Saint Martial de Limoges / Ensemble Organum
Polyphonie aquitaine du XIIe siècle. Extraits des matines de Nöel





medieval.org
harmonia mundi HMC 1134
· 1984 LP
harmonia mundi HM 90 1134 · 1987 CD
harmonia mundi "musique d'abord" HMA 190 1134 · 1998 CD






1. Domine labia mea aperies. Deus in adjutorium meum  [1:20]
chœur

2. Christus natus est nobis / Psaume 94. venite exultemus Domino iubilemus  [4:02]
chœur

3. Hymne. Christe redemptor omnium  [1:40]
chœur

4. Versus. O primo homo coruit  [5:40]
à 2 voix – contre-ténor Lesne, ténor II Benet

5. Lectio Ysaie prophete. Jube Domine silentium in aures audentium'  [5:40]
à 2 voix – ténor II Benet, baryton I Cabré

6. Répons. Hodie nobis caelorum rex de virgi nasci  [2:49]
monodie - contre-ténor Lesne

7. Prose. Laude jocunda melos  [3:11]
à 2 voix – barytons I et II Cabré, Balloy

8. Répons. Angelus ad pastores  [2:18]
monodie - baryton I Cabré

9. Versus. Veni solis radius  [5:41]
à 2 voix – ténors I et II Vellard, Benet

10. Lectio Libri sapientiae. In omnibus requiem quesivi  [6:15]
à 2 voix – contre-ténor Lesne, baryton II Balloy

11. Répons. O magnum misterium  [3:22]
monodie - ténor I Vellard

12. [10:44]
12.1   Improvisation méditative sur le thème O Magnum misterium | orgue  [4:42]
12.2   Benedicamus domino | à 2 voix – ténor II Benet, tutti  [3:00]
12.3   Deo gratias | à 2 voix – ténor I Vellard, tutti  [3:02]





Ensemble Organum
Marcel Pérès

Gérard Lesne, contre-ténor
Dominique Vellard,  ténor I
Josep Benet, ténor II
Josep Cabré, baryton I
Philippe Balloy, baryton II

Marcel Pérès, orgue


harmonia mundi FRANCE 901134
POLYPHONIE AQUITAINE DU XIIe SIÈCLE
Saint Martial de Limoges
Ensemble Organum . Marcel Pérès
harmonia mundi s.a. Ⓟ 1984   CD 1987
Enregistrement novembre 1983
Prise de son Jean-François Pontefract
Direction de l'enregistrement Michel Bernard
Traductions D. Yeld, Escha
Illustration : France XIIe s., La fuite en Egypte (Autun, salle capitulaire)
Cliché Lauros-Giraudon
Maquette Relations, Arles - Imprimé en R.F.A.




English liner notes








L'INTERPRÉTATION DES POLYPHONIES AQUITAINES DU XII SIÈCLE pose de grands problèmes. La lecture n'en est pas aisée (notation diastématique à points, mais avec une portée imaginaire), l'interprétation rythmique n'est pas à chercher uniquement dans les signes graphiques et, de plus, cette musique appelle une haute virtuosité vocale.

Le premier principe que nous nous efforçons de suivre est de toujours travailler et chanter sur la notation originale. Rien n'est plus nocif que d'utiliser des transcriptions en notation moderne. Une notation est spécialement conçue pour la musique qu'elle transcrit, et ne pas prendre la peine de l'étudier peut nous éloigner de l'esthétique musicale dont elle est le symbole.

Contrairement à ce qui sera plus tard la tendance générale des notations musicales occidentales, le rythme des notations aquitaines de cette époque n'est pas uniquement signifié par la forme des graphies, mais doit se déduire à partir d'une analyse structurelle et organique de la trame musicale.

Là où les voix s'expriment note contre note, c'est le «Cantus» qui impose son rythme quasi syllabique que la voix organale orne parfois avec deux ou trois notes.

L'intelligence du texte et de sa structure est un indice qui nous permet de sentir la macro-pulsation de cette musique et d'en restituer à la fois l'articulation et le phrasé en groupant les mots grammaticalement liés et en chantant la phrase en un seul souffle.

