Le Tournoi des Dames / Ensembles Perceval et Sanacore
La femme dans la lyrique française · XIIe et XIIIe siècles





medieval.org
Arion 68350
1997







1. En l'an que chevaliers sont abaudi   [12:54]   récit de tournoi   Huon d'OISY

2. L'une est la chastelaine   [5:16]   récit de tournoi   Richard de SEMILLY

3. Endurez   [1:04]   motet
4. Quant voi reverdir   [3:15]   chanson
5. Ja Dieus ne me doinst corage ~ Nus ne sait les biens d'amors   [1:04]   motet
6. Prenez y garde ~ S'on me regarde   [1:46]   motet
7. Amereis mi vous, cuers dous   [2:51]   rondeau

8. Hareu le mal d'amer m'ochist   [1:37]   rondeau   Adam de la HALLE
9. Adam de la Halle ~ Fi, mari de vostre amour   [1:31]   rondeau   Adam de la HALLE

10. Cil brunes ne me meine mie   [0:49]   motet
11. Larges et amerouzes   [1:59]   chanson
12. Jai ne lairai por mon mari ne die   [1:53]   rondeau
13. Onc voir par amour n'aimai   [1:12]   motet
14. Ainsi doit on aller   [0:30]   rondeau

15. Hé Dieus ! Je n'ai pas mari ~ Je suis jonette et jolie   [1:06]   motet
16. Trois serors, sor rive mer   [2:44]   motet
17. Je suis joliette - Quant voi la florette   [3:04   motet
18. Vous arez la drurie, amis de moi   [1:54]   rondeau
19. Biaus douz amis, or ne vous anuit mie   [1:23]   motet

20. C'est la fin, koi que nus die   [1:40]   rondeau   Guillaume d'AMIENS

21. En mai au douz tens nouvel   [3:50]   chanson



Restitutions musicales :
Katia Garé: 2, 4, 7, 8, 9, 12, 14, 18, 20, 21, • Guy Robert: 1, 3, 5, 6, 10, 11, 12, 15, 16, 1,7 19









SANACORE
Anne-Eléonore Bovon - Anne Garcenot - Christine Lavéder - Tania Pividori : chant

PERCEVAL
Katia Caré : chant, flûte, gemshorn et direction
Sébastien Benoit : musette et percussion
Jean-Luc Redureau : chalemie
Vincent Richard : percussions
Christophe Tellart : chifonie

Direction artistique : Guy Robert

Conseiller artistique et prise de son : Yve Cresson

Enregistrement (DDD) réalisé en septembre 1996 à l'Abbaye de Seuilly (37), Centre Permanent d'Initiation à l'Environnement
Recto : Tamara, reine de Georgie (Le livre des dames nobles et renommées - Boccace / Document B.N.)
Illustration jaquette : document B.N. (Champion des Dames de Simon le Franc, 15e s.)
Conception graphique : studio KALI (Medias-Waimes - Belgique) • Fabriqué en France • ℗ ARION 1997









Le Tournoi des Dames
(The Ladies' Tournament)
Cet enregistrement présente des œuvres des XIIe et XIIIe siècles, dont le sujet général est la femme dans la lyrique française : c'est-à-dire des textes soit de femmes soit ayant trait aux femmes. Il forme le deuxième volet d'un précédent disque de l'Ensemble Perceval, sur le même thème : la "Chanson d'ami".

La "chanson d'ami" était essentiellement consacrée des pièces se situant dans la pure tradition courtoise, écrites dans un registre en majorité aristocratique et savant. A l'opposé, "Le Tournoi" illustre des pièces dont les textes sont, soit popularisants, soit de caractère ludique. Le premier, dans l'introspection des sentiments, exprimait la solitude et la tristesse ; le second, dans la théâtralité, joue le plaisir et le jeu.

L'enregistrement est divisé en deux parties ; la première est consacrée à deux chansons très développées qui nous content d'extravagants tournois de dames ; la deuxième est essentiellement consacrée à des œuvres brèves : ballettes, rondeaux et motets. Une chanson de jongleur conclue cette réalisation dans la gaieté. Quelques "ponctuations" instrumentales accentuent ce découpage en séparant les œuvres d'inspiration différente.
This recording, following on from the volume entitled 'La Chanson d'Ami', also recorded by the Perceval Ensemble, presents pieces from the 12th and 13th centuries on the general subject of 'The Lady in French lyrical poetry'; the texts are either by women or about women.

