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Ligia Digital 202234
2012
01 - Introït. Gaudeamus [5:23]
02 - Kyrie. Jhesu Deus dulcissime [5:16]
de Fronciaco
03 - Gloria. Clemens deus artifex [3:37]
04 - Graduel. Benedicta et venerabilis [3:56]
05 - Alleluia [1:55]
06 - Sequence. Area virga [7:18]
07 - Credo [6:31]
Bombarde
08 - Offertoire. Diffusa est [1:33]
09 - Sanctus [3:16]
10 - Agnus Dei [1:40]
11 - Communion. Regina mundi [3:32]
12 - Ite missa est [0:29]
13 - Motet 'Petre Clemens' [6:36]
Philippe de Vitry
La Main Harmonique
Frédéric Bétous
Andrés Rojas, contre-ténor
Frédéric Bétous, contre-ténor
Edouard Hazebrouck, ténor
Didier Chevalier, basse
Guillermo Pérez, organetto
Enregistré en
l’abbatiale de La Chaise-Dieu du 13 au 15 Avril 2011.
Prise de son et montage numériques: Eric Baratin - Moyens
techniques: Ligia
Direction artistique: Nadia Lavoyer et Eric Baratin
Éléments musicologiques:
Les pièces polyphoniques de
l’ordinaire de la messe sont tirées des manuscrits
d’Apt et d’Ivrée édités par G. Gattin
et F. Facchin (Polyphonic music of the 14th century). Le propre
du jour de l’assomption est interprété
d’après le manuscrit Lat. 9441 (Missel de Notre Dame de
Paris), ainsi que du Lat. 17311 (Missel de Cambrai).
Nous avons choisi une prononciation restituée du latin. Le
principe ici est d’adopter pour le latin la même
prononciation que pour la langue vernaculaire, qu’on appelle aux
XIVe et XVe siècles le moyen français,
intermédiaire entre la langue d’oïl et les
débuts du français classique. (Pour de plus amples
renseignements voir les travaux d’Olivier Bettens sur le site www.virga.org).
La musique à la cour du pape Clément VI (1342-1352)
Si la cour des papes d’Avignon est l’un des hauts lieux de
la vie musicale en Occident au XIVe siècle, c’est
d’abord parce qu’au Moyen Âge, la musique ne se
distingue guère de la liturgie. Les messes, les heures et
l’ensemble des célébrations liturgiques sont
accompagnées par le chant, dont la fonction est de souligner et
d’embellir le verbe de Dieu. À la cour pontificale des
années 1300 comme partout en Occident, les monodies du
plain-chant, ce que nous désignons comme «chant
grégorien», sont le fondement de la pratique musicale.
Cependant, cette pratique, dont il ne faut pas oublier qu’elle
est la norme liturgique et le reste jusqu’à la fin du
XVIIIe siècle, s’accompagne depuis le milieu du XIIe
siècle de chants polyphoniques dont la complexité est
croissante. L’essor de la polyphonie suscite néanmoins les
critiques des autorités ecclésiastiques, qui
considèrent que l’intelligibilité du texte est
progressivement mise en cause par les raffinements de la musique. Cette
opposition culmine avec la décrétale Docta sanctorum
publiée par le pape Jean XXII (1316-1334), qui tente de limiter
l’emploi de la polyphonie dans la liturgie. Au moment même
où le pape s’érige contre les nouvelles pratiques
musicales, il est aussi le dédicataire d’un motet
polyphonique dont l’écriture rappelle aussi bien les
parties polyphoniques des messes des grandes cathédrales des
Flandres ou du nord de la France que les motets qui circulent à
la cour de France ou à celle de Naples. À Avignon
même, dans les années 1320, certains grands cardinaux
commencent à recruter pour leurs chapelles des chantres
septentrionaux formés à la pratique de cette musique
qu’on appelle aujourd’hui conventionnellement l’ars
nova, et qui s’appuie sur de nouveaux procédés
d’écriture permettant de noter la hauteur et la
durée des sons avec toujours plus de précision. En 1334,
le pape Benoît XII réforme la chapelle pontificale et
nomme en 1336 le premier maître de chapelle, Pierre Sintier, qui
prend en charge la vie musicale, liturgique mais aussi
matérielle de l’ensemble formé par les douze
chantres.
