L'Art du Luth au Moyen Âge / Guy Robert et Perceval
The Art of the Lute in the Middle Ages





medieval.org
allmusic.com
Arion ARN 36 554

1980

CD: Arion ARN 60 264
1996, 2010






A

1. Lamento di Tristano et Rotta  [8:03]
Estampie italienne anonyme du XIVe siècle
Luth arabe, guitare sarrasine (ténor), rebec, flûte à bec, chalumeau, percussions : tambour et naquaires

2. Maravillosos e piadosos  [5:40]   CSM 139
Cantigas du roi Alphonse X le Sage, XIIIe siècle
Deux luths arabes, guitare sarrasine (ténor)

3. De ce fol penser  [4:05]
Ballade de Pierre des Molins, version ornée du codex Faenza, XIVe siècle
Luth médiéval, orgue portatif, rebec

4. Bel fiore dança  [2:35]
Danse anonyme du codex Fanza, XIVe siècle
Luth médiéval, luth arabe, vièle à archet, orgue portatif, percussions : tambourin et grelots

5. Douce dame jolie  [3:54]
Virelai de Guillaume de Machaut, XIVe siècle
Guitares sarrasines (soprano et basse), luth arabe, flûte à bec, vièle à archet, chalumeau, guimbarde


B

1. Chanconetta Tedescha  [10:11]
Estampie italienne anonyme en forme de variations, XIVe siècle
Luth arabe, guitare sarrasine (ténor), flûtes à bec et traversière, rebec, chalumeau, percussion (bendhir)

2. Estampie anglaise anonyme  [3:47]
Début XIVe siècle
Luth arabe, naquaires

3. La Manfredina et la Rota  [4:36]
Estampie italienne anonyme, XIVe siècle
Guitare sarrasine (soprano), guitare sarrasine (ténor) jouée à l'archet, orgue portatif, vièle à archet, chalumeau, percussions : tambour, naquaires, tambourin

4. Ne m'oubliez mie  [2:54]
Motet du manuscrit de Montpellier, teneur Domino, XIIIe siècle
Guitare sarrasine (ténor) luth médiéval

6. Pensif, Chief Enclin  [1:58]
Motet du manuscrit de Montpellier, teneur Flos Filius, XIIIe siècle
Deux luths arabes

6. La Quinte Estampie Reale  [2:12]
Chansonnier du Roi, XIVe siècle
Guitares sarrasines (soprano et ténor), luth arabe, flûte à bec, chalumeau, crotales



Réalisations et restitutions: Guy Robert








Guy Robert — luth arabe, luth medieval, guitare sarrasine
Solange Boulanger — guitares sarrasines, percussions
Alain Serve — luth arabe, guitare sarrasine, percussions
Katia Caré — flûtes a bec, orgue portatif
Catherine Schroeder — rebec, vièle à archet
Jean-Paul Racodon — chalumeaux, flûte traversière, percussions









Luth arabe: 1/ luth turc fin XIXe siècle — 2/ Francis Coudour à Paris 1979
Luth médiéval: Claude Latars à Moulin 1976, d'après Arnaud de Zwoll
Guitare sarrasine (ténor): Patrice Tedman à Paris 1977, d'après miniatures
Guitares sarrasines (soprano el basse): saz turcs


Direction artistique : Ariane SEGAL • Prise de son : Claude MOREL • Collaboration technique : Jean-Marc LAISNE
Enregistrement réalisé en 1979 • Restitution musicale Guy Robert
Réalisation : AR Productions (Médias-Waimes • Belgique)
Conception graphique : Olivier Bernasson/studio KALI (Médias-Waimes • Belgique)
[LP] Recto et illustrations interieures : miniature du Manuscrit de l'Escurial des 'Contigus de Santa Maria', XIIIe siècle
[CDs] Recto d'après une miniature du Manuscrit de l'Escurial des 'Contigus de Santa Maria', XIIIe siècle
℗ ARION 1980/1996/2010



English liner notes









Guy ROBERT, luth arabe, luth medieval, guitares sarrasines • Solange BOULANGER, guitare sarrasine, percussions
Alain SERVE, luth arabe, guitare sarrasine, percussions • Katia CARÉ, flûtes a bec, orgue portatif
Catherine SCHROEDER, rebec, vièle à archet • Jean-Paul RACODON, chalumeaux, flûte traversière, percussions




Le Moyen Age, jusqu'au XIIIe siècle, ne laisse que peu de témoignages sur l'existence des instruments de musique et sur leur place dans sa culture artistique. C'est un fait bien connu, cette époque connaît surtout l'expression de la voix, liée au rituel religieux et à la poésie.