'La Chanson d'Ami' was devoted mainly to pieces in the pure courtly tradition, most of them written in a noble, educated style. 'Le Tournoi des Dames', on the other hand, comprises pieces to texts that are either mock-popular or ludic in character. The mock-popular pieces are more introspective, expressing loneliness and sadness, while the other type are more dramatic, on the subject of pleasure and play.

The recording is in two sections, the first devoted to two highly developed songs relating extravagant tournois des dames ('ladies' tournaments'), while the second consists mainly of short pieces: ballettes, rondeaux and motets. A chanson de jongleur brings the recording to a close on a bright note. A number of instrumental pieces serve to highlight this arrangement and separate pieces of different inspiration.

Les instruments utilisés / The instruments used

Chansons d'Huon d'Oisy, de Richard de Sémilly et ponctuations instrumentales :
Chansons by Huon d'Oisy and by Richard de Sémilly, instrumental punctuation:

Chiffonie (hurdy-gurdy) de/by Christian Clément
Musette (bagpipe) de/by Bernard Blanc
Chalémie (shawm) de/by John Hanchet
Gemshorn de/by Fitzpatrick
Flûte à bec (Recorder) de/by Jean-Luc Boudreau
Trompette marine (Trumpet marine) de/by Jean-Yves Zimmermann

• Percussions (Percussion):
- davul (Turquie/Turkey),
- tambour sur cadre (frame drum) (Moyen-Orient/Middle-East),
- bodhran (Irlande/Ireland),
- qarqaba (Maroc/Morocco),
- et sonnailles diverses/and various bells.

Les références des œuvres

La numérotation du catalogue Raynaud-Spanke est indiquée pour les chansons et celle de Boogaard pour les rondeaux. Pour les motets nous avons seulement fait figurer la source avec le numéro de l'édition Rokseth pour le manuscrit de Montpellier et le folio pour le manuscrit de Bamberg. La graphie utilisée est celle des manuscrits choisis.

Pour chaque pièce, les sources sont signalées par leurs codes usuels :
References of the works

The numbers in the Raynaud-Spanke catalogue are indicated for the chansons and those of the Boogaard catalogue for the rondeaux. For the motets we merely mention the source with the number of the Rokseth edition for the Montpellier manuscript and the folio for the Bamberg manuscript. The texts are written as they appear in the manuscripts.

For each piece, the sources are indicated by their usual codes:

Chansons et rondeaux :
I : Oxford Bod. Douce 308 — sans musique / no music
K : Paris Ars. 5198 — Chansonnier de l'Arsenal
M : Paris B.N. 844 — Manuscrit du Roi
T : Paris B.N. 12615 — Manuscrit de Noailles
X : Paris B.N. 1050 — Manuscrit Clérambault
W : Paris B.N. 25566
a : Rome Vatican Reg. 1490
k : Paris B.N. 12786
4 : Metz, Bibl. mun. 535 — manuscrit disparu / the manuscript has disappeared
Les rondeaux de ce chansonnier ont été pris dans Boogaard pour le texte et dans Gennrich pour la musique.
The rondeaux from this chansonnier were taken from Boogaard (for the words) and Gennrich (for the music).

Motets :
Mo : Montpellier — Bibl. Ec. de Méd. H 196
Ba : Bamberg — Staatsbibl. Ed IV 6

Le terme "unicum" désigne les œuvres présentes dans le seul manuscrit cité ; il n'est utilisé que pour les rondeaux n'apparaissant pas ailleurs, même sous forme partielle (refrain).
The term "unicum" indicates works that appear only in the manuscript mentioned. It is used only for the rondeaux that do not appear elsewhere, even in part (refrain).

