Think Subtilior / Santenay
Cercle des Fumeux. Songs and Sounds





medieval.org
santenay.de
Ricercar 386

2017







1. haze  [1:07]

2. Onques ne fu si dure pertie  [7:20]   anonymous

3. ephemeral  [0:35]

4. Fumeux fume par fumee  [2:10]   intabulation after SOLAGE

5. Puisque je sui fumeux, plains de fumee  [7:59]   Johannes Symonis HASPROIS († 1428)

6. emanation  [2:56]

7. Le basile de sa propre nature  [10:12]   SOLAGE († after 1403)

8. Pres du soloil deduissant s’esbanoye  [4:41]   Diminution after Matteo da PERUGIA

9. exhalation  [1:44]

10. Fumeux fume par fumee  [7:00]   SOLAGE

11. Tout par compas  [1:50]   Baude CORDIER (c. 1360/1380-c. 1400/1440)

12. perfume  [1:08]

13. Le ray au soleyl qui dret som karmeyne  [2:32]   Johannes CICONIA (c. 1370-1412)









Santenay
Julla von Landsberg: voice & organetto
Elodie Wiemer: recorder
Szilárd Chereji: viella
Orí Harmelin: lute




Tracks 1, 3, 6, 9, 12 assembled and mixed by /
assemblées et mixées par Thor-Harald Johnsen.


Recording: Borna (D), Kunigundenkirche, August 2014
Sound engineer: Benjamin Dressler
Musical producer: Thor-Harald Johnsen
Executive producer: Jérôme Lejeune
Cover & cover pages of the booklet: illustrations by RRNR Studio

With special thanks to
Axel Wendt, Hartmut Raguse, Johannes Weiss, Thore and Else-Marie Johnsen

℗ SANTENAY 2016 et © OUTHERE 2017



English liner notes










THINK SUBTILIOR


Minimaliste, maniéré, inaccessible, moderne, avant-gardiste, ésotérique, expressionniste, savant, complexe… Autant de qualificatifs attribués à tour de rôle à un style musical qui ne fut qualifié de subtil que bien après son apparition.

La fin du quatorzième siècle voit donc la création et le développement d’un style de composition bien singulier appelé aujourd’hui ars subtilior.

Ars : l’art. Subtilis : fin, délicat, spirituel, brillant, précis, raffiné.

On trouve des exemples de cette musique en France (Paris, Avignon et le Sud-Ouest), dans le Nord de l’Italie et à Chypre. Cette expansion géographique va de pair avec le foisonnement de l’activité culturelle dans les principales cours européennes et l’interaction de personnalités influentes de la vie religieuse, politique et culturelle du moment.

À Paris, au crépuscule du quatorzième siècle, se réunit une confrérie singulière : un groupe de jeunes intellectuels excentriques se dénommant le Cercle des Fumeux. Ils sont poètes, penseurs, musiciens. Ils s’amusent, critiquent, se moquent de la raison et leurs actions se caractérisent par l’extravagance. On trouve parmi eux Jean Fumeux, Solage, Jehan Simon Hasprois et Eustache Deschamps. Ce dernier écrit au sujet de ses confrères et de lui-même, dans sa Charte des Fumeux (1368) :

« Ilz parlent variablement
Ilz se demainent sotement
Pour ce que dame Outrecuidance
Maine chascun d›eulx a sa dance
Folie par la main les tient
Orgueil les gouverne et soutient
Et le vest de riches joyaulx
Et Jeunesse, qui est si beaux
Leur prie, amonneste et ennorte
Que chascuns folement se porte. »
Ils s’expriment diversement,
Ils s’agitent stupidement
Parce que dame Outrecuidance
Entraîne chacun dans sa danse.
Folie par la main les tient,
Orgueil les mène et entretient
Et les couvre de beaux joyaux,
Et Jeunesse qui est si beau
Les encourage et les exhorte :
Que tels des fous ils se comportent! (1)

Il est parfois supposé que le cercle tient son nom de Jean Fumeux. Quoi qu’il en soit, la thématique et la référence au Cercle des Fumeux se retrouve dans la poésie des chansons Fumeux fume de Solage et Puisque je sui fumeux de Hasprois, qui figurent dans cet album.