Lorsqu’il monte sur le trône de Pierre, en 1342,
Clément VI se trouve donc au cœur d’un univers
musical et liturgique en plein renouvellement, au sein duquel le
plain-chant traditionnel se voit désormais occasionnellement
orné d’une musique polyphonique savante. Le nouveau pape
encourage de manière décisive l’essor de la
polyphonie en orientant définitivement le recrutement des
chantres vers la France du nord et les Flandres. La chapelle
d’Avignon devient dans les années 1340 l’un des
lieux les plus brillants de la vie musicale occidentale, et des
professionnels aguerris à la liturgie et à la polyphonie
dans les grandes maîtrises des cathédrales septentrionales
y mènent désormais de véritables carrières
curiales, recevant des gages quotidiens, mais aussi des dons en nature
et des bénéfices ecclésiastiques. Cet engouement
nouveau fait peu à peu de ces clercs spécialisés
de véritables artistes qui se détachent du monde
clérical dans lequel ils ont été formés. Le
prestige de la chapelle pontificale d’Avignon à partir de
Clément VI est tel que de nombreux princes tentent ensuite de
recruter les chantres du pape, comme le roi d’Aragon en 1353,
puis, en 1394, le duc de Bourgogne. Pendant toute la seconde
moitié du XIVe siècle, sous l’impulsion de
Clément VI, la chapelle d’Avignon est le centre de la vie
musicale en Occident, et il faut le Grand Schisme et l’ascension
de la chapelle du duc de Bourgogne pour qu’elle souffre la
comparaison.
Clément VI est aussi le souverain qui dote la chapelle
d’un espace prestigieux, propre à la performance musicale
de haut niveau, la «Grande Chapelle» du Palais-Neuf. On se
rappelle que le terme «chapelle» est en effet
polysémique, et qu’il désigne à la fois un
groupe d’hommes responsables de la liturgie — et
désormais de la musique —, un ensemble d’objets et
de reliques, et un lieu. Lorsque Clément VI entreprend
d’agrandir le palais des papes pour lui donner l’allure
qu’il garde encore aujourd’hui, il projette de faire
réaliser, au premier étage de l’aile sud, une vaste
chapelle palatine de 52 mètres de long sur 16 mètres de
large, dont les voûtes culminent à près de 20
mètres, et à laquelle on accède par un escalier
monumental et un portail ouvragé. Il dote richement la chapelle,
dont on connaît l’inventaire, d’une centaine
d’objets, de tissus et de manuscrits destinés à
assurer son fonctionnement quotidien, et d’un budget placé
sous la responsabilité du maître de chapelle.
Le développement de la chapelle pontificale de Clément VI
s’inscrit dans une politique de représentation et de
prestige. Le pape, qui est lui-même un savant de très haut
niveau, ancien professeur de théologie à
l’université de Paris, le prédicateur le plus
réputé de son temps, encourage et soutient non seulement
les musiciens, mais aussi les peintres ou les lettrés. Tandis
que le poète Pétrarque ou le peintre Simone Martini
séjournent sur les bords du Rhône, liés aux grands
cardinaux mécènes italiens, Clément VI confie la
décoration du palais des papes à Matteo Giovannetti et
à son équipe. En moins de dix ans, le palais
d’Avignon mais aussi sa résidence
d’été, à Villeneuve-lès-Avignon,
s’ornent de fresques dans le goût de la pittura nuova
qui se développe en Toscane, au même moment où
Pierre de Besse, confesseur du pape, supervise la commande de
manuscrits pour la bibliothèque pontificale. Dans ce contexte,
le choix de rehausser le plain-chant par l’ars nova
n’a rien d’un hasard, ce dont témoignent les
manuscrits musicaux conservés. En effet, le répertoire
polyphonique de la cour pontificale remonte précisément,
en l’état actuel de nos connaissances, au règne de
Clément VI, ainsi qu’en témoigne ce disque.
C’est à lui qu’on peut rattacher les pièces
les plus anciennes du manuscrit de la cathédrale d’Apt
n°16bis, qui comporte en particulier un Kyrie tropé
commençant par les mots Rex angelorum/Clemens pater,
dont on peut penser qu’il était directement destiné
au pape. C’est également à Clément VI que
renvoie une partie du répertoire noté dans le manuscrit
d’Ivrea (Bibliothèque Capitulaire n° 115), comme le Gloria
tropé Clemens deus artifex, ou le motet de Philippe de
Vitry Petre Clemens/Lugentium siccentur, qui sont des
compositions jouant avec le nom du pape. Ce répertoire ne
s’oppose pas à la pratique du plain-chant mais vient la
compléter: à côté de la liturgie
célébrant Dieu, se développe une sorte de
para-liturgie, dont le faste retentit sur le souverain. La
complexité de cette musique fait qu’elle ne peut
être exécutée que par des professionnels de haut
niveau; sa maîtrise par la chapelle pontificale est donc une
manifestation de puissance de la part d’un pape qui est aussi un
prince. Plus encore, la superposition des voix, qui était
critiqué par la décrétale de Jean XXII, devient un
outil de communication, laissant tantôt émerger des mots
clairement intelligibles, comme le nom du pape, et créant le
plus souvent un effet d’enchevêtrement montrant à
l’auditeur que quelque chose est en train de se dire sans
qu’on puisse le saisir — comme une langue d’une
nature supérieure, la langue des dieux et des souverains. Ainsi
l’ars nova voulue par Clément VI finit-elle par être
emblématique d’une esthétique qui est aussi une
politique, inaugurant une nouvelle proximité entre le prince et
la musique.