Cette condition est essentielle pour permettre la compréhension du texte latin. Elle est aussi une difficulté supplémentaire pour le chanteur qui doit utiliser son souffle jusqu'au bout et répartir l'énergie d'une manière continue en conduisant la phrase.

L'étude du rythme si subtil de ces polyphonies ne peut être abordé qu’à la lumière d'une connaissance réelle des lois de la monodie et de l'attitude vocale qui en découle.

Là où l'ornementation se complexifie et s'épanouit en «floraison», le mouvement est créé par le pouvoir dynamisant des consonances et des dissonances. La nature de ce rythme «libre» n'est pas d'ordre conceptuel mais organique ; son principe génétique n'est pas à chercher dans une division arithmétique du temps, mais dans le flux dynamique créé par la matière sonore elle-même.

Dans cette musique, plus que dans toute autre, le mouvement est issu des phénomènes d'attraction et de répulsion créés par le jeu des consonances (quartes, quintes, octaves) et des dissonances.

Les intervalles consonants sont absolument justes, donc stables dans l'échelle pythagoricienne utilisée dans l'Occident médiéval (un intervalle est qualifié juste lorsqu'il ne vibre pas).

Par contre, les autres intervalles comme la tierce et la sixte sont faux, donc générateurs de vibrations et d'instabilité.

Comme le proclamait déjà Boèce au VI' siècle, «la Beauté se manifeste comme un équilibre où s'harmonisent la stabilité et le mouvement, l'identité et la variété, le massif et le léger, le grave et l'aigu, l'égal et l'inégal, l'un et le multiple».

Ce n'est qu'à partir d'une bonne intelligence de ce principe que l'on peut convenablement moduler l'émission vocale. (Cf. Saint-Isidore : «Musica est peritia modulationis» eth. Chp. XV).

La perception que le grand public a de la musique romane est singulièrement déformée par de fausses idées qui malheureusement occultent la richesse de l'extraordinaire vitalité créatrice dont cette musique est le témoignage.

L'on s'imagine beaucoup trop aisément que le chant grégorien était la seule forme musicale authentique de l'époque romane à cause de l'attitude curieuse de musicologues du XIXe et du début du XXe siècle qui méprisèrent les compositions des XIe et XIIe siècles, jugées comme des altérations destructrices du pur chant traditionnel de l'Église ou comme des essais balbutiants de polyphonies.

En fait, les hommes du Moyen-Age n'ont cessé de composer de la musique et des poèmes pensés pour s'intégrer totalement dans la liturgie en commentant et ornant les textes et les musiques fixés par la tradition.

La musique aquitaine romane est un incroyable art de synthèse où le connaisseur peut discerner des éléments d'art polyphonique décrit par des philosophes et des théoriciens depuis le IXe siècle, et également des intuitions géniales quasi-visionnaires. Un peu comme le sera plus tard l’œuvre d'un J.S. Bach, cette musique porte en elle toutes les acquisitions d'une tradition qui informe et vivifie la projection créatrice dans le futur.

L'Abbaye Saint-Martial de Limoges fut l'un des centres artistiques les plus féconds des XIe et XIIe siècles. Point de rencontre privilégié à cause de sa position sur le chemin de pèlerinage de St Jacques-de-Compostelle, l'on y cultiva l'art de la composition musicale monodique et polyphonique ainsi que l'art de la poésie liturgique qui constitue l'un des sommets de la poésie latine médiévale.

C'est un modeste reflet de la splendeur, du foisonnement et de la vitalité d'une époque où toutes les activités créatrices convergeaient vers la liturgie que nous voudrions présenter en ressuscitant ces chants.

Mais surtout, cette musique qui dort depuis bientôt huit siècles porte en elle tout le témoignage de ces hommes du Moyen-Age, moines, poètes et musiciens qui ne cessent de nous surprendre par l'aisance avec laquelle ils savaient concrétiser leurs énergies créatrices tout en s'inscrivant à l'intérieur d'une tradition authentique.