Les premières apparitions de musiques instrumentales, indépendantes du répertoire vocal, datent du XIVe siècle, mais dès le XIIe siècle, textes et miniatures nous donnent de nombreux témoignages sur la pratique instrumentale. C'est surtout dans la culture courtoise et au cours de ces trois siècles (XIIe, XIIIe, XIVe—) que vont apparaître, évoluer et prendre de l'importance, les grandes familles d'instruments que nous connaissons : claviers, archets, embouchures, anches, percussions et les cordes pincées qui nous intéressent ici.

Sur ce monde sonore, Guillaume de Machaut, au XIVe siècle, a écrit deux textes, citons celui de la «Prise d'Alexandrie» :

La avoit de tous instruments
Et s'aucuns me disoit «tu mens»,
Je vous diray les propres noms
Qu'ils avoient et les seurnoms,
...
Et de tous les instruments le roy
Diray premier, si com je croy :
Orgues, vieles, micanons,
Rubebes et psalterions,
Leüs moraches et guiternes
Dont on joue par ces tavernes
Cymbales, cytoles, naquaires
Et de flaïos plus de dix paires
C'est à dire de vingt manieres
Tout des fortes com des legieres,
Cor sarrasinois et doussaines,
Tabour, flaüstes traverseinnes,
Demi-doussaines et flaüstes
Dont droit joues quant tu flaüstes,
...

De cet inventaire, évocateur de rythmes et de sonorités étranges, retenons plus particulièrement les «leüs, moraches et guiternes», objets du présent enregistrement. Le luth, d'origine orientale, apparaît tard dans le Moyen Age occidental ; il n'est guère cité et représenté qu'a partir du XIIIe siècle (Cantigas de Santa Maria, Roman de la Rose). Son nom est tiré de l'arabe «al 'ud» : «leu», «leü» ou «leu». L'orthographe «luth» ne date que de la Renaissance. Son introduction dans le monde chrétien semble s'être faite tant par la civilisation hispano-mauresque que par les croisades. Il se répand rapidement à travers toute l'Europe.

Les luths, comme les autres instruments de cette période, ne peuvent être découverts que par l'iconographie : il n'en reste aucun exemplaire et les traités musicaux sont très imprécis (le premier ouvrage «scientifique» sur la lutherie est de Arnaud de Zwoll, fin du XVe siècle).

Avec sa forme caractéristique de demi-poire, l'instrument est représenté sous les deux aspects qu'il avait déjà en Orient : une forme à long manche, la guitare sarrasine ou mauresque, et une forme à manche court, en général plus grosse, très semblable au luth arabe actuel.

Essayons de définir ce que peuvent nous apprendre les représentations de ces deux instruments :

Les luths à manche court, sont de taille variable ; ce sont eux qui, en évoluant, donneront nos luths renaissance et baroque :
• leur manche est souvent sans frettes : leur présence ne devient systématique qu'au XVe siècle,
• les rangs de cordes sont au nombre de cinq, le plus souvent doublées, probablement en boyau,
• ces cordes sont toujours pincées, au moyen d'un plectre : il s'agit d'une plume fendue, dépouillée de ses pennes. Celle-ci est tenue d'un côté entre le pouce et l'index, de l'autre entre l'annulaire et l'auriculaire, la main droite est parallèle aux cordes.

La technique médiévale du luth semble ainsi avoir été identique à la pratique orientale actuelle : jeu monodique, micro-intervalles, accents rythmiques...

Les luths à long manche sont désignés au Moyen Age sous des noms qui définissent leur origine arabe : «guiterne sarrasinoise», «guiterne morache», «morache» voire même par un de leur nom turc : «tambura» dans le Liber de Natura de Tinctoris (1476). L'usage s'est aujourd'hui établit de désigner cette forme sous le nom de guitare sarrasine.

Il ne faut pas la confondre avec une autre «guiterne» dite guitare latine, dérivée de la vièle à archet à fond plat et à forme travaillée et qui est, elle, l'ancêtre direct de la guitare actuelle.

Les tailles et les formes que prennent en Europe les luths à long manche sont très diversifiées, et sont parfois très proches de celles de leurs homologues du Moyen-Orient : saz, cethar iranien...

