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Stil 0710 SAN 85
1989
1. Introïtus. Spiritus Domini [3:13]
2. KYRIE eleison [7:56]
3. GLORIA in excelsis Deo [7:17]
4. Alleluia. Veni Sancte Spiritus [2:40]
5. CREDO in unum Deum [9:46]
6. Offertorium. Confirma hoc Deus [1:30]
7. SANCTUS [7:27]
8. AGNUS DEI [5:32]
9. Communio. Factus est [1:18]
CANTUS FIGURATUS
SCHOLA CANTORUM BASILIENSIS
Dominique Vellard
cantus: Luiz Alves da Silva, Paul Gerhardt Adam
altus: Beat Mattmüller, Emmanuel Bonnardot, Nuno Torka Miranda
tenor: Georg Senn, Nicolas Stroesser
bassus: Sebastian Mattmüller, Klaus Miehling, Willem de Waal
Prise de son : Michel Pierre. Assistance technique : Eric Quézin
Montage : Bruno Menny
Matriçage : Anne-Marie Terrazzoni, Paris
Pressage : P+O Pallas, Diepholz
Couverture : Luca della Robbia
Production : Stil éditions, 5 rue de Charonne, 75011 Paris
Création graphique : Alain Joly
Réalisation : Alain Villain
Ⓟ Stil, Paris 1989
© Stil, Paris 1989
Enregistrement réalisé en l'église de Seewen
(Suisse) du 7 au 11 octobre 1985 avec le concours de Radio DRS Studio
Basel et de la Schola Cantorum Basillensis
1472, Guillaume Dufay compose, deux ans avant sa mort, la messe Ave regina caelorum, qui sera chantée, de son vivant, pour la dédicace de la cathédrale de Cambrai.
L'Ave regina caelorum
représente un double aboutissement, tant de l’œuvre de Dufay que d'une
tradition qui marque le pas, en cette extrême fin du Moyen-Age où le
contrepoint cesse peu à peu d'être pensé comme référence centrale de
l'expression musicale, et où il fait place à une certaine manière
verticale de penser la musique.
Ici se fait entendre un chant qui
ne doit rien au charme de l'instrument, tant il est vrai que pour les
traditions anciennes l'instrument viole la liturgie, chant porté par la
convergence de dix voix masculines qui rendent compte et attestent de l'Harmonie du Monde
(la musique, en son savant contrepoint est nombre, proportion), dix
voix unies dans une progression de l’œuvre où s'ouvre le présent sans
défaut d'une jubilation, d'une joie plénière.
Œuvre vive en tous
ses instants, et qui conjure donc le temps de l'attente, comme en
l'avancée d'une contemplation, cette musique met en jeu, contre notre
inclination aux curiosités et aux effets, une écoute intense et sans
partage,qui seule permet de mettre au jour toute une part enfouie de
notre sensibilité musicale.
UNE FIGURE DOMINANTE DU XVe SIÈCLE
S'il
paraît de plus en plus discutable de faire l'histoire de la musique à
la lumière de ses seuls grands représentants, il reste pourtant
difficile de méconnaître ceux-là mêmes qui ont marqué leur époque de
façon déterminante. Il ne fait aucun doute que Guillaume Dufay
appartienne à cette catégorie : il faut lui reconnaître une part
décisive dans la formation du langage musical de la Renaissance. Figure
centrale du XVe siècle, se détachant peu peu de l'esthétique de l'Ars Nova finissant, il ouvre la voie a la polyphonie franco-flamande et relie le Moyen-Age aux temps modernes.
Né vers 1400, Guillaume Dufay est d'abord attaché au service de la cathédrale de Cambrai (il est puer altaris en 1409, clericus altaris
— autrement dit clerc — en 1415), qu'il quitte pour participer,
pense-t-an, au concile de Constance (1417-1418) dans la suite du
cardinal Pierre d'Ailly; c'est là, vraisemblablement, qu'il entre en
contact avec la famille des Malatesta, pour laquelle il va travailler
les années suivantes (1420-1426). Installé à Bologne en 1427-1428, il
reçoit la prêtrise, et fréquente peut-être l'université, Bologne
possédant alors une des plus célèbres facultés de droit de l'époque (un
document postérieur le présente comme titulaire du baccalauréat de droit
canon : Guillaume Dufay est baccalauris in decretis).
