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Ricercar RIC 333
2013
À mon professeur, Randall Cook |
Jacob OBRECHT
1. Recercar — La stangetta [3:13]
Harmonice Musices Odhecaton A — Ottaviano Petrucci, Venice 1501
JOSQUIN
2. Missus est Gabriel angelus
[3:19]
motet · Motetti C — Ottaviano Petrucci, Venice 1504
Johannes GHISELIN
3. De che te pasci Amore — Carmen in sol [3:59]
Rome Bibl. Casanatense / Ms. 2856, Copenhagen MS. 1848 Verbonnet
Johannes REGIS
4. Ave Maria [3:36]
Motetti B — Ottaviano Petrucci, Venice 1503
Enguerandus JUVENIS
5. Salve Regina Misericordie
[8:00]
Torino Biblioteca Nazionale Universitaria Ms. I.27
Bartolomeo TROMBONCINO
6. O sacrum convivium [2:58]
lauda · Laude, Libro secondo — Ottaviano Petrucci,
Venice 1508
Costanzo FESTA
7. Vigesima settima — Da pacem, Domine [2:54]
Bologna, Civico Museo, Ms. C36 (Counterpoints on la Spagna)
Antoine BRUMEL
8. Rosa novum dans odorem
[5:54]
Codex Rusconi, Bologna Civico Museo Bibliografico-Musicale, Q19
Anonymus / Francesco BENDUSI
9. La canella — Animoso — Cortesa
padoana [2:48]
Venice, Biblioteca Marciana, Ms. Ital. IV, 1227 / Opera
nova de balli — Antonio Gardane, Venice 1553
Sebastiano FESTA
10. Se'l pensier che mi strugge
[2:56]
Libro primo de la Croce — Valerio Dorico & Jacopo Pasoti,
Rome 1526
Costanzo FESTA
11. Ut queant laxis — Settuagesima nona — Centesima terzadecima
[2:59]
Bologna, Civico Museo, Ms. C36 (Counterpoints on la Spagna)
Sebastiano FESTA
12. Amor che me tormenti [4:18]
Libro primo de la Croce — Valerio Dorico & Jacopo Pasoti,
Rome 1526
Francesco BENDUSI
13. La mala vecchia — Il stocco [2:12]
Opera nova de balli — Antonio Gardane, Venice 1553
Adriaen WILLAERT
14. Ricercar VII [4:05]
Musica nova accommodata per cantar et sonar sopra organi, wwet altri
strumenti, Venice 1540
Adriaen WILLAERT
15. Mirabile mysterium [4:05]
Musica quatuor vocum, liber primus — Girolamo Scotto, Venice 1539
Adriaen WILLAERT / Giovanni BASSANO
16. La Rose [4:32]
Motetti, madrigali et canzone francese di diversi eccellenti autori
Venice 1591
Filippo da LURANO
17. Salve, sacrata [4:53]
Laude, Libro secondo — Ottaviano Petrucci, Venice 1508
LE MIROIR DE MUSIQUE
Baptiste Romain
Sabine Lutzenberger: voice
Elizabeth Rumsey: viola d'arco
Kirsty Whatley: harp
Tobie Miller: recorder
Marc Lewon: lute, viola d’arco & renaissance guitar
Uri Smilansky: viola d'arco
Baptiste Romain: renaissance violin
We would like to thank Richard Earle, Randall Cook, Dorothea & Alex
Potter, Véronique Daniels, Jane Achtman, Martine Romain,
Giovanni Cantarini, Catherine Motuz, Chani Lesaulnier, Jean-Claude
Gonthier, Francesco Pedrini for their support and encouragement.
www.miroirdemusique.com
www.baptisteromain.com
Agence: www.chanilesaulnier.com
Recordings:
May 2012: Beugen, Schloßkirche
Artistic direction, recording & editing: Jérôme Lejeune
Photos: © C. Lesaulnier
Cover illustration: Gaudenzio Ferrari (c. 1475-1646), Angels
playing music.