Les traits communs sont :
• un manche long et étroit, apparemment muni de frettes,
• trois rangs de cordes simples ou doubles, peut-être en métal,
• jeu au plectre mais celui-ci est de forme plus variable que celui du luth proprement dit : plume, triangle d'écaille ou d'ivoire, parfois une baguette semble avoir été employée pour des effets percussifs.

Par la diversité de ses formes et de son jeu, la guitare sarrasine a une sonorité moins aisée à définir que celle du luth. Exclusivement adaptée au jeu mono-digue, l'instrument n'évoluera pas et disparaîtra au cours du XVe siècle : Tinctoris (op. cité) la décrira avec mépris, ne comprenant pas que des chrétiens aient pu jouer un instrument d'infidèles... Un instrument peu connu peut cependant se réclamer de son origine : il s'agit du «colascione» lié à la Comedia dell' Arte et pour lequel, en plein XVIIIe siècle, Telemann écrira un concerto.


LES ACCORDS

Avant Tinctoris (op. cité), on ne trouve aucune mention sur la manière d'accorder les instruments à cordes pincées. Pour la guitare sarrasine, cet auteur indique la relation : tonique-quinte-tonique, mais pour le luth il ne parle que des très récentes modifications techniques et organologiques qui venaient d'y être apportées et qui le transforment dès cette époque en un luth de forme renaissance (do, fa, la, ré', sol').

Les accords à vide du type consonant sont très appropriés à la musique médiévale monodique ; ils offrent beaucoup de possibilités de bourdon, de quartoiement et de quintoiement. Ce sont des accords de cette sorte que donne Jérôme de Moravie pour les vièles à archet. Dans cet enregistrement, les luths ont été réglés selon ces principes, avec deux accords différents : l'un totalement consonant selon une succession de type — do, sol, sol, do' — l'autre hybride - sol, ré, la, ré', sol'.


LE RÉPERTOIRE

L'instrumentation des œuvres n'est jamais précisée dans les manuscrits ; le répertoire du luth est donc le répertoire usuel des instruments : estampies et adaptations d’œuvres vocales.

L'estampie est une forme instrumentale souvent très élaborée, au caractère de danse ; elle est un développement de la chanson à séquence : les lais. Les adaptations d’œuvres vocales témoignent d'une grande liberté par rapport à leurs modèles ; elles préfigurent les ricercari et les fantaisies du XVIe siècle. Les manuscrits contenant des œuvres instrumentales n'apparaissent qu'à partir du XIVe siècle, quelques sources nous en offrent la collection complète pour la période qui nous intéresse ici : celle du luth sous sa forme médiévale.

Peu abondant, ce répertoire nous donne cependant des indications précieuses sur l'ornementation, sur les styles d'exécution et sur les techniques d'adaptation. Il nous permet ainsi d'avoir quelques idées sur ce qui était considéré alors comme essentiel dans l'art de l'instrumentiste : l'improvisation.

Guy ROBERT









Guy ROBERT, Arab lute, Saracen guitars • Solange BOULANGER, Saracen guitar, percussion
Alain SERVE, Arab lute, Saracen guitar, percussion • Katia CARÉ, recorders, portative organ
Catherine SCHROEDER, rebec, bowed viol • Jean-Paul RACODON, chalumeaux, traverse flute percussions




Before the XIIIth century, there is little available documentary evidence of the existence of musical instruments and their place in the artistic life of the Middle Ages. It is a well-known fact that during this period musical expression was mainly vocal, and was closely linked both to religious rituals and poetry.

The appearance of musical instruments used independently from the sung repertoire dates from the XlVth century, but from the XIIth century onwards texts and miniatures provide plentiful evidence on how the instruments were played. During the age of chivalry, throughout the XIIth, XIIIth and XIVth centuries the families of instruments as we know them today were to appear, evolve and gain importance: the keyboards, bowed and brass instruments, flutes, reeds, percussion and plucked strings which are discussed here.

Guillaume de Machaut wrote two texts on the subject of this world of sound; this is a quotation from «Prise d'Alexandrie» («Capture of Alexandrie»):

There were (examples of) ail the instruments
And for those who say lie,
I will give the precise titles
They had and also their common names.
...
And of the king of all the instruments,
According to my opinion,
I will speak first:
The organs, fiddles, small zithers,
Rebecs and psalteries,
Lutes, Moorish (saracen) guitars and guitars
Which are played in the taverns,
Cymbals, citoles, naqaras
And more than ten pairs of double shawms,
So twenty different sorts
Some powerful and others soft,
Saracen horns, and dulcimers
Drums, flutes
Small dulcimers and the flutes
That you hold upright to blow (recorders),
...