En nous penchant sur le contexte de ces chansons, nous nous sommes demandé ce que représentait le terme « fumee » au quatorzième siècle. Dans le dictionnaire du moyen français de l’ATILF(2), on ne trouve pas moins d’une vingtaine d’occurrences du mot. « Fumee » désigne d’une part le résultat visible ou non de différents phénomènes d’ordre physique ou psychique. D’autre part, le terme est employé au sens figuré dans d’innombrables expressions et métaphores.

De cette lecture se dégage néanmoins une image, plus ou moins concrète, une impression plutôt floue. Il s’agit d’une sorte de brouillard éphémère, impalpable, insaisissable, impénétrable parfois aussi, aux pouvoirs considérables. La « fumee » peut générer la colère, la folie, l’aveuglement, la brûlure.

Jacques Ledune(3) s’est penché sur la manière d’exprimer le brouillard en musique et remarque justement que « l’imitation du brouillard revêt deux dimensions dans la mesure où elle s’applique à un phénomène non seulement muet, mais aussi synonyme d’effacement ».

Il s’agit « d’opérer cette synthèse entre le visuel, le sonore et la pensée, autrement dit entre la forme et le fond », ce qui est l’essence même du mot « fumee » dans le contexte de l’époque. L’art dont témoignent les deux pièces interprétées ici réside dans le fait que style, métaphore et état d’âme s’y confondent tout naturellement.

Ledune estime par ailleurs que « l’oreille d’aujourd’hui, pour autant qu’elle soit libérée de tout conformisme stylistique, peut […] retrouver [dans la musique de l’ars subtilior] une puissance suggestive et une incroyable modernité ». L’idée de libérer l’oreille d’aujourd’hui est une perspective qui ne nous est pas étrangère et qui a guidé le processus de création de l’album.

Le projet est né du désir d’enregistrer certaines des plus belles pièces de l’ars subtilior, style que nous affectionnons particulièrement.

Nous nous sommes demandé comment un CD opère pour l’auditeur et, conscients de la difficulté d’être intimement à l’écoute et surtout des possibilités expressives de notre répertoire, nous avons souhaité créer quelque chose qui soit bénéfique à son écoute.

Comme les œuvres d’art sont encadrées avec le plus grand soin, nous avons cherché des cadres sonores aux compositions de cet album afin de les introduire, les connecter entre elles et les amener plus loin qu’à l’habitude. Surtout, il s’agit d’une invitation à la musique pour permettre aux oreilles et à la conscience d’être éveillées et libérées au moment où l’art fait son apparition.

Le canon Le ray au soleyl de Ciconia est une pièce emblématique de notre programme qui fait référence à la famille des Visconti, utilisant les symboles célestes de leur blason et citant leur devise. Pendant notre travail de préparation, nous nous sommes amusés à essayer différentes versions du Ray au soleyl en variant les instrumentations et les transpositions dans une approche ludique. Que se passe-t-il quand on ne joue qu’une seule voix (la « seule » écrite dans le Codex Mancini), ou deux ? Quelles sont les images qui se dégagent de la musique ? C’est ainsi que d’une expérimentation à l’autre, Le Ray au soleyl s’est peu à peu transformé en fil conducteur de l’album.

Pres du soleil est une autre pièce emblématique de ce programme. Le texte original de cette ballade de Matteo da Perugia dépeint une scène truffée d’évocations symboliques. On y trouve la domination d’un faucon, le jardin médiéval, la proximité du soleil qui, comme le suggère Nicoletta Gossen(4), peut être interprétée comme une référence à la famille Visconti. Cette pièce nous fascine depuis longtemps et nous l’avons interprétée dans sa version chantée pendant plusieurs années. Ainsi, il nous a semblé naturel d’en proposer à présent notre version instrumentale personnelle, dans laquelle nous nous sommes essentiellement attachés à rendre le caractère planant et l’esprit de menace sous-jacent, un peu comme l’instant de calme avant la tempête.