Saronno, Sanctuary © 2012. Photo Scala, Firenze
English liner notes
LA NAISSANCE DU
VYOLON
Les premiers violons
et leur répertoire
Dans la première moitié du XVIe siècle, les petits
instruments à cordes frottées se développent et
trouvent peu à peu leur synthèse dans le
«vyolon», mentionné pour la première fois en
1523 à la Cour de Savoie. Sans qu’il s’agisse
d’une invention à proprement parler, le violon prend forme
à partir d’éléments préexistants,
empruntant au rebec, à la lira da braccio et aux
vièles polyphoniques tardives. Le violon, qui apparaît
tout d’abord comme instrument isolé, est voué au
jeu polyphonique en ensemble. Quelques années plus tard, alors
que des instruments de plus grande taille adoptent la forme du violon
«cantus», la pratique en ensemble homogène se
développe sur les trois registres utilisés dans le
répertoire de l’époque:
— superius
— ténor, environ une quinte en dessous, ainsi que contraténor
altus
— contraténor bassus, placé plus ou moins une
quarte en dessous du ténor.
Les premiers témoignages qui décrivent ces nouveaux
ensembles dans les années 1530 et 1540 sont tous liés
à l’Italie du Nord ou, plus spécifiquement, aux
duchés de Ferrare, Mantoue et Milan, au Piémont
(dépendant à l’époque du duché de
Savoie), sans oublier la ville de Brescia, alors rattachée
à la république de Venise. Les violons s’installent
également dans cette dernière, au sein de
confréries religieuses laïques, les Scuole Grandi
de Santa Maria della Misericordia, San Rocco, San Marco, San Giovanni
Evangelista et Santa Maria della Carità.
Bien qu’il soit généralement admis que le violon et
la musique de danse furent intimement liés au XVIe
siècle, cette idée peut être fortement remise en
question, en particulier en ce qui concerne la période de son
apparition. En réalité, si l’on observe les
diverses sources mettant en évidence l’utilisation du
violon dans la musique de danse, on s’aperçoit
qu’elles sont toutes postérieures à
l’année 1550. Sa présence dans le cadre liturgique
ainsi qu’à la cour implique dans tous les cas une musique
polyphonique savante (la «musica perfetta»
pratiquée par les violons de Brescia dans les années
1530), qu’elle soit écrite ou non, issue de la tradition
franco-fl amande de la fin du Moyen Âge. Si de la musique de
danse avait été jouée à la cour par un
ensemble comprenant un ou des violons, elle n’en aurait pas moins
été d’essence polyphonique.
Dans les années 1520-1530, peu de traces de «polyphonie
à danser» pour le jeu en ensemble se rencontrent en
Italie, même s’il se peut qu’une pratique
improvisée ait existé: à l’instar des
chanteurs capables d’improviser une ou plusieurs voix
contrapuntiques sur une voix de ténor, les
instrumentistes auraient pu inventer une musique basée sur des
mélodies de basses danses ou de balli.
L’image du violon jouant de la musique monodique à danser
– provenant d’une pratique plus tardive – a fortement
influencé notre vision de l’instrument de la Renaissance.
Les deux grands répertoires que nous souhaitons présenter
dans cet enregistrement sont, d’une part, la musique
franco-flamande qui fleurit en Italie depuis le milieu du XVe
siècle, et d’autre part, le style italien qui renaît
de ses propres cendres à partir des années 1490.
Les chansons instrumentales franco-flamandes, telles que La
stangetta, Carmen in sol ou encore De che te pasci Amore,
diff sées notamment par Ottaviano Petrucci dans ses Canti
(1501-1504) marquent l’apogée de ce genre le plus souvent
à trois voix, héritier de la chanson bourguignonne. Issus
de ce même répertoire franco-fl amand, les motets auraient
été appropriés aux cérémonies
religieuses que le violon accompagna dès son apparition. Missus
est Gabriel de Josquin Desprez, que nous proposons en formation
mixte avec chant, est une brillante paraphrase de deux mélodies
de plain-chant, diffusée dans toute l’Europe, grâce
à une douzaine de sources remontant aux premières
décades du XVIe siècle.
Le Salve Regina d'Enguerandus Juvenis révèle un
style original à trois voix, proche des fantaisies
instrumentales de Heinrich Isaac ou de Jacob Obrecht. Cette œuvre
provient du manuscrit Turin I.27, qui contient un répertoire
lié au Piémont et peut-être même à
Brescia, comme l’indique l’annotation «Ex libris
fratris brixiani Laparelli Religiosi stapharde».
