L'art des jongleurs, vol. 1 / Ensemble Tre Fontane
Musiques du 14º siècle. Estampies italiennes | virelais de Guillaume de MACHAUT





medieval.org
albacarma.com
Tre Fontane TRF 0187 (LP)
Alba musica AL 0187

1988








1. [7:57]
Cosa crudel m'ancide | Andreas de FLORENTIA
In pro | estampie italienne | anonyme
chalemie, vielle à roue

Guillaume de MACHAUT
2. C'est force de la veuil  [5:19]
virelai | chant, vielle à roue

Maestro PIERO
3. Gaité dolce parolette mie  [4:52]
flûte à bec, vielle à roue

4. Belicha  [5:09]  estampie italienne | anonyme
flûte à bec, vielle à roue

Guillaume de MACHAUT
5. Ce qui soustient moy m'onneur et ma vie  [4:48]
rondeau | chalemie, vielle à roue

6. Saltarello  [4:00]  estampie italienne | anonyme
flûte à bec, vielle à roue

Guillaume de MACHAUT
7. Dame je veuil endurer  [3:28]
virelai | chant, vielle à roue

8. Tre fontane  [10:41]  estampie italienne | anonyme
flûte à bec, vielle à roue




Ensemble Tre Fontane
Maurice MONCOZET : flûtes, chalémie, chant
Pascal LEFEUVRE : vielle à roue




English liner notes




Arrangements : Maurice MONCOZET - Pascal LEFEUVRE

Transcripteurs :
- Josef ULSAMER pour les estampies italiennes (Manuscrit LO BM ADD 29987)
- Sylvette LEGUY pour les pièces de G. de Machaut (Manuscrit 22546 B.N. Paris)


Enregistrement : septembre 1987 au Centre Inter Régional de Musique Ancienne et Contemporaine de Cordes - Tarn.
Prise de son, mixage : Philippe TEISSIER du CROS
Co-production : Ensemble TRE FONTANE, U.V.P.C.A. Productions, Association des Musées du Sarladais, CIMAC de Cordes.
Dessin recto : Claire LAURENT d'après gravure anglaise du XIVº siècle
Photo verso : Laurence BENNE







Les Jongleurs, à l'origine ce nom était attribué au balladin, amuseur en tous genres, du montreur d'animaux à l'acrobate, il désigna plus précisément au bas Moyen-Age le musicien, chanteur et instrumentiste. Ce sont les jongleurs qui chantèrent et diffusèrent les œuvres des Troubadours et des Trouvères. Outre ce rôle d'interprète, ils détenaient un savoir musical propre.
Souvent considérés comme des marginaux, vagabonds et voleurs, peu à peu leur statut s'éleva. Au XIV° siècle, apparurent des corporations ou confréries de musiciens bien intégrées à la vie des cités. Les Jongleurs animaient fêtes et cérémonies ; ils pratiquaient souvent plusieurs instruments pour être à même de jouer, selon les circonstances, sur les places publiques ou dans les maisons.

Les Estampies Italiennes, musiques purement instrumentales, font partie des très nombreuses Danses des Jongleurs que l'on entendait dans toute l'Europe au Moyen-Age. Longtemps transmises de maîtres à élèves, par tradition orale, c'est grâce au travail des copistes avisés qu'elles nous sont parvenues (la très grande majorité des manuscrits nous livrent des musiques vocales). Leur notation date de la fin du XIV° siècle, elles bénéficient des grands progrès dans l'écriture musicale de ce siècle de l'Ars Nova.
Ces mélodies très vives, musiques à danser, se prêtent parfaitement à la variation et à l'improvisation. Les quinze estampies italiennes toutefois peuvent se classer en deux groupes : si sept d'entre elles sont nettement des musiques de danse, les huit autres de durée plus longue, plus complexes, hautement stylisées, semblent plus être destinées à une écoute pure. Ce sont des estampies de ce deuxième groupe que l'ensemble a choisi d'interpréter.