Etienne Anheim
Le motet Petre Clemens / Lugentium siccentur / Non est inventus
similis
Une œuvre musicale au service de la politique de Clément VI
En mai 1342 l’archevêque Pierre Roger d’Egletons est
élu pape et prend le nom de Clément VI. Sa prise de
pouvoir ne fut pas simple: il dut très rapidement se justifier
face à ses détracteurs, de la manière la plus
ferme qui soit, afin de justifier sa légitimité au sein
de la Nova Roma: la cité d’Avignon. Le Saint
Empire, à travers son empereur, profite de ce changement de pape
pour réitérer son opposition au siège
d’Avignon. Le fait qu’il ne reconnaisse par le pontife est
considéré par ce dernier, comme un crime envers sa
personne et envers le Christ lui-même. Ainsi, la
désobéissance et la trahison font partie des actes
considérés comme hérétiques.
Le peuple de Rome, quant à lui, se remet à espérer
le retour du pontife dans l’Urbs, sur son siège
séculier. Entre la fin de l’année 1342 et le
début de l’année 1343, deux
délégations romaines viennent successivement demander
audience au pape afin de lui soumettre une pétition (inter
alia) du peuple romain lui demandant son retour dans l’Urbs.
Tous les efforts se révéleront vains. Le siège
s’installera de manière durable en Avignon: Clément
VI voulant développer le palais pontifical de Benoît XII
devenu inadapté à son goût pour l’exercice de
son pouvoir. Le projet se réalisera à partir de 1344 et
se nommera l’Opus Novum.
Le droit de regard du pape sur le pouvoir temporel n’est plus une
chose acquise. Dans l’année même de
l’élection de Clément VI, Guillaume d’Ockham
publie son Breviloquium de principatu tyrannico,
également appelé Breviloquium de potestate papae,
un réquisitoire contre la pouvoir tyrannique de la
papauté qui rejette le principe de théocratie.
L’ouvrage est rédigé en 1341-1342. Le plan de
l’ouvrage se met en place à partir d’une violente
critique de l’Église d’Avignon. Pour le philosophe,
le siège de la papauté doit être
considéré comme une déformation injustifiée
de la véritable Église romaine.
Au même moment, un compositeur déjà illustre,
Philippe de Vitry, lui dédie une œuvre magistrale: le
motet Petre Clemens / Lugentium siccentur / Non est inventus.
Cette œuvre est écrite pour trois voix dont deux voix
égales et une teneur liturgique issue du verset «Non
est similiis illi» du graduel du commun d’un
confesseur. Une dédicace situe l’œuvre au alentour
du temps de noël 1342-1343. Cependant, cette œuvre
n’est en aucun cas une simple pièce d’éloge.
Elle offre bien plus que cela. D’ailleurs, l’art musical se
développe pour devenir sous Clément VI un réel art
de rhétorique musical, un ars rhetorica musicalis.
La musique est donc là pour soutenir des actions politiques,
donner une démonstration complémentaire et unique de la
légitimité du pouvoir en Avignon par ses capacités
singulières à présenter des faits, mettre en
relation les voix, les textes littéraires et leurs symboliques.
- L’œuvre et ses sources
La pièce n’existe que dans une seule source
complète, le Codex d’Ivrea, (Ivrea Biblioteca Capitolare
J. IV 115), Cependant cette version date de la fin du XIVe
siècle. Un autre manuscrit, le MS. 4195 de la Ostereiche
National Bibliothek, recueil de sermons de Pierre Roger (Nom de
baptême du pape) et de Clément VI, se présente
comme un livre d’écrits personnels du pape copié,
semble-t-il, en Avignon à partir des années 1340. Il
contient des sermons et divers écrits
«prêchés» en consistoire, sur des
thèmes politiques chers à Clément VI, comme la
campagne qu’il menait contre Louis de Bavière, le
prétendant au trône de l’empire, ou la
réponse qu’il fit au peuple de Rome délivré,
qui lui demandait le retour dans l’Urbs.