Pour un luthiste, mettre en tablature la musique vocale est une pratique courante, néanmoins inhabituelle pour la musique fumeuse de l’ars subtilior. En effet, les premiers exemples écrits apparaissent presque un siècle plus tard, et la majorité seulement au seizième siècle. Cependant, Fumeux fume invite à l’exploration et semble se prêter à un tel arrangement. Contrairement aux madrigaux plus tardifs, ce rondeau se passe de diminutions et autres exercices de virtuosité. La musique est tellement complexe et profonde qu’elle requiert finalement la simplicité.

Tout par compas est un second canon, de Baude Cordier, au caractère ludique, qui joue avec l’idée du cercle sur différents plans, visuel, comme le montre l’esthétique du manuscrit, mais aussi structurel, dans la forme même de la composition.

Dans la conception des atmosphères sonores entre les titres, plusieurs thèmes en rapport avec le répertoire nous ont inspiré : la perfection du cercle, l’infini, la fumée, le ciel et la terre entre autres. Ces interludes sont réalisés à partir de sons provenant de nos instruments, de bribes de morceaux, d’improvisations ou parfois d’une voix isolée. Nous avons ensuite laissé place à notre imagination et au talent de Thor-Harald Johnsen pour le reste.

Nous avons choisi l’inattendu pour présager l’insolite, le singulier pour faire écho au fantastique, l’époustouflant pour clore le stupéfiant.

ELODIE WIEMER

(1) Traduction en français moderne : Isabelle Fabre
(2) Analyse et traitement informatique de la langue française
(3) Jacques Ledune, Les tisseurs de brumes, Détours, PointCulture, décembre 2012
(4) Nicoletta Gossen, Musik und Texten, Texte in Musik, Amadeus, 2006












THINK SUBTILIOR

Minimalist, mannered, inaccessible, avant-garde, esoteric, expressionist, learned, complex… these terms were attached in turn to a musical style that was to be described as subtle only long after its birth.

The end of the 14th century saw the creation and the development of a singular style of composition that today we know as the ars subtilior.

Ars: art
Subtilis: fine, delicate, witty, brilliant, precise, refined

Examples of this style have been found in France (Paris, Avignon and the Southwest), in northern Italy and in Cyprus. This geographical expansion went hand in hand with the explosion of cultural activity in the great European courts, which in turn was heavily influenced by religious, political and cultural leaders of the time.

An unusual confraternity was formed in Paris during the twilight years of the 14th century: a group of eccentric young intellectuals — poets, philosophers and musicians — came together and called themselves the Cercle des Fumeux. They enjoyed themselves, judged everything and made fun of rational behaviour; all of their deeds were characterised by extravagance of one form or another. The group’s members included Jean Fumeux, Solage, Jehan Simon Hasprois and Eustache Deschamps; this last-named described his companions and himself in his Charte des fumeux (1368):

« Ilz parlent variablement
Ilz se demainent sotement
Pour ce que dame Outrecuidance
Maine chascun d›eulx a sa dance
Folie par la main les tient
Orgueil les gouverne et soutient
Et le vest de riches joyaulx
Et Jeunesse, qui est si beaux
Leur prie, amonneste et ennorte
Que chascuns folement se porte. »
They express themselves in different ways,
They bustle about foolishly
Pour ce que dame Outrecuidance
Draws each of them into her dance.
Folly leads them by the hand,
Pride guides and nourishes them
And covers them with fine jewels.
Youth in its beauty
Encourages and urges them on:
They behave like so many madmen!

It is often assumed that the group took its name from Jean Fumeux. Whether this is the case or not, the above theme and a reference to the Cercle des Fumeux are to be found in the texts of the songs Fumeux fume by Solage and Puisque je sui fumeux by Hasprois, both of which are included in this recording.

As we explored the historical context of these songs, we asked ourselves what the word fumee actually signified during the 14th century. There are no less than twenty entries for the word in the ATILF’s(1) dictionary of Middle French. On the one hand, fumee signifies the visible or invisible result of various physical or psychic phenomena; on the other, it is used figuratively in countless expressions and metaphors.