GUY ROBERT
Translation: MARY PARDOE



Études utilisées pour la réalisation de cet enregistrement :
Studies used for the making of this recording:

La lyrique française au Moyen Âge, Pierre Bec 1978
Rondeaux et refrains, Nico H.J. van den Boogaard 1969
Bibliographie des Altfranzösischen Lieder, G. Raynauds, révision H. Spanke 1955
Le manuscrit du Roi - Étude, J. Beck 1938
Les origines de la poésie lyrique en France, A. Jeanroy 1925
Rondeaux, Virelais und Balladen, E Gennrich 1921-1927
Die Rotruenge, E Gennrich 1925
Le manuscrit de Montpellier, Yvonne Rokseth 1935-1939
Les plus anciens chansonniers français, J. Brakelmann 1896
Altfranzösische Romanzen und Pastorellen, Karl Bartsch 1870
Les trouvères cambrésiens, A. Dinaux 1837









1. En l'an que chevalier sont abaubi
Chanson de Huon d'Oisy (R 1924a - M)
Récit d'un tournoi de dames (XIIe siècle) / Account of a ladies' tournament (12th century)

Le comte Huon III d'Oisy (1140ca - 1189) est un des grands seigneurs du Cambraisis. Il se situe parmi les premiers trouvères. Son talent de poète est attesté par deux textes ; l'un est un violent "sirventès" contre Philippe Auguste, Conon de Béthune et les chevaliers qui avaient abandonné la croisade, l'autre est le présent récit.

Cette chanson, pleine d'humour, est à comparer avec une œuvre également narrative de la lyrique provençale : La Cité des Dames du troubadour Raimbaut de Vaqueiras (sans musique). Cette dernière, qui est à peu près contemporaine de notre tournoi (1180ca), est développée d'une façon analogue, sur le plan de la rythmique poétique : vers brefs, strophes longues et nombreuses. Mais, alors que la chanson de Raimbaut prend le tort d'une fiction en nous contant une cité construite, gérée et défendue par des femmes anonymes, celle de Huon raconte son tournoi comme un fait réel en citant des femmes nobles dont la majorité sont encore identifiables, à commencer par sa propre épouse : la comtesse Marguerite, qui au combat crie "Cambrais", l'enseigne de la maison d'Oisy. D'après la chanson, il semblerait alors qu'un jour, toutes les dames de la haute société d’Île de France et du sud de la Picardie aient décidé de s'armer avec leurs suivantes et, aux cris de leurs familles, d'aller sur le pré, en bord de Marne, entre Lagny et Torcy, afin de secouer des chevaliers fatigués et de connaître les joies du tournoi... Cet événement paraît peu vraisemblable, mais il semble aussi peu vraisemblable que le Sire d'Oisy se soit risqué à provoquer les foudres de tous ses pairs et amis en citant leurs familles, et, ceci sans qu'un événement ou une anecdote concertée et particulière ait pu justifier ce récit burlesque.

Quelque soit la réalité de l'événement, il faut remarquer qu'il s'agit d'un combat dans la tradition de l'époque, c'est-à-dire une mêlée confuse où tous les coups étaient permis, y compris celui de faire tomber cheval et cavalier en tirant sur le frein, et non d'une de ces joutes réglées comme un ballet telles que nous les décrit le Roi René, au XVe siècle, dans son célèbre Llivre des tournois.

Dans la lignée de ces récits, on peut constater qu'à partir du XIIIe siècle, les ouvrages exaltant les prouesses féminines sont assez nombreux et semblent avoir été appréciés des grandes dames : il est assez remarquable de voir l'abondance et la qualité graphique des rédactions de deux ouvrages en particulier : Le livre des dames nobles et renommées de Boccace et, plus tardif, Le champion des dames de Simon le Franc.

Count Huon III d'Oisy (c. 1140-1189) was one of the great lords of the Cambrésis region of Northern France and one of the earliest trouvères *. Two texts attest his talent as a poet: the one is a violent sirventès ** against the king Philippe Auguste, the trouvère Conon de Béthune and the knights who had given up the crusades; the other is the song presented here.

It is interesting to compare this very humorous piece with another narrative work, La Cité des Dames by the troubadour Raimbaut de Vaqueiras (which has no music). The latter was written at about the same time as the song by Huon d'Oisy (c. 1180) and its poetic rhythm develops in a similar way: short lines, many long strophes. But while Raimbaut's song takes on a fictitious tone as it tells us about a city built, run and defended by unknown women, Hue's song relates the tournament as a real event, mentioning the noble ladies taking part by name—indeed, most of them are still identifiable, including Huon d'Oisy's own wife, Countess Marguerite, whose battle-cry is 'Cambrai!' (the House of Oisy came from Cambrai).