MARCEL PÉRÈS











THE PERFORMANCE OF 12TH CENTURY AQUITANIAN POLYPHONY poses a large number of problems. It is not easy to read (diastematic point notation, but with an imaginary stave), the rhythm cannot be found in the graphic signs alone, and what is more, this music demands an extremely virtuosic vocal technique.

The first principle we have endeavoured to follow has been always to work and sing from the original notation. Nothing is more noxious than the use of transcriptions in modern notation. A system of notation is specially devised for the music it is transcribing, and not to take the trouble to study it can easily damage the musical aesthetic of which it is the symbol.

Contrary to what would later be a general tendency of Western systems of notation, the rhythm of Aquitanian notation of this period is not denoted simply by the form of the signs, but it must be deduced from a structural and organic analysis to the musical material.

Wherever the parts are written note against note it is the cantus that dictates a rhythm which is almost syllabic and which the vox organalis sometimes decorates with two or three notes.

A knowledge of the text and its structure is an index that allows us to feel the macro-pulse of this music and to restitute both its articulation and its phrasing by grouping together the words that are grammatically linked and by singing the phrase in a single breath.

This condition is essential for the comprehension of the Latin text. It is also an additional difficulty for the singer who must use all his breath and portion out its energy in a continuous manner while articulating the phrase.

The study of the extraordinarily subtle rhythm of this polyphonic music can only be undertaken in the light of a real knowledge of the rules of monody and of the vocal attitude that arises from it.

Wherever the ornamentation becomes complex and expands into flourishes the movement is created by the dynamic power of the consonances and dissonances. The nature of this "free" rhythm is not of a conceptual order but is organic. Its genetic principle is not to be sought in an arithmetic division of the beats but rather in the dynamic flux created by the music itself:

In this music, more than in any other, the movement issues from the phenomenon of attraction and repulsion created by the play of consonances (fourths, fifths, octaves) and dissonances.

The consonant intervals are absolutely perfect, i.e. stable in the Pythagorean scale used in the medieval West (an interval is qualified as "perfect" when it does not vibrate of "beat").

On the other hand, the other intervals like the third and the sixth are false, that is to say, they generate vibrations and instability.

As Boethius had already proclaimed in the 6th century, "Beauty manifests itself as an equilibrium in which there is a harmony of stability  and movement, identity and variety, the massive and the light, the low and the high, the equal and the unequal, the one and the many".

It is only with a true understanding of this principle that vocal sound can be suitably modulated (cf Saint Isidore : "Musica est peritia modulationis", eth. Ch. XV).

The notion entertained by the general public of Romanesque music is singularly deformed by false ideas which unfortunately obscure the richness of its extraordinary creative variety.

It is only too easy to imagine that Gregorian plainsong was the only authentic musical form of the Romanesque period, due mainly to the curious attitude of 19th and early 20th century music historians who scorned the music of the 11th and 12th centuries which was regarded as a destructive alteration of the pure church plainchant, or as a stumbling attempt at polyphony.

In fact the man of the Middle Ages never ceased composing music and poems intended to be completely integrated into the liturgy by commenting on and decorating the texts and the music fixed by tradition.

Romanesque Aquitanian music is an incredible art of synthesis in which the connoisseur can discern elements of the art of polyphony described by philosophers and theoreticians since the 9th century, as well as visionary intuitions of genius. A little like the work of J.S. Bach would be later, this music carries within it all the acquisitions of a tradition that informs and gives life to a creative projection into the future.

The Abbey of St. Martial at Limoges was one of the most fertile artistic centres of the 11th and 12th centuries. An outstanding meeting place because of its position on the pilgrim's way to Santiago de Compostela, it was a nursery of monodic and polyphonic musical composition and of the art of liturgical verse that constitutes one of the summits of medieval Latin poetry.

In resuscitating these chants we present a modest reflection of the splendour, the abundance and the vitality of a period when all creative activity converged on the liturgy. But, more than anything else, this music that has been dormant for almost eight centuries, bears within it the testimony to these medieval men, monks, poets, and musicians who never cease to surprise us by the ease with which they were able to render in concrete terms their creative energy while remaining firmly rooted in an authentic tradition.