A more or less concrete image, a somewhat blurred impression nonetheless emerges from this exploration: a type of ephemeral mist, impalpable, elusive, sometimes impenetrable, and with considerable powers. Fumee can cause anger, madness, blindness, and burning.

Jacques Ledune(2) has investigated how mist and fog are expressed in music and has rightly remarked that the sound imitation of mist and fog takes on two dimensions insofar as it is applied to a phenomenon that is not only silent but also a synonym for concealment of reality. It is necessary to create a synthesis between sight, sound and thought, in other words a synthesis between form and content: this was the very essence of the word fumee during the period under discussion. The art that we perceive in the two pieces recorded here stems from the fact that style, metaphor and mood here blend together completely naturally.

Ledune also considers that the modern ear, on the condition that it has been freed from any conformism of style, can rediscover a power of suggestion and an unbelievable modernity in the music of the ars subtilior. The idea of liberating the modern ear is one that is not unfamiliar to us, for it has guided the entire process of creating this recording.

This project came about due to our wish to record several of the finest works of the Ars subtilior, given that we are particularly attached to this style. We wondered about the experience a person could have listening to a CD: aware of the difficulty in achieving an intimate listening experience, and at the same time of the expressive possibilities of this repertoire, we wished to create a bridge to connect our listener to our music. In [the same time of the expressive possibilities of this repertoire, we wished to create a bridge to connect our listener to our music.]

In the same way that works of art are framed with the greatest of care, we have taken great pains to find musical frames for the works recorded here; these frames at times introduce the works, at times interconnect them and at times bring something new out of them. Even more important, they act as an invitation to music so that the ears and the conscious mind can be fully awake and liberated at the moment that the art in question first appears.

Ciconia’s canon Le ray au soleyl is an emblematic work of this programme and refers to the Visconti family by using the celestial symbols of their coat of arms and a quotation of their motto. As we prepared the work we tried out different versions of Le ray au soleyl by changing the instrumentation and key in a playful manner. What happens when we play only one voice? or only two voices? What images are then conjured up by the music? One experiment led to another, with the result that Le ray au soleyl gradually became the central work of the programme.

Pres du soleil is another emblematic work of this programme. The original text of this ballade by Matteo da Perugia describes a scene filled with symbolic figures. We read of a dominating falcon, of a mediaeval garden and of the closeness of the sun: according to Nicoletta Gossen(3), this can be interpreted as a reference to the Visconti family. This piece has fascinated us for a long time and we have performed it with its poetry in a version with voice and instruments for several years. It now seems natural to present our personal instrumental version; in it we have endeavoured to express its headily intense character together with its underlying feeling of menace, somewhat like a moment of calm before the storm.

The transcription of vocal music into lute tablature is normal practice for a lutenist, although it is nonetheless unusual for the smoky music of the ars subtilior. The first written examples of this in fact appeared almost one century later, with the majority of such transcriptions appearing only in the 16th century. Fumeux fume, however, seemed to invite exploration and indeed to lend itself to such an arrangement. Unlike other later madrigals, this rondeau does not ask for any diminutions or demonstrations of virtuosity, it is so complex and profound that all it requires is simplicity.

Tout par compas is another canon, this time by Baude Cordier. It plays with the idea of a circle on several levels, firstly visual, as the design and layout of the manuscript make clear, and secondly structural, in the form of the composition itself.

Several themes connected with the music — the perfection of the circle, infinity, smoke, heaven and earth — served as inspiration for the various soundscapes placed between the works themselves.

These interludes have been created with sounds from our instruments, snatches of the works themselves, improvisations and sometimes even a solo line. All of the rest we left to our imagination and to the talent of Thor-Harald Johnsen.

We chose the unexpected to foreshadow the unusual, the singular to echo the fantastic, the breathtaking to conclude the amazing.

ELODIE WIEMER
TRANSLATION: PETER LOCKWOOD

(1) Analyse et traitement informatique de la langue française
(2) Jacques Ledune, Les tisseurs de brumes, Détours, PointCulture, décembre 2012
(3) Nicoletta Gossen, Musik und Texten, Texte in Musik, Amadeus, 2006