Guillaume de MACHAUT (1300 ? - 1377) se définit lui-même comme "l'artisan de l'ancienne et de la nouvelle forge", à la fois continuateur de l’œuvre des Trouvères et le premier grand compositeur, au sens moderne du mot.
Ses œuvres nous sont intégralement parvenues en de nombreux manuscrits dont il surveillait soigneusement la rédaction. Homme d'église, il revendique pour la musique une double fonction sacrée mais aussi profane, pour ses effets bienfaisants sur l'âme humaine.

"et musique est une science
qui veut qu'on rie, chante et danse.
Cure n'a de mélancolie...
Elle fait toutes les caroles
par bours, par citez, par escoles..."

Poète et musicien virtuose, il utilise pour sa musique profane toutes les formes lyriques, monodiques et polyphoniques existantes en son temps : lais, virelais, rondeaux, ballades, motets.



L'ENSEMBLE "TRE FONTANE" dans son époque



Notre XX° siècle finissant aura eu l'immense mérite de voir l'apparition du polyglotte musical, chose impensable il y a seulement une génération. En bien ou en mal, les échanges musicaux ont connu le plus spectaculaire développement de toute l'histoire connue. Pendant que nos musiques classiques — et notre disco — se répandaient sur la surface de la planète, nous recevions de retour ragas de l'Inde du Nord, Gamelans de Bali, chants (ô combien savants) des Pygmées de Centrafrique, etc.

Ces musiques, appelées autrefois "folkloriques", ont désormais droit de cité, à en juger par la quantité de disques, récitals, tournées réalisées par les musiciens de ces autres cultures, signe de la curiosité grandissante, d'une plus grande ouverture d'esprit des occidentaux, à qui l'on avait répété pendant des lustres qu'il n'existait qu'une seule musique — la notre — et qu'elle était "grande", entendez par là que les autres, y compris celles de la tradition populaires de nos pays étaient "petites".

Simultanément on réhabilitait nos musiques anciennes, en même temps que réapparaissait une lutherie ad hoc, seule capable de donner une idée approximative des sons qu'entendaient nos ancêtres. Soudain, on "découvrait" que chacune de ces musiques avait son "accent", son articulation propre, qu'il fallait réapprendre, patiemment, avec amour, et que la musique pouvait être aussi virtuose au XIV° qu'au XIX et XX° siècles.

Les amateurs de musique extra-européennes savent bien que la différence principale entre musiques savantes et populaires réside dans la virtuosité de l'interprète et le nombre de gammes différentes qu'il emploie. Certains spécialistes ès musique ancienne semblent oublier cette évidence, et maintiennent que les musiques de la renaissance ou du moyen-âge européens ne peuvent être valablement interprétées que par des musiciens formés académiquement. Alors que la notation musicale n'a pas le même sens au XVIº et au XIX ° siècles (alors celle du XIV ° !) et que les frontières entre musiciens savants et populaires n'étaient peut-être pas autrefois, du moins au niveau de l'exécutant (le jongleur), aussi rigides qu'elles l'ont été ces dernières générations.

Ce qu'illustre superbement le présent enregistrement : deux étonnants musiciens, formés aux musiques traditionnelles, jazz, etc. qui font sonner ces délicieuses musiques d'il y a six siècles, non point comme le contemporain de Guillaume de Machaut, Andréas et Maestro Piero pouvaient les entendre, ça, on ne le saura jamais, mais pour le ravissement de nos oreilles cosmopolites d'aujourd'hui. Laissons agir l'enchantement : Pascal Lefeuvre et Maurice Moncozet font tomber bien des frontières pour notre plaisir. Ecoutez bien l'estampie Tre Fontane, œuvre maîtresse de ce programme : après une introduction en rythme libre, qui évoque l'alap de la musique savante indienne, apparait le thème de l'Istampita en dialogue entre les deux instruments, en une sorte de chassé-croisé haletant qui aboutit au final avec des improvisations dans les modes de ré et de fa.

Tre Fontane : Trois Fontaines, celles de l'autrefois, du ailleurs et du ici-maintenant, dont les eaux convergent en une source musicale dont ce premier album n'est que l'amont.