In this list, evoking strange rhythms and sonorities, the lute, Moorish guitar and guitar, are to be noted as they are the object of the present recording.

The lute, oriental in origin, appears late on in the western Middle Ages, and is hardly mentioned or represented before the XIIIth century (Cantigas de Santa Maria, Roman de la Rose). Its name is taken from the Arabic «al ud»: «leu», «leü» or «leut». The modern French spelling «luth» dates from the Renaissance. Its introduction into the Christian world seems to have been as much a result of the influence of Hispano-Moorish civilisation as of the crusades, it spread rapidly across the whole of Europe.

As with the other instruments of this period, we are only able to learn about lutes from iconography, for there is no actual instrument in existence and musical treatises of the period are most imprecise (the first «scientific» work on lutes dates from the end of the XVth century, by Arnaud de Zwoll).

With its characteristic half-pear shape, the instrument appears in the two different forms which were already known in the east: a long-necked form, the Saracen or Moorish guitar, and another with a shorter neck, generally larger in size, resembling the present-day Arab lute.

We shall try to define these two instruments from the pictorial evidence available:

The short-necked lutes are variable in size; they will develop to become our Renaissance and Baroque lutes:
• the neck is generally without frets: their presence only becomes systematic during the XVth century,
• five strings, often double, probably made of gut,
• the strings are always plucked with a plectrum, made of a split quill, with the feathers removed, held at one end between the thumb and the index finger and at the other end between the ring finger and little finger, the right hand held parallel with the strings.

The Mediaeval technique of playing of the lute seems to have been identical with the oriental technique of the present day: monodic, micro-intervals, rhythmic accentuation...

The long-necked lutes were given various names in the Middle Ages which evoke their Arab origins: «guiterne sarrasinoise», «guittern morache», «morache», and even one of its Turkish names, «tambura», in Tinctoris' Liber de Nature (1474). This form is now commonly known as the Saracen guitar.

It is not be confused with another «guitar» known as the Latin guitar, derived from the bowed viol which is flat-backed, has an elaborate shape and is the direct ancestor of today's guitar.

The long-necked lute appeared in Europe in many different sizes and forms are very diverse, sometimes closely resembling the plucked instruments of the Middle East, saz, Iranian setar...

The common elements are:
• a long, narrow neck apparently, with frets,
• three double or single strings, perhaps of metal
• played with a plectrum more varied in shape than of the short-necked lute: a quill, a triangle of shell or ivory, sometimes a stick seems to have been used for percussion effects.

By the diversity of its forms and playing techniques, the Saracen guitar has a sonority less easily defined than that of the lute. Adapted exclusively for monody, the instrument did not evolve and disappeared during the XVth century: in 1476, Tinctoris (Liber de Natura) described it with disdain, finding it incomprehensible that Christian should play an instrument of the infidels... One little known instrument can however claim its descent from the Saracen guitar: the «colascione» used in the Commedia dell Arte and for which Telemann wrote a concerto as late as the mid XVIIIth century.


TUNING

Before the Liber de Nature by Tinctoris no mention is to be found of the way plucked instruments were tuned. For the Saracen guitar he indicates the relationship: tonic-fifth-octave, but for the lute he only mentions very recent technical and structural modifications which had just been made and which transformed the instrument at this time into a Renaissance-type lute (C, F, A, D', G').

The open consonant-type chords are very appropriate to monodic mediaeval music; they offer many possiblities for drones, fourths and fifths. It is chords of this type which Jerome of Moravia gives for bowed viols. In this recording the lutes have been adjusted according to these rules, with two different tunings: one completely consonant to a succession of the following type, (C, G, C', G', C"), the other is hybrid - G, D, A, D', G'.


REPERTOIRE

The instrumental part is never clearly stated in the manuscripts; the repertoire of the lute is therefore the usual instrumental repertoire: estampies and adaptations of vocal works.

The estampie is an instrumental form often elaborated for use as a dance; it is an development of the sequence song: the lay. The adaptations of vocal works show great liberty with regard to their model, and they prefigure the ricercari and the fantasias of the XVIth century.

Manuscripts including instrumental works begin to appear from the XIVth century onwards, some sources provide us with the complete collection for the period which interests us: that of the lute in its Mediaeval form.

Although it is not extensive, this repertoire provides precious indications for the ornamentation, the style of playing and techniques for adaptation. It also give us a precise notion of what was considered to be an essential part of the art of an instrumentalist: improvisation.

Guy ROBERT
Translated by Clare Perkins