Flores Aquitanes   /   Vox in Rama










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Vox in Rama  Vox001-01

2011

[65:03]








1. Jubilemus, exultemus  [5:09]
Versus aquitain — F - Pn, ms. lat. 1139, fº 41

2. Puer natus est  [9:25]
Introït tropé de Moissac — F - Pn, n.a.l. 1871, fº 4

3. Cunctipotens genitor  [8:12]   cc  111
Kyrie tropé de Moissac et du Codex Calixtinus — F - Pn, n.a.l. 1871, fº 50v et Codex Calixtinus, f° 190r

4. Per partum virginis  [5:31]
Versus aquitain  — F - Pn, ms. lat. 3719, fº 64-67

5. O lux et decus hispanie  [6:52]   cc  63
Antienne de MagnificatCodex Calixtinus, f° 112v

6. Dum esset salvator  [6:56]   cc  41   cc  103
Répons — Codex Calixtinus, f° 107v et 187v-188r

7. Stirps Jesse  [10:56]
Répons de Notre-Dame — ms. de Florence Pluteo 29.1

8. Nostra phalans  [4:02]   cc  95
Conduit — Codex Calirtinus, fº 185r

9. Benedicamus Domino  [3:05]   cc  112
Versicule — Codex Calixtinus, f° 190

10. Congaudeant catholici  [6:15]   cc  96
Conduit — Codex Calixtinus, f° 185r











ENSEMBLE MEDIEVAL VOX IN RAMA :
Claire Delavallée, Véronique Frampas, Anne-Charlotte Beligne, Sarah Pirrotte, Kazuyo Kimura,
Jan Lorenc, Sébastien Pettoello, Olivier Arnoult, Pablo Rodriguez et Frédéric Rantières.

Enregistrement réalisé en novembre 2010
à l'église Saint Corneille de Chartrettes (77) grâce au soutien et à la générosité de Christine Canoy.

La prise de son et le montage sont effectués par les soins de Virginie Burgun et Laetitia Montanari.

Traductions : Claire Delavallée et Frédéric Rantières.

Conception Graphique : Magraphic 2011 (www.magraphic.fr).
Illustrations médiévales : Véronique Frampas (www.veroniqueframpas.com)












Flores aquitanes

Le choix du titre de ce CD répond à la recherche d'une filiation dans l'immense océan du monde médiéval, filiation qui serait à la fois le ferment d'une unité historique, culturelle et artistique. Or cette approche n'est possible que si elle se fonde sur l'anthropologie même de ceux qui l'ont construite, autant dans un sens spirituel, en tant qu'étude des fondements de l'esprit qui mène à la connaissance, que pratique, en tant qu'étude de la concrétisation des savoirs par les sens.

Les 'fleurs aquitaines' repartent de la prophétie de l'arbre de Jessé, père du roi David, qui serait selon Isaïe l'origine même du vrai messie, Jésus de Nazareth pour les chrétiens. Au XIe siècle, Fulbert, évêque de la cathédrale de Chartres, composa le répons Stirps Jesse1, évoquant et commentant la prophétie d'Isaïe : La racine de Jessé a produit une tige, et la tige une fleur, et sur cette fleur l'esprit du bien se repose. La Vierge mère de Dieu est la tige, la fleur est son fils.

Cette composition fait partie d'un ensemble de trois répons que composa Fulbert, parmi Ad nutum Domini et Solem iustitiae, qui étaient chantés pour la fête de la Nativité de la Vierge Marie le 8 septembre, date qui correspond également à la dédicace de la cathédrale. Ces trois répons attestent un renouveau de la mariologie dans le culte chrétien latin au XIe siècle, qui est à voir en lien avec la réinterprétation du symbole du rameau d'Aaron. La métaphore du bâton d'Aaron qui se met à fleurir est alors reprise comme le symbole de la lignée du Christ, que les théologiens feront partir de Jessé, son huitième fils David anticipant par les psaumes sur la voix du vrai messie. L'annonce d'Isaïe qu'un sauveur s'incarnera par une vierge, confirmée par la généalogie de Matthieu et l'évangile apocryphe du Pseudo-Matthieu divulgué à partir du Vile siècle, firent de Marie celle qui donna la substance physique à la lignée du Christ, étant au sens métaphorique la branche sur laquelle il bourgeonnera puis fleurira.

Au XIIe siècle, les médiévaux dans la région du monastère de Saint Martial en Aquitaine reprendront cette vision appliquée à la théologie chrétienne dans le versiculus ‘Stirps Jesse', développant davantage sa forme allégorique2 : si Jessé est la racine de l'arbre généalogique du Christ, David en est la souche mystique, Marie est la tige qui soutient le surgeon qui est le Christ, l'esprit saint ou paraclet étant la fleur qui appartient au Père de par la prophétie. Au XIIIe siècle, les chantres de la cathédrale de Notre-Dame de Paris reprirent le texte de Fulbert pour composer un organum triplum, technique d'improvisation qui consiste à harmoniser plusieurs voix sur un plain-chant, en l'occurrence celui du répons Stirps Jesse que vous pouvez entendre dans cet enregistrement.

L'allégorie de l'esprit à la ramure n'est pas seulement valable pour la théologie, mais aussi pour l'art du chant