C’est à cet endroit, après le sermon Aperi
labia mea (prônant que «là où se trouve
le pape se trouve Rome», écrit vers la fin de 1342) que se
trouvent consignés les deux textes littéraires complets
du motet Petre Clemens. Les textes musicaux ne sont pas copiés.
Seuls les textes littéraires sont consignés. Pourtant,
malgré ce manque sur le plan musical, cette source n’en
est pas moins importante car elle renferme le texte inédit du
ténor sous l’incipit «Non est [fuit~ inventus
similis illi». L’intérêt est
d’autant plus grand que ce texte de Philippe de Vitry fait partie
intégrante d’un livre personnel du pape et montre par
conséquent l’importance que le motet pouvait revêtir
aux yeux du pontife.
- La symbolique
La structure poétique est basée sur deux textes
écrits en vers décasyllabiques. Vitry utilise
principalement des figures de la mythologie et des
éléments allégoriques. Le sens, organisé
avec finesse, est d’un très haut niveau intellectuel. Les
allusions mythologiques sont nombreuses. Pour les auteurs tels que
Vitry qui font partie d’un courant pré-humaniste, ces
références à la mythologie classique dans
l’écriture des textes sont incontournables.
On remarque généralement que pour les motets politiques
en relation avec le monde de l’église que les trois voix
ont une symbolique par leur propre position sur la partition. Ainsi le triplum
(la voix la plus haute), représente le monde du ciel (allusion
à la chaire de Saint-Pierre par la citation du graduel). Cette
chaire est au cœur de toute la politique de la papauté
d’Avignon. Étant donné que «le
siège» de Pierre n’est pas dans la cité, mais
est resté à Rome, les détracteurs en profitent
pour stipuler que le siège de Clément n’est pas
légitime. Vitry ici fait référence à
l’office de célébration de cette chaire en citant
la pièce grégorienne qui lui est dédiée «Iam
bone pastor Petre Clemens accipe».
La voix du milieu, le duplum, représente celle des
intermédiaires entre le ciel et la terre et fait
référence au pontife Clément VI par le graduel du
commun d’un pontife «Ecce sacerdos» et la
dédicace «Clemens sextus sanctus factus
divinitus». Le ténor, la voix la plus basse
quant à elle symbolise le monde de la terre. Elle fait
référence par la phrase «Non est inventus
similis illi» [il n’existe personne de semblable
à toi] au pontife qui est le chef suprême de
l’Église sur la terre sans contestation possible.
C’est également un rappel de la voix de duplum
puisqu’il est issu du texte du graduel du Commun d’un
confesseur.
n ce qui concerne le triplum: La première partie du
texte traite des origines de notre pontife. Elle débute par la
phrase de dédicace «Petre Clemens tam re quam
nomine». Par un jeu de mot Vitry expose le double sens que
porte le nom du pontife: Clément de par son nom et
clément par ses actions. Par la suite, Philippe de Vitry, en bon
hagiographe, nous présente le pape Clément
protégé et entouré par les divinités
grecques. Depuis sa naissance il est destiné à diriger
l’Église.
Dans la deuxième partie du texte apparaît une
thématique orientée sur la légitimité de
Clément VI, assimilé en «Cephas», nom
hébraïque de Saint-Pierre. Son pouvoir est universel, et
dépasse les rancœurs que certains entretiennent envers le
siège d’Avignon. On peut y voir évidemment une
insinuation de la phrase «Ibi Papa ubi Roma»
(Là où se trouve le pape se trouve Rome), vu plus haut.
La suite du texte évoque le pouvoir de Clément, et plus
précisément les orientations temporelles de sa politique
comme monarque, prince, et serviteur. Encore une fois cette gradation
dans la désignation de son pouvoir montre son pouvoir multiple,
qu’il assume sur tous les fronts: des hautes sphères
politiques au petit peuple. Tout ceci dans le contexte historique
chargé de la Guerre de Cent Ans et de la mutation flagrante dans
la considération du pouvoir papal, désignée par
Vitry dans l’expression: «..., mais d’un monde
malade, Serviteur, mais serviteur de délirants...». Cette
expression très forte désignant les fous, les
délirants, montre bien que les Puissants ont perdu la raison,
ainsi que l’ordre des choses. Pour Clément, et pour Vitry
son porte-parole, le pape est au-dessus de tout et tous ceux qui
n’acceptent pas avec évidence cette règle de
l’Église ne peuvent être considérés
comme sains d’esprit.
