Douce Amie. Chansons de Trouvères
Millenarium





medieval.org
Ricercar “Ars Trobar” RIC 215

2001
Outhere / Ricercar, 2007








1. Au renouvel du tens   [1:58]   anonyme

2. Dame, ensinc est   [9:31]   Thibaut de CHAMPAGNE

3. Rose des rosaces   [2:06]   d'après la Cantiga de Santa Maria 10   CSM 10

4. Li nouviauz tanz   [3:56]   Chastelain de COUCI

5. Improvisation sur Aymans, fins   [6:53]   d'après Lambert FERRI

6. Ce fut en mai   [1:25]   Moniot d'ARRAS

7. La tierche estampie royale   [4:45]   anonyme

8. Pour coi me bait mes maris   [3:13]   anonyme

9. Estampida Arnautz   [4:03]   d'après Arnautz DANIEL
[Lo ferm voler]

10. Amours, ou trop tart me sui pris   [7:40]   Blanche de CASTILLE

11. Touz esforciez avrai chanté sovent   [5:15]   Gautier d'ÉPINAL

12. Estampie Janus   [3:08]   d'après Richard CŒUR de LION
[Ja nus hom pris]

13. Douce Dame grez et graces vos rent   [10:23]   Gace BRÛLÉ








Millenarium

Carole MATRAS — voix & harpe
Christophe DESLIGNES — organetto
Thierry GOMAR — percussions

avec la participation de
Dominique REGEF — vièle et rebec
Henri TOURNIER — flûtes



Enregistrement : Novembre 2001, église Notre-Dame de Centeilles
Prise de son et direction artistique : Jérôme LEJEUNE
Production : Jérôme LEJEUNE

℗ Ricercar 2002
© Ricercar 2002 | Outhere 2008




English liner notes




Millenarium et la Ville de Narbonne, un partenariat

Parce que la musique est un moyen de percevoir le monde, elle est devenue exemple d'évolution de notre société. Millenarium voit en elle un jeu de miroirs où les éléments se définissent, se réfléchissent, se déforment et s'enregistrent. La musique trace un labyrinthe dans lequel l'homme recherche le chemin de sa perfection, le souvenir des savoirs, la raison des échecs, les plaisirs des rencontres, des échanges.

L'ensemble Millenarium a une identité méditerranéenne. Son affinité avec les musiques anciennes religieuses, courtoises, populaires du bassin méditerranéen, mais aussi son engagement artistique dans ce nouveau siècle le conduisent à être créatif, l'écoute des différentes influences musicales qui traversent notre époque et nos vies.

Narbonne, carrefour des routes de la Méditerranée, terre romaine, terre de troubadours, est une terre d'accueil. Ville témoin du passé, son engagement actuel, notamment dans le domaine culturel, sa vitalité, et sa situation géographique privilégiée en font une ville moderne, dynamique.

Narbonne souhaite contribuer au développement et au rayonnement de l'ensemble Millenarium. Celui-ci bénéficie du soutien de la ville pour la réalisation des différents enregistrements discographiques, et pour sa représentation sur les scènes régionales, nationales et internationales.


Cet enregistrement a été réalisé avec l'aide de la Ville de Narbonne








Douce amie

Héloïse écrit qu'Abélard aurait composé, du temps de leur passion amoureuse, des chansons que tout le monde chantait. Si cela est vrai, Pierre Abélard (1079-1142), contemporain de Guillaume IX d'Aquitaine (1071-1126), de Hildegard von Bingen (1098-1179) et de Bernard de Clairvaux (1090-1153), serait le premier des Trouvères, près d'un siècle avant Guiot de Provins, Blondel de Nesles et Gace Brûlé. Malheureusement, les chansons d'amour d'Abélard ont disparu. Nous ne savons même pas si elles étaient écrites en latin ou en français.