Le codex Rusconi (Bologne Q19) est un autre témoignage frappant
de l’importance des motets franco-flamands à Ferrare et
à Mantoue. Rosa novum dans odorem de Antoine Brumel (c.
1460-c. 1513), composé sur le texte d’une séquence
à saint Étienne, fait appel à un nouveau type
d’écriture à quatre voix de même importance,
jalonnée de nombreuses sections à deux voix.
Parmi les genres italiens qui s’affirment au début du XVIe
siècle, les laudes, sont des pièces strophiques de
facture homophonique destinées à des offices
dévotionnels et à des processions. Nous avons choisi
d’évoquer ces assemblées religieuses avec Salve
sacrata de Filippo da Lurano (c. 1470-c. 1520), un vibrant hommage
à la Croix. Bartolomeo Tromboncino (c. 1470-c. 1534),
compositeur plus connu pour ses frottoles, nous a laissé
quelques laudes comme O sacrum convivium, dont nous avons fait un duo
instrumental.
Quant à la renaissance du madrigal, éteint depuis les
années 1420, elle marque un regain d’intérêt
pour la poésie classique toscane, dont le style
mélancolique contraste avec le genre plus léger
qu’est la frottola. Musicalement, le changement
réalisé graduellement dans la lignée des barzellette,
villanelle et strambotti se manifestera à partir
de 1520 avec entre autres le Libro primo de la Croce, dont sont
issus Se’l pensier che mi strugge et Amor che me
tormenti, tous deux de Sebastiano Festa (c. 1485-1524), originaire
de Villafranca Sabauda, dans le Piémont. Nous avons
ajouté à Amor che me tormenti une diminution
inspirée par le traité de Sylvestro Ganassi, Opera
intitulata Fontegara (Venise,1535), une méthode
systématique de diminutions par intervalles, faisant usage de
proportions rythmiques très variées, dans la
lignée des modèles de la fin du XVe siècle.
La collection de contrepoints sur La Spagna de Costanzo Festa,
frère ou cousin de Sebastiano, a retenu notre attention par son
lien avec Mantoue. Le cardinal et évêque de Mantoue Ercole
Gonzaga, fils d'Isabella d’Este et de Francesco Gonzaga, aurait
été le destinataire de ces 125 contrepoints,
donnés en cadeau par Festa, dont le fils était filleul de
l’évêque. Une mention trouvée dans une lettre
de la main de Costanzo Festa nous a inspiré des eff ectifs
variés:
«Le basse sono bone per imparare a cantar a comtraponto a
componere et a sonar de tuttj li strumentj...» («Les
basses sont bonnes pour apprendre à chanter en contrepoint,
à composer et à jouer de tous les instruments...»).
Les pièces de l’Opera nova de balli de Francesco
Bendusi (Venise, 1553) (Animoso, Cortesa padoana, La
mala vecchia, Il stocco) seront les seules danses à
proprement parler de cet enregistrement, écrites à une
époque où apparaissent les premières sources
mettant en évidence l’utilisation du violon dans la
musique à danser, en tous cas en France.
Pour compléter ce disque, Adrian Willaert (c. 1490-1562) nous a
semblé être le meilleur évocateur de la Venise du
milieu du XVIe siècle, avec son Ricercar VII à
trois voix (1540), son motet pour l’octave de Noël Mirabile
mysterium (1538) et une version ornementée de la version
à six voix de sa chanson La rousée du moys de mai
dont Giovanni Bassano nous livre une diminution (La rose) dans
ses Motetti, madrigali et canzone francese di diversi eccellenti
autori de 1591, héritier de la tradition instrumentale
vénitienne du XVIe siècle.
Le Miroir de Musique — image empruntée au traité
de Jacques de Liège (Speculum Musicae) — a
souhaité retransmettre les répertoires des premiers
violons dans un esprit de fidélité aux sources et de
respect du sens originel de cette musique, dressant un tableau vivant
des répertoires auxquels les violons auraient été
rattachés.
Grâce aux travaux menés avec le luthier Richard Earle, le
violon et les viole d’arco de cet enregistrement ont pu
être construits d’après les connaissances
historiques sur la facture des instruments au début de la
Renaissance, produisant un son riche et concentré, parfaitement
adapté aux lignes polyphoniques de la musique de cette
époque.
BAPTISTE ROMAIN