One day, so the story goes, all the ladies of noble birth from the Île-de-France and southern Picardy decided to organise a tournament amongst themselves in order to rouse the knights from their lethargy and also experience for themselves the joys of jousting. With their attendants, and encouraged by their families, they thus went down to the meadows on the banks of the River Marne between Lagny and Torcy... It seems very unlikely that such an event actually took place, but, on the other hand, it seems just as unlikely that Huon d'Oisy should risk incurring the wrath of his friends and peers by mentioning their families without some concerted event or anecdote to justify such a burlesque account.

Be that as it may, we will notice that the fight is in the tradition of the period—i.e. a confused mêlée with no holds barred (including bringing horse and rider to the ground by tugging on the bridle)— and very unlike the highly organised (almost choreographed) jousts of the 15th century described by King René in his famous Livre des Tournois. Carrying on the tradition of these accounts, we may note that, from the 13th century onwards, quite a few works were written in praise of female feats of valour; they were apparently much to the liking of the great ladies of the time. Two of them in particular are quite remarkable in the profusion and graphic quality of their writing: Boccaccio's De claris mulieribus and Simon le Franc's Le Champion des Dames.

* Trouvère (from 'trover', meaning 'to find' or 'to invent'): a general term used to describe the 12th- and 13th-century poets-musicians of northern France.
** Sirventès: a form of satirical poem



2. L'une est la chastelaine
Chanson a refrain * de Richard de Semilly (R 1044a - X unicum). Récit d'un tournoi de dames (XIII siècle) / Story of a ladies tournament (13th century)

Le premier couplet manque (page perdue), la mélodie a été reconstituée en tenant compte de la fin du refrain qui est conservée, ainsi que de mélodies de chansons de toile dont certaines offrent de grandes analogies métriques avec celle-ci. Le ton général de la pièce, en forme de complainte, n'est pas sans rappeler le caractère poétique de ces dernières chansons. Le contenu est radicalement différent de celui de la Chanson d'Oisy. Il s'agit ici en effet d'une querelle et non d'un jeu et le poète prend un ton attristé pour décrire ce combat qui lui semble contre nature. Le texte manquant nous empêche de connaître le motif de cet antagonisme. Avec un peu d'imagination, on pourrait avancer que la châtelaine est une épouse ramenée des croisades, que Jacqueline, la dame de Vitry, refu se d'accepter dans son entourage (voir l'avant dernier couplet) : d'après le sens général, le terme de sarrasine ne peut, en effet, s'appliquer aux mannequins-cibles des joutes qui étaient quelquefois désignés par ce qualificatif ; d'autre part, il ne s'agit pas d'un tournoi sportif comprenant des épreuves sur cibles, mais, comme dans la chanson précédente, une mêlée où l'on cherchait à défaire tous les "champions" (ici les "championnes") de son adversaire. La reine ayant pris la querelle sur elle, le roi donne l'ordre d'arrêter le combat : en effet, pour le continuer il aurait alors fallu défier la reine elle-même. Fiction humoristique ou réalité (peut-être éxagérée), ces deux "tournoiements de dames" nous donnent une belle description sur l'esprit de ces "mêlées" qui faisaient la joie des chevaliers.

The first verse is missing (a page has been lost). We have reconstructed the melody from the end of the refrain, which has been preserved, and from the tunes of certain chansons de toile **, some of which are very similar in metre to this one. The general tone of the piece, in the form of a lament, is not unlike that of the chansons de toile. The content of this song is very different from that of the previous song by Huon d'Oisy. What we have here is not simply an amusement, but a fight in earnest, and the poet's tone is one of sadness, for he considers it unnatural for women to be so at variance. As some of the text is missing, we do not know the reason for this antagonism. With a bit of imagination, one might suppose that the chatelaine is a foreigner brought back by her husband from the crusades, whom Jacqueline, the lady of Vitry, refuses to accept in her entourage. In the last-but-one verse we find a reference to a 'Saracen': as it is unlikely that the word is used here as a reference to the dummies that were used as targets in jousts (it was sometimes used in that sense)—indeed, this is not a sporting tournament but, as in the previous song, a mêlée, with each side trying to defeat the 'champions' of the other. The 'Saracen' must therefore refer to the chatelaine. In the end the queen takes the tournament upon herself and the king orders it to be stopped. Indeed, continuing the fight would mean having to challenge the queen herself. Humorous fiction or (possibly exaggerated) reality, these two ladies' tournaments give us a fine description of the spirit of these mêlées in which medieval knights so delighted.

