec une Ballade (Mort tu as
navré) au supérius, qui est une déploration sur la
mort de Binchois, combinée avec le texte en latin (Miserere)
reprenant les derniers mots du Dies Irae dans les 3 parties du dessous.
La despourveue - Johannes Ockeghem
Source littéraire: Chasse Verard 1509 Sources manuscrites:
FlorBN Magl. 176 Rondeau cinquain en octosyllabes à 3 voix.
Je n'ay dueul - (Jean II de Bourbon) Alexandèr
Agricola
Source littéraire: Pn, ms. fr. 1719 Sources imprimées:
Petrucci 1501
Sources manuscrites: BolC Q17, FlorBN Magl. 178, FlorBN BR 229, FlorR
2794, RegC 120, RomeC 2856,VatG XIII-27; Brus 228, CorBC 95-6, LonBLR
20Axvi (an); Ver 757 (s.t. n°35)
Virelai composé à 4 voix sur l'incipit de la partie de
Contre-ténor de la chanson éponyme de Johannes Ockeghem.
Le texte littéraire, selon toute vraisemblance, est de Jean II
de Bourbon.
Plaine d'ennuy/Anima mea - Loyset Compère
Sources manuscrites: BolC Q17, FlorC 2439, LonBL 35087; Brus11239 (an)
Motet Chanson à 3 voix, avec un rondeau quatrain en
décasyllabes au supérius et au ténor (Plaine
d'ennuy) et plain-chant latin à la basse (Anima Mea).
Presque transi - Johannes Ockeghem
Sources manuscrites: MS M2.1 L25 Case / (Laborde Chansonnier)
Virelai à 3 voix en décasyllabes. Sûrement à
l'origine du motif de tête de la «messe Mi-mi» du
même compositeur.
Permanent vierge - PULCHRA ES/SANCTA DEI GENITRIX - Johannes
Ockeghem
F-Dm 517 / Motet-Chanson à 5 voix combinant un rondeau quatrain
en décasyllabes au voix 1, 2 et 4 avec deux antiennes mariales
aux voix 3 et 5 (Pulchra es/Sancta dei genitrix).
De nombreux musicologues considèrent cette œuvre comme
étant d'Ockeghem, mais à défaut d'unanimité
elle est toujours actuellement considérée comme une
«œuvre d'attribution douteuse».