Dufay
entre en 1428 à la chapelle pontificale (à Rome, puis à Florence) au
service de laquelle il reste attaché jusqu'en 1437, avec des
interruptions qui le conduisent, entre autres, à la cour de Savoie
(1433-1437).
En 1436, Dufay reçoit un canonicat et une prébende
de la cathédrale de Cambrai, ce qui, d'ailleurs, ne l'oblige pas à
résider sur le lieu de sa charge. Ainsi se rend-il, en 1438, au concile
de Bâle, comme représentant du chapitre de la cathédrale de Cambrai —
affaire délicate pour laquelle, en tant qu'expert en droit canon, il
était tout désigné.
L'année suivante, Amédée VIII de Savoie est
élu pape contre Félix V. Dufay se voyait contraint de choisir renoncer à
ses bonnes relations avec la cour de Savoie, ou courir le risque de
perdre ses prébendes à Cambrai et à Bruges, qui appartenaient au duc de
Bourgogne, fidèle à l'ancien pape Eugène IV. Il semble s'être rangé a la
première solution, car à partir de 1440 on le trouve à Cambrai, qu'il
ne quittera plus, hormis pour un séjour à la cour de Savoie entre 1452
et 1458. Le compositeur s'éteint à Cambrai le 27 novembre 1474.
Ce
rappel biographique en témoigne : le compositeur et le musicien
vivaient pleinement dans la tradition des grands compositeurs du
Moyen-Age. Guillaume Dufay n'était pas un musicien professionnel au sens
moderne du terme, c'est-à-dire un musicien qui reçoit une formation
dans une institution spécialisée, mais avant tout un homme d'église :
Dufay recevait, on l'a dit, des prébendes de plusieurs églises — de la
cathédrale Saint-Géry à Cambrai, ainsi que de la cathédrale de Laon — et
était amené à effectuer des missions importantes en vertu de ses
compétences juridiques.
LA PRATIQUE MUSICALE À CAMBRAI
Il
faut rappeler qu'au XVe siècle la ville était un centre religieux et
politique : le diocèse de Cambrai s'étendait sur un vaste territoire,
allant jusqu'à Bruxelles et Anvers. De même la culture musicale y
fleurissait et, à l'instar des villes flamandes, Cambrai hébergeait des
«écoles de ménestrandie» (réunion de jongleurs et de ménestrels) au
XIVe et dans le premier XVe siècle.
Dés la fin du XIVe siècle, le
chant pratiqué à la cathédrale avait acquis un tel prestige, qu'on
allait parfois chercher fort loin les enfants pour assurer la qualité de
l'ensemble. Pratiques fort courantes à l'époque, comme en témoigne le
va-et-vient des personnalités musicales à la chapelle pontificale ;
ainsi Dufay prend-il le relais de Pierre Fontaine, qui avait regagné la
cour de Bourgogne et par ailleurs de Nicolas Grenon, reparti à Cambrai
en compagnie de plusieurs enfants de chœur. Ces échanges attestent des
liens étroits unissant la chapelle pontificale à la cathédrale de
Cambrai. Un tiers des chanteurs de la chapelle pontificale était
originaire du diocèse de Cambrai, ou y possédait des prébendes.
En
ce qui concerne la pratique de l'interprétation, nous savons
aujourd'hui que la cathédrale ne possédait pas d'orgue, même à la fin du
XVe siècle (au contraire d'autres églises de Cambrai). Par contre,
comme nous l'avons dit, le chœur avait atteint un niveau remarquable et
représentait le seul instrument de musique sacrée même les grands jours
de fête, les instruments n'étaient pas admis. D'ailleurs la combinaison
du chœur avec les instruments est une coutume qui ne se vulgarisera pas
avant la fin du XVe siècle. Même le jeu d'orgue, bien que très répondu,
n'était pratiqué qu'en alternance avec le chœur, et non pour
l'accompagner.
Les conditions particulières de la musique sacrée à
la cathédrale de Cambrai mettent encore une fois en évidence les liens
étroits qui existaient avec la culture musicale de la chapelle
pontificale. Jusqu'à nos jours, on n'utilise à la Chapelle Sixtine que
le chant a capella.