Les premiers Trouvères apparaissent donc une époque où l'Amour courtois est déjà tombé en décadence. Chantant en langue d'oïl dans les divers dialectes du nord de la France, en picard, en champenois, en wallon, ils s'inspirent des thèmes de la "Fin Amor" mis à la mode par les Troubadours dont ils reprennent les principaux genres poétiques : la chanson, le serventois, le jeu-parti et l'aube. Mais ils développeront également d'autres genres comme la pastourelle et la chanson de croisade et inventeront la chanson de toile, la chanson de mal mariée et la chanson pieuse. Poètes courtois évoluant dans une société urbaine en pleine expansion, les Trouvères s'embourgeoiseront assez vite, écrivant pour un public de riches marchands, et se regroupant en confréries dans des centres importants comme à Arras.

Les traductions de Denis Hue, fondées sur l'étude philologique et critique des sources, essaient de proposer au lecteur un texte moderne, fidèle dans l'esprit, mais accessible au grand public.

Notre programme propose trois chansons d'amour (Douce Dame de Gace Brulé, Tout esforciez de Gautier d’Épinal et Li nouviau tanz du Châtelain de Coucy), une chanson de croisade de Thibaut de Champagne (Dame ensinc est), une chanson de mal mariée anonyme (Por coi me bait mes maris), une chanson pieuse attribuée à la reine Blanche de Castille, Amours, ou trop tart, et un clin d’œil à la chanson de rencontre avec la très célèbre Ce fut en mai de Moniot d'Arras.

Chevalier de petite noblesse champenoise, Gace Brulé naquit vers 1159. Auteur de 69 chansons, il fut accueillit dans le cénacle poétique de la comtesse Marie de Champagne, sa suzeraine. Il séjourna également auprès du comte de Bretagne Geoffrey Plantagenet, demi frère de Marie. On le retrouve également auprès des comtes Thibaut et Louis de Blois.

Guy de Thourotte, fils de Jean de Thourotte et d'Adèle de Montmorency, chevalier, fut gouverneur du château de Coucy dans l'Aisne entre1170 et 1202. Il participa à la troisième et la quatrième croisade et mourut en 1203 pendant la traversée de la mer Égée. Il écrivit une quinzaine de chansons d'amour. La désignation de Châtelain de Coucy est postérieure à la compilation de ses œuvres dans les manuscrits. Elle est probablement issue de la "légende du cœur mangé" dont il devint le héros à la fin du XIIIe siècle, dans le Roman du Châtelain de Coucy d'un certain Jakemes.

Chevalier lorrain, Gautier d’Épinal vécu jusque vers 1270. Auteur d'une vingtaine de chansons d'amour, il eut pour protecteurs le comte de Vauclémont et le comte de Bar.

Né le 30 Mai 1201, fils posthume de Thibaut III de Champagne et de Blanche de Navarre, petit-fils de Marie de Champagne, arrière-petit-fils d’Éléonore d'Aquitaine, Thibaut IV, comte de Champagne fut élevé à la cour du roi Philippe Auguste. Il devint roi de Navarre en 1234, son oncle maternel, le roi Sanche le fort, étant mort sans héritier direct, et mourut à Pampelune en 1253. Valeureux guerrier, vassal inconstant, médiocre politique et fin lettré, Thibaut de Champagne est l'auteur de 71 poèmes conservés dans 32 manuscrits. Influencé par Gace Brulé, Thibaut fut en relation avec de nombreux Trouvères dont Raoul de Soissons, Guillaume Li Vinier, Thibaut de Blaison, Philippe de Nanteuil et Chardon de Croisille. La légende dit que ses chansons d'amour furent inspirées par la mère de Saint-Louis, la reine Blanche de Castille dont il aurait été l'amant.

Moniot d'Arras commença sa carrière de poète dans les ordres. Sorti du cloître pour des raisons qui nous sont inconnues, il se mit à fréquenter les cours du nord de la France. Il eut pour protecteurs Robert de Dreux, le Seigneur de Picquigny et Alphonse de Portugal, Comte de Boulogne.