Alan BENNETT










Jongleurs, originally minstrels (professional musicians, entertainers, singers) of the 12th and 13th centuries, often in the service of the troubadours and trouvères whose songs they sang and accompanied on instruments. Their social status was generally lowly, but in the 14th century they organized into corporations of jongleurs and were frequently employed for local musical events. They often played different kinds of instruments, to adapt to various situations.

Italian Estampies, a purely instrumental form of dance music performed by the Jongleurs throughout all of medieval Europe, handed down orally from teacher to student. The music has reached us thanks to copyists who set it down in musical notation, mostly in the form of vocal compositions, in the 14th century, with the advances in musical writing due to the Ars Nova. These sprightly dance pieces lend themselves to variation and improvisation. The 15 Italian Estampies can be classified in two groups: seven of them are obviously dance music, while the eight others are longer, more elaborate and highly stylized, and were probably aimed toward informed listeners. TRE FONTANE performs Estampies from this latter group.

Guillaume de Machaut (1300 ? - 1377) described himself as "the craftsman of the ancient and the new forge" who continued the work of the Trouvères and produced entirely new compositions, in the modern sense of the word.
His production has come down to us in its entirety in manuscript form which he supervised himself. He was a leading member of the Church, and he advocated both a religious and a secular function for music for its beneficial effects on the human soul.

"and music is a science
that makes us laugh, sing and dance,
It has no need for melancholia,
and it makes all the carols
that travel through towns, cities and schools..."

He was a brilliant poet-composer and in his secular music, he made use of all the lyrical, monodic and polyphonic forms of his time: lais, virelais, rondeaux, ballads and motets.


THE ENSEMBLE TRE FONTANE IN ITS ERA



The latter part of the 20th century has witnessed a development of musical exchange without precedent at any time of known history. For better or for worse, Western musical culture has spread throughout the world, bringing classical and pop music to countless listeners, who in return have exported their own traditional music, with deep-ranging influences on musical thinking and practise on all sides. Future historians will delight in defining the influence of Indian classical music on Western music, in the same way as present-day musicologists attempt to analyse the way in which the Crusades and the Moorish invasions helped shape the music of medieval Europe.

More important still, the postwar period, with its extraordinary development in the realm of mass communications, ushered in an epoch of greater musical tolerance and understanding. Musical expressions which had previously been looked down upon as being simply "folksy" are now taught and studied on an equal footing with Western classical music, until now considered the only respectable form of art music.

Musical curiosity spread geographically, but it also looked back in time. Instrument-makers began building convincing replicas of early instruments which produced sounds arguably very close to what men two or three hundred years ago were used to hearing, and performers tirelessly sought to bring out the right music from their new old instruments.

It is a commonplace that in many oriental musical cultures the main difference between art and folk music lies in the virtuosity of the performer and the number of scales he uses. In Europe, some experts in early music disagree with this view, and claim that since medieval and renaissance music uses notation, only academically-trained musicians are qualified to play it. This ignores the fact that early musical notation bears very little relationship to that of the 19th and 20th centuries, and that the borderline between performers of art and folk music in Europe a few centuries ago was probably not as clearly drawn as it has been for the past few generations.

The present recording is a splendid illustration of the link between various musical expressions. The two remarkable musicians who perform the delightful music you are now listening to were untrained in the narrow academic sense: their schooling was in jazz, folk, and dance music, mingled with heady whiffs from the far and middle East. The way they play this music would probably have surprised Guillaume de Machaut, Andreas de Florentia, Maestro Piero and their contemporaries, since we have not the slightest idea of how their music sounded in their time, but to our ears today this six-hundred year old music has a distinctly modern sound. Take the Estampie Tre Fontane: it begins with a free prelude, rather like the alap in the music of North India, followed by the theme of the Istampita proper. The third and last section makes use of themes in the second part as a basis for improvisations in the modes of D and F.

Tre Fontane, or the Three Fountains: one flowing around us, another going from before to after and the third here and now, all combining to form a pool of music that reaches out beyond space and time.

Alan BENNETT