* Chanson à refrain: monophonic courtly songs popular with the trouvères, introducing refrains, with their popular tunes, into otherwise strictly strophic verses. (A refrain is a segment of melody, usually two or three phrases, with words).
** Chanson de toile: a weaving or spinning song: a lady sits at her loom or spinning-wheel and bewails the absence of her lover



3. Endurez les dous maus d'amer
Teneure / Tenor : Alleluya.
Motet à deux voix / Motet for two voices (Mo 248)

Le motet est issu de l'organum, au XIIIe siècle. C'est une construction polyphonique raffinée, en général assez brève et construite sur un thème préexistant qui est traité avec un rythme simple : la teneure ; son origine est généralement liturgique. Les différentes parties de contrepoint — duplum, triplum, quadruplum — sont le support d'un texte différent. Elles peuvent aussi avoir été écrites en plusieurs périodes tout au long du siècle. Indifféremment profane ou religieux, le motet peut même superposer un texte d'inspiration sacrée à un texte courtois et mêler latin et français. Le plus souvent anonyme à cette époque, le motet prendra une grande expansion au XIVe siècle chez les compositeurs de l'"Ars Nova". Leurs textes sont en général de versification peu structurée. Dans le domaine profane, ils illustrent, de façon brève et souvent humoristique, quelques traits d'amour courtois. Le présent motet, d'une grande concision, est un très bon exemple du genre dans son état le plus simple : deux voix, teneure et duplum.

The motet stemmed from organum in the 13th century. It is a refined polyphonic piece, usually quite short, and based on a pre-existing theme (the tenor*) with a simple rhythm; its origin is generally liturgical. Each part of the counterpoint—duplum, triplum, quadruplum—follows a different text; these parts may also have been written at different times during the century. The motet may be secular or religious; a text of sacred inspiration may even be superposed on a courtly text and we may find a mixture of Latin and French. In the 13th century, the motet was usually anonymous. It became much more widespread in the 14th century with the exponents of 'Ars Nova'. There is usually little structure in the versification of their texts. Secular motets provide a brief and often amusing illustration of certain aspects of courtly love. This very short motet is a fine example of the genre in its simplest form, for two voices: tenor and duplum.

* Tenor (from Latin tenere, to hold): in polyphony between c. 1250 and 1500, the structurally fundamental (or 'holding') voice.


4. Quant voi renverdir
Chanson anonyme (R 1453 - K) / Anonymous chanson

Cette pièce se situant dans le registre aristocratisant (canso) forme un contraste avec l'énergie et la bonne humeur du reste de l'enregistrement. Elle donne la note mélancolique nécessaire à une réalisation qui, bien qu'ayant pris pour sujet le combat et le jeu, se veut aussi un reflet de la lyrique courtoise. Le thème, la séparation, est celui d'une chanson dite de "départie".

This piece, in a mock-aristocratic vein (canso), contrasts with the liveliness and good humour of the other pieces on this recording. Its brings a slightly melancholy note to this programme, which, although its subject is fighting and play, aims also to be a reflection of courtly lyrical poetry. The theme of separation is that of the so-called chanson de 'départie'.


5. Ja Dieus ne me doinst corage • Nus ne sait les biens d'amors
Teneure / Tenor : Portare
Motet à trois voix / Motet for three voices (Mo 142 unicum)

Motet "enté" (= dont le texte du duplum est encadré par deux "refrains" préexistants). Comme c'est souvent le cas dans ce type d’œuvre, les textes sont complémentaires : la résolution de la malmariée du duplum est renforcée par l'apologie de l'amour du triplum.