Les pièces instrumentales présentées ici sont fidèles à notre conception de la musique instrumentale véhiculée par les jongleurs à l'époque des Troubadours et des Trouvères. Au renouvel du Temps est un arrangement d'une chanson anonyme, probablement une chanson à danser à l'origine. Estampida Arnautz et Estampie Janus sont des compositions originales d'après une chanson du Troubadour Arnaud Daniel, Lo ferm voler, et d'après la célèbre chanson Ja nus hom pris de Richard Cœur de Lion. Rose des rosaces est une version pour harpe de la Cantiga de Santa Maria n° 10, La tierche estampie royale étant la seule "composition" originale d'époque. Il nous semble en effet qu'un mélange de pièces de provenance différentes et d'origine absolument indéterminée reflète le mieux l'état d'esprit des instrumentistes qui, au Moyen-Age, n'ont jamais voulu écrire leurs compositions, perpétuant ainsi une tradition orale et improvisant sur des thèmes glanés ça et là au cours de leurs voyages. A ce titre, Estampie Janus est un hommage à deux Trouvères voyageurs et au lien privilégié d'amitié qui les unissait; lorsque Richard Cœur de Lion voulu regagner son royaume d'Angleterre après avoir livré bataille en Terre Sainte, il dû traverser le duché d'Autriche. Or, ayant eut peu de temps auparavant une altercation avec le duc, celui-ci, animé d'un esprit de vengeance, le fit prisonnier et le livra l'Empereur qui exigea une rançon colossale pour sa libération. La mère de Richard, Éléonore d'Aquitaine fit tout pour réunir la somme. Mais la légende dit qu'entre temps, Blondel de Nesles, ami du roi, se mit en route pour localiser le prisonnier afin de le faire évader. Déguisé en jongleur, il chantait des chansons de château en château, jusqu'au jour où, au pied d'une tour, il entendit une voix répondre à son chant par une mélodie connue. C'était Richard entonnant son chant de captivité Ja nus hom pris. Blondel avait retrouvé le roi son ami. Mais aucune évasion ne fut organisée et Éléonore porta elle-même la rançon qui délivra son fils.

Nous proposons un album consacré aux poésies des Trouvères mêlées de danses instrumentales. Alliant l'interprétation, la composition et l'improvisation, nous assumons l'héritage de la musique savante occidentale tout en nous inscrivant dans la tradition orale, afin d'apporter une vision créatrice et contemporaine des musiques de la civilisation féodale. En restituant la signification des mots anciens sans jamais en dévoiler le sens, nous désirons représenter comment, de notre point de vue, amour courtois et amour divin sont intimement liés pour l'humanité médiévale dans sa quête d'une certaine spiritualité.

Christophe DESLIGNES







Douce amie

Héloïse wrote that Abelard had composed songs that the entire world sang at the time when they were both deeply in love. If this is true, then Pierre Abélard (1079-1142), a contemporary of Guillaume IX of Aquitaine (1071-1126), of Hildegard von Bingen (1098-1179) and of Bernard de Clairvaux (1090-1153), would have been the first of the Trouvères, almost a century before Guiot de Provins, Blondel de Nesles and Gace Brûlé. It is to be regretted that Abélard's love songs have disappeared; we do not even know whether they were written in Latin or in French.

The first trouvères therefore appeared at a time when the phenomenon known as courtly love was already declining. Singing in the langue d'oïl, a group of Northern French mediaeval dialects, in Picard, in Champenois and in Walloon, they took the themes of the "Fin Amor" that had been made fashionable by the troubadours as their inspiration and also took up their main poetic forms: the song, the serventois, the jeu-parti and the serenade. They nevertheless also developed other themes such as the pastourelle and the song of the Crusades; they would also invent the song of the cloth, the song of the unhappily married woman and the sacred song. Courtly poets evolving in an urban society that was in full expansion, the trouvères entered the middle classes quite quickly, writing for a public composed of rich merchants and forming brotherhoods in such important centres as Arras.

Our programme includes three love songs (Douce Dame by Gace Brûlé, Tout esforciez by Gautier d'Epinal and Li nouviau tanz by the Châtelain de Coucy, a Crusader's song by Thibaut de Champagne (Dame ensinc est), an anonymous song of an unhappily married woman (Por coi me bait mes maris), a sacred song attributed to Queen Blanche of Castile (Amours, ou trop tart), and a reference to the songs of couples meeting with the famous Ce fut en mai by Moniot d' Arras.