Pour le duplum: le texte de cette partie est intimement
lié à celui du triplum. Nous retrouvons tout
d’abord une dédicace importante stipulant
l’élection de Clément: Clemens sext[a]
sanctus[factus] divinitus. Il est Clément le sixième,
avec l’approbation de Dieu. Son pouvoir est indiscutable. Pour
asseoir cela, il situe cette phrase au sixième vers du
poème, endroit hautement stratégique. Au vers suivant,
Clément est assimilé à la figure de
l’Apollon de Cirrha, tueur du serpent Python, modèle de
vertu, mais également Dieu des arts et plus
particulièrement de la musique. Dans la suite du texte, Vitry
décrit la personne du pape sous un jour inhabituel pour
l’époque: comme un prince quasi laïque, le pontife
côtoyant de près les arts et maîtrisant parfaitement
l’art du discours musical. Par la suite Vitry adresse au pontife
des souhaits et des recommandations. Clément est
présenté comme un nouveau Saint-Pierre qui
n’abandonnera pas les préceptes de l’Église
et du Christ. Enfin nous parvenons au cœur de la dédicace:
Tu Clemens es et Clemens dixeris / Tu es clément et
appelé Clément.
Cette phrase fait le lien avec le triplum: Petre Clemens,
tam re quam nomine que nous avons vu plus haut. En rendant hommage
au pape, Vitry s’implique directement au propos du poème.
Il se décrit comme un chantre qui, par sa musique, chante les
louanges de son pontife. Le musicien, homme simple mortel, conclut
l’œuvre en désignant Clément VI comme seul
légitime.
- Petit guide d’écoute
On remarque lorsqu'on écoute cette œuvre que des parties
musicales se répètent régulièrement. Il est
vrai que ce motet s'organise selon un plan rhétorique quasi
identique durant toute l’œuvre: sis parties respectant le
même schéma mélodique complété par un
grande introduction et une brève conclusion.
Cela montre en tout cas la volonté d’organiser les
discours de cette œuvre (musical et littéraire), de
façon claire et propice pour véhiculer un message. Ce
phénomène n’est pas fréquent dans les motets
de l’époque dits «isorythmiques». Ils ne
favorisent généralement pas la compréhension du
texte pour l’auditoire, puisque le principe de ces oeuvres est de
s’adresser à différents destinataires. Ainsi les
techniques d’écritures en imitation (une voix imite une
partie de la voix précédente) permettent d’ajouter
des éléments dans l’argumentation pour que la
compréhension soit parfaitement efficiente.
- Tout d’abord une partie en style imitatif, où les voix
dialoguent entres-elles favorisant de surcroît la
compréhension du texte,
- Il s’ensuit une partie où les deux voix se superposent,
chacune suivant sa direction, suivie d’une autre partie en style
dialogué. Enfin, les voix se superposent de nouveau avec un
effet de «tuilage» qui consiste à imbriquer une voix
dessous l’autre, chacune démarrant lorsque l’autre
termine.
Pour finir une partie bien caractéristique de l’art
musical français en hoquet, qui nous amène sur une
cadence qui conclue la partie.
Cet agencement est donc immuable durant toute l’œuvre. Nous
avons ici mis délibérément de côté
l’introduction et la conclusion qui sont régies
différemment. Ainsi pour la première on peut dire que
c’est un résumé de toute la structure
rhétorique que l’on vient de voir: toutes les
différents parties y figures. Cependant la partie en style
dialogue l’emporte, car c’est elle qui ouvre la
pièce puisque le triplum et le motetus rentrent
en décalage afin de permettre de citer clairement la
dédicace à Clément VI.
La conclusion quant à elle, est caractérisée par
une longue tenue de la voix basse de ténor durant laquelle les
voix supérieures superposées terminent leurs discours.
Cette partie semble étirer la temporalité du morceau pour
l’amener sur la cadence finale.
Soulignons pour finir le formidable talent de Philippe de Vitry qui
utilise les hauteurs de voix de manière subtile afin que,
même si elles se superposent, les mots importants restent
compréhensibles pour l’auditeur.
Julien Ferrando
N.B.: Pour la traduction du texte voir:
Olivier Cullin:
‘Laborintus: Essais sur la musique au Moyen Âge’
«Les chemins de la musique», Fayard, Paris 2004