This is a motet 'enté' (literally, a 'grafted motet'): the text of the duplum has been set between two pre-existing 'refrains'. As is often the case in this type of work, the texts are complementary: the malmariée's * resolution in the duplum is substantiated by the passage in praise of love in the triplum.

* Malmariée: a woman who is not happy with her husband. Hence chanson de malmariée: a song sung by a woman who is married to a man she does not love.



6. Prenez i garde • S'on me regarde
Teneure / Tenor : Hé ! mi enfant
Motet à trois voix / Motet for three voices (Mo 325 unicum)

En dépit de son ton humoristique et populaire, la pièce présente des traits de composition très élaborés, tant sur le plan musical que sur le plan littéraire : mélodie et texte sont pratiquement identiques mais chaque élément en est énoncé dans un ordre différent dans l'une et l'autre des voix de contrepoint. Il faut aussi noter la teneure dont l'origine est un rondeau profane de schéma mélodique ABAAABAB (voir N° 7). Les éléments mélodiques ainsi que le refrain du début sont tirés d'un rondeau de Guillaume d'Amiens (Boogaard 93). Ces particularités font déjà penser à l'Ars Nova (le motet "Pourquoi me bat mes maris" de Guillaume de Machaut), et suggèrent une œuvre écrite à la fin du XIIIe siècle.

Despite its popular and humorous tone, this piece is very sophisticated in its musical and literary composition: the melodies and texts of the duplum and the triplum are almost identical, but the elements appear in a different order. We must also notice the tenor which was originally a secular rondeau following the melodic pattern: ABAAABAB (see no. 7). The melodic elements and the refrain at the beginning are taken from a rondeau by Guillaume d'Amiens (Boogaard 93). These features are reminiscent of 'Ars Nova' (the motet 'Pourquoi me bat mes maris' by Guillaume de Machaut) and suggest that the work was written in the late 13th century.


7. Amereis mi vous, cuers dous
Rondeau anonyme (Boogaard 107 - 4 unicum) / Anonymous rondeau

Le rondeau apparaît au XIIIe siècle, c'est alors une sorte de miniature musicale et poétique, souvent anonyme, musicalement d'une grande simplicité, et toujours très court. Sur le plan littéraire, la concision et l'humour de ses poèmes pourraient le rapprocher du motet mais dans le rondeau, la forme est très stricte : le texte se développe selon le plan : AB (refrain) - C ; puis A (semi refrain) ; C'D ; on reprend AB (refrain). La structure musicale, plus simple, est du type AB-A-A-AB-AB. La superposition de ces deux schémas a pour conséquence certaines contraintes au niveau du sens et de la versification : A et C doivent avoir le même nombre de pieds et la même rime (ou assonance), de même que B et D ; d'autre part, la partie A du refrain doit pouvoir être autonome par rapport à la partie B, de façon à pouvoir s'insérer seule dans la continuité du texte. Porteur de possibilités complexes d'écriture, le rondeau connaîtra un grand développement dans l’œuvre des compositeurs des XIVe et XVe siècles.

The rondeau appeared in the 13th century. It was then a sort of musical and poetical miniature, often anonymous, musically very simple and always very short. On a literary level, the concision and humour of the poems could relate it to the motet, but in the rondeau the form is very strict. The text follows the plan: AB (refrain) - C; then A (semi refrain); C'D ; AB (refrain), while the musical structure is simpler: AB-A-A-AB-AB. When these two patterns are superposed, a number of constraints arise, where meaning and versification are concerned: A and C must have the same number of feet and the same rhyme (or assonance); likewise B and D. On the other hand, part A of the refrain must be independent of part B as it has to fit into the text on its own. The rondeau allows for a great deal of freedom and flexibility where musical composition is concerned. The genre reached its height in the 14th and 15th centuries, with composers such as Guillaume Dufay and Gilles Binchois.


8. Hareu li maus d'amer m'ochist
Rondeau de Adam de la Halle (Boogaard 72 - W)

Les rondeaux polyphoniques, comme celui-ci et le suivant, sont une "invention" du maître d'Arras. Très différents des motets, ils s'apparentent aux conduits liturgiques : absence de teneure préexistante, rythme similaire pour chacune des parties et texte identique dans toutes les voix.