Le chœur, quant à lui, comprenait trois groupes de
chanteurs : le noyau de l'ensemble était formé par les petits vicaires
(treize à seize bas clercs et quelques prêtres); le second groupe
comptait six enfants de chœur, elle troisième était représenté par les grands vicaires,
c'est à dire trois sous-diacres, trois diacres, et trois prêtres qui
s'y adjoignaient selon les besoins. L'ensemble des chanteurs était
généralement divisé en deux groupes, répartis de chaque côté du chœur.
En
juillet 1472, les travaux de la cathédrale, commencés au début du XIIe
siècle, étaient en voie d'achèvement, de sorte qu'on décida la
consécration de l'église. Ce fut Pierre de Ranchicourt, évêque d'Arras,
et ami de Dufay, qui fut chargé d'accomplir l'acte solennel. A cette
occasion Dufay reçut commande d'une messe sur cantus firmus,
pris dans la liturgie des fêtes de la Vierge, l'église
étant dédiée à cette dernière.
Dufay choisit l'antienne Ave regina caelorum
sur laquelle il avait écrit, quelques années plus tôt, un motet quatre
voix. Cette messe — qui est la dernière de Guillaume Dufay — est sans
doute la plus importante.
Lorenz Welker, Bâle 1986
AVE REGINA CAELORUM
La
messe contient les parties de l'ordinaire : Kyrie, Gloria, Credo,
Sanctus, Agnus. Elle est écrite à quatre voix, qui se réduisent à deux
ou trois, pour mettre en valeur différentes combinaisons de timbres et
de tessitures vocales; c'est dans les duos que Guillaume Dufay utilise
les contrepoints mélodiques et rythmiques les plus savants, en
particulier par le jeu des canons et imitations.
Dans le deuxième Agnus Dei, il réduit les voix à trois, afin de souligner la prière fervente du Miserere
en utilisant un chromatisme descendant et des harmonies inouïes à
l'époque. A cet endroit le compositeur fait usage d'une partie
remarquable de son motet Ave regina caelorum, dans laquelle il inclut la prière personnelle Miserere supplicanti Dufay. Messe parodique, elle emprunte à ce motet non seulement une ligne isolée servant de cantus firmus,
mais aussi des progressions harmoniques et contrapuntiques. Cette
technique sera largement exploitée dans les messes polyphoniques du XVIe
siècle.
La voix de basse remplit la fonction de base harmonique
de l'édifice polyphonique qui privilégie les premier, quatrième et
cinquième degrés de la gamme, accusant un sentiment tonal assez marqué ;
certains mouvements harmoniques, comme celui allant du cinquième au
quatrième degré de la gamme d'Ut, sont d'une extraordinaire force
expressive. (On pourra le vérifier dans le Gloria, à la jonction du Benedicamus te et de l'Adoramus te).
Le
motif de tête, plus long qu'habituellement et extrêmement riche dans
son traitement, est utilisé au début de chaque parie de la messe et ne
subit que quelques modifications dues à l'adaptation aux différents
textes. Notons la merveilleuse entrée du cantus firmus au ténor, dans le tissu polyphonique constitué par les trois autres voix.
Le cantus firmus
qui n'est cité qu'une seule fois à la voix de ténor, s'intègre dans
l'ensemble de l'écriture, et les autres voix y puisent à leur tour leur
matériel thématique.
A certains endroits, la polyphonie atteint une complexité rythmique exceptionnelle, (par exemple dans le passage du Credo qui porte le texte du Simul adoratur) bien qu'elle ne repose que sur deux tactus (pulsations) que l'on doit conserver constants tout au long de l’œuvre, le respect de cette conception du tactus et des relations (proportio) qu'ils entretiennent renforçant l'unité de l’œuvre.
Afin
de situer la messe de Guillaume Dufay dans un contexte liturgique
approprié, on a choisi de présenter ici, outre la messe elle-même, de
larges extraits du propre de la messe grégorienne du dimanche de
Pentecôte.
Le texte provient d'un manuscrit de Cambrai remontant au XVe
siècle, conservé aujourd'hui à la
Bibliothèque nationale.
L'exécution
du plain-chant s'effectue dans le sens d'une égalité des notes,
c'est-à-dire qu'elle ne s'effectue ni en libre déclamation, ni en forme
mesurée. On trouve, en ce qui concerne celte pratique d'interprétation
du cantus planus en contraste avec le cantus mensuratus de la polyphonie du Moyen-Age tardif, des indications allant dans ce sens chez les théoriciens de l'époque.
Dominique Vellard,
Paris 1986