A knight of the minor nobility of the Champagne region, Gace Brûlé was born around 1159. The composer of 69 songs, he was received into the poetic circle led by the Countess Marie de Champagne, his feudal lady. He spent time with, Geoffrey Plantagenet, the Count of Brittany and Marie's half-brother, also later serving the counts Thibaut and Louis de Blois.

The knight Guy de Thourotte was the son of Jean de Thourotte and Adèle de Montmorency and was the lord of the castle of Coucy in Aisne between 1170 and 1202. He took part in the Third and Fourth Crusades and died in 1203 whilst crossing the Aegean Sea. He was also a composer, writing fifteen love songs. His designation as lord of Coucy seems to have been applied after his works had been put into manuscript form, implying that it was an accretion from the late 13th century legend of the Eaten Heart in the Roman du Châtelain de Coucy written by a certain Jakemes.

A knight of Lorraine, Gautier d'Epinal died around 1270; he had composed more than twenty love songs and his patrons were the Count de Vaudémont and the Count de Bar.

Born on 30 May 1201, Thibaut IV, Count de Champagne was the posthumous son of Thibaut III of Champagne and Blanche de Navarre, the grandson of Marie de Champagne and the great-grandson of Eleanor of Aquitaine. He was brought up at the court of King Philippe-Auguste. He became King of Navarre in 1234, his maternal uncle King Sanche the Strong having died leaving no direct inheritor, and died in Pamplona in 1253. A fearless warrior, an untrustworthy vassal, a mediocre politician and a finely educated man, Thibaut de Champagne was the author of 71 poems that have been preserved in 32 manuscripts. Influenced by Gace Brûlé, Thibaut had links with many troubadours, including Raoul de Soissons, Guillaume Li Vinier, Thibaut de Blaison, Philippe de Nanteuil and Chardon de Croisille. Legend relates that his love songs were inspired by the mother of Saint Louis, Queen Blanche of Castile whose lover he had been.

Moniot d'Arras began his career as poet whilst still in Holy Orders. He left the cloister for reasons that we do not know and began to be seen at the courts of northern France. His patrons were Robert de Dreux, the Seigneur de Picquigny and Alphonse of Portugal, Count of Boulogne.

The instrumental pieces recorded here are true to our conception of instrumental music as practised by travelling players at the time of the Troubadours and the Trouvères. Au renouvel du Temps is an arrangement of an anonymous song that was originally a song for dancing. Estampida Arnautz and Estampie Janus are original compositions based on the song Lo ferm voler by the Troubadour Arnaud Daniel and the famous song Ja nus hom pris by Richard the
Lionheart. Rose des rosaces is a version for harp of the tenth Cantiga de Santa Maria; La tierche estampie royale is, however, the only original "composition" of the period.

It seems to us that a mixture of pieces of different provenance whose origins are completely indeterminate gives the best impression of the spirit of the instrumentalists of the Middle Ages who never wished to transcribe their compositions, thus perpetuating an oral tradition and improvising on themes gleaned from here and there during their travels. In this regard, Estampie Janus is a homage to two travelling Trouvères and to the privileged link of friendship that united them. When Richard the Lionheart wanted to return to his kingdom of England after having fought in the Holy Land, he had to cross the Duchy of Austria. He had, however, had an altercation with the Duke a short time beforehand; the Duke desired revenge, took him prisoner, and gave him up to the Emperor, who demanded a colossal ransom before setting him free. Richard's mother, Eleanor of Aquitaine did all she could to gather the money together, but legend retells that Blondel de Nesles, a friend of the King, set out to find the King and to help him escape. Disguised as a travelling player, he sang his songs from castle to castle until the day when, at the foot of a tower, he heard a voice answer his song with a tune he recognised. It was Richard, singing his song of captivity Ja nus hom pris. Blondel had found his friend the King. No escape, however, could be organised and Eleanor herself brought the ransom that would set her son free.

We offer here a recording that is devoted to the poetry of the Trouvères and interspersed with instrumental dances. Joining composition with improvisation, we here assume the heritage of Western music at the same time as we ally ourselves with oral traditions, so that we can give an idea of the music of the feudal period that is both creative and contemporary.

Christophe DESLIGNES
Translation : Peter LOCKWOOD