Polyphonic rondeaux, like this one and the next, were 'invented' by Adam de la Halle, who came from Arras. Very different from motets, they are related to conductus, a type of church composition of the 12th and 13th centuries: no pre-existing tenor, similar rhythm for each of the parts and the same text for all the voices.


9. Fi, maris, de vostre amour
Rondeau de Adam de la Halle (Boogaard 74 - W - Malmariée), à trois voix, forme identique à celle du précédent.
This rondeau for three voices is identical in form to the previous one.


10. Cil brunes ne me meine mie
Teneure / Tenor : In seculum
Motet anonyme à deux voix / Anonymous motet for two voices (Mo 249)


11. Larges et amerouzes
Ballette anonyme (R 910a - unicum). Chanson de jeune-fille*. Musique d'après une chanson de même mètre / Music taken from a song with the same metre (R 1878 - K - Thibaut, jeu parti ** Robert wez de Perron)

La ballette n'est pas une forme très définie : on désigne sous ce terme des chansons à refrain, au texte popularisant, formées de vers brefs, rimées le plus souvent par assonances. Le caractère de ces pièces, joyeux et énergique, fait penser à la danse.

The form of the ballette (which may be translated as 'dance song') is not very well defined The term is used to refer to chansons à refrain with a mock-popular text, in short lines, usually rhyming by assonance. The joyful, spirited character of such pieces is reminiscent of the dance.

* Chanson de jeune fille: a song sung by a young girl
** Jeu-parti: a sung debate between two trouvères.


12. Jai ne lairai por mon mari ne die
Rondeau (Boogaard 149 - I - Malmariée)

Ce rondeau est tiré d'un manuscrit sans musique, mais le refrain apparaît avec sa mélodie dans d'autres œuvres (Renart le Nouvel). Dans cette forme, la construction musicale étant faite de reprises des éléments du refrain (voir N° 7), la reconstitution en devient, dans ce cas, très aisée.

This rondeau is taken from a manuscript with no refrain music, but the refrain appears with its tune in other works ('Renart le Nouvel') . As the musical structure here consists of repeated elements from the refrain (see no. 7), it is, in this case, very easy to reconstruct.


13. Onc voir par amour n'amai
Motet incomplet anonyme : une voix sans teneure (Mo 250 unicum) - deuxième voix réécrite en forme de conduit.
Motet (incomplete): one voice without tenor (Mo 250 unicum) - Second voice rewritten in the form of a conductus.


14. Ainsi doit on aller
Rondeau anonyme (Boogaard 168 - k) / Anonymous rondeau


15. Hé Dieus ! je n'ai pas mari • Je suis jonette et jolie
Teneure / Tenor : Veritatem
Motet à trois voix / Motet for three voices (Mo 156 - unicum - Malmariée)


16. Trois serors, sor rive mer
Teneure : non identifiée / Tenor: not identified
Motet à trois voix / Motet for three voices (Mo 27 unicum)

La forme est exceptionnelle dans le corpus des motets : il s'agit d'une ballette dont les trois couplets ont été superposés.

The form of this piece is exceptional in the corpus of motets: it is a ballette, the three verses of which have been superposed.


17. Je suis joliette • Quant voi la florette
Teneure / Tenor : Aptatur
Motet à trois voix / Motet for three voices (Ba f° 36 - Nonnes malgré elles)

Montpellier / Mo 34 propose une quatrième voix : un texte d'homme hors du sujet. Nous avons préféré utiliser cette version du manuscrit de Bamberg. Le duplum est de la forme "entée" (voir N° 5), le triplum est avec des refrains.

Montpellier / Mo 34 proposes a fourth voice: a text sung by a man on a different subject. We have preferred to use this version from the Bamberg manuscript. The duplum is in the enté form (see no. 5); the triplum includes refrains.


18. Vous arez la druerie, amis de moi
Rondeau anonyme / Anonymous rondeau (Boogaard 171 - k - Malmariée)


19. Biaus douz amis, or ne vous anuit mie
Teneure / Tenor : Domine
Motet à deux voix / Motet for two voices (Mo 196 unicum)

Dans cette "chanson de départie" mise en motet, il faut noter le latinisme, amusant et curieux, des terminaisons verbales : puissomes, soiomes, heberjomes.

In this chanson de departie (song of separation), set as a motet, note the curious and amusing 'Latinisation' of the verb endings: 'puissomes', 'soiomes', 'heberjomes'.


20. C'est la fin, koi que nus die
Rondeau de Guillaume d'Amiens (Boogaard 92 - a)

Même si le mot fin ne doit pas être pris dans son sens actuel le plus courant, quelle œuvre autre que celle-ci pouvait mieux conclure la deuxième partie de cet enregistrement ? Aussi avons-nous pris le parti de "féminiser" la pièce en modifiant la terminaison d'un mot.

Even if the word 'fin' here is not to be taken in its most common modern sense, what better work to bring the second part of this recording to an end? We have decided to 'feminise' our version by changing the word amie to ami (line 5).


21. En mai au douz tens nouvel
Ballette anonyme (R 577 - K). Chanson de jongleur *

* Jongleur: a professional instrumentalist, singer, entertainer, etc., usually itinerant. Chanson de jongleur: a song sung by such a musician.

Translations and notes: Mary PARDOE








Perceval & Sanacore

Rencontre entre deux ensembles et deux styles musicaux : répertoire et traditions.

Les quatre chanteuses de SANACORE se sont appropriées le répertoire du chant populaire italien. Tout en ciselant les polyphonies, elles ont utilisé toutes les possibilités harmoniques, faisant ainsi se frotter les voix entre elles au gré des dissonances spontanées. Cet avant-gardisme populaire, lié à la recherche sur les timbres vocaux, les rapproche tout naturellement de la musique du XXe siècle et des compositeurs actuels leur écrivent des œuvres utilisant ces mêmes couleurs expressives. Avec l'Ensemble Perceval, elles vont mêler la puissance et les audaces de leur inspiration aux raffinements de la musique courtoise du Moyen Âge.

PERCEVAL est né d'une rencontre entre musiciens et comédiens. Ensemble, ils ont réalisé une approche littéraire et musicologique sur le Moyen Age, qui s'est concrétisée par des concerts et spectacles joués dans le monde entier : Le jeu de Robin et Marion, Renart le Nouvel de Jacquemart Giélé, le Conte du Graal, Tristan et Yseut... Groupe d'étude et de recherche, il est composé actuellement de chanteuses, de chanteurs et d'instrumentistes qui participent, en fonction de leur spécialisation, à l'élaboration des programmes. Dans ce parcours, Katia Caré et Guy Robert ont mis l'accent sur la lyrique courtoise du XIIe au XIVe siècle, poésie dont la théâtralité et la liberté d'expression ont des échos étrangement modernes.
Two ensembles and two styles of music: written music and the oral tradition.

SANACORE comprises four female singers, specializing in the repertoire of Italian folk songs. Whilst polishing the different parts of the polyphony, they bring out all the harmonic possibilities, thus creating a certain friction between the voices with he spontaneous dissonances. It is obvious that such an avant-gardist approach would also be in keeping with music of the 20th century and, indeed, modern composers write works for them using those same expressive colours.

PERCEVAL came into being when a group of actors and musicians came together to carry out research into the literature and music of the Middle Ages. The result was a series of concerts and 'shows' that have been performed all over the world: Le jeu de Robin et Marion, Renart le Nouvel (by Jacquemart Giélé), Le Conte du Graal, Tristan et Yseut... Perceval is a study and research group, at present composed of singers and instrumentalists who take part, according to their specializations, in the elaboration of the programmes. Katia Caré and Guy Robert have put the accent on courtly lyric poetry of the 12th-14th centuries, poetry whose dramatic qualities and freedom of expression have strangely modern echoes.


DISCOGRAPHIE de l'Ensemble PERCEVAL

LA CHANSON D'AMI (Chansons de femme aux XIIe & XIIIe s.) / ARN 68290
MANUSCRIT DU ROI : Trouvères et troubadours / ARN 68225
CHANSONS DES ROIS ET PRINCES DU MOYEN ÂGE / ARN 68031
ADAM DE LA HALLE : Le jeu de Robin et Marion / ARN 68162
LA COUR DU ROI RENÉ : Chansons et danses (Binchois - Dufay - J. des Prés - Ockeghem - Feragut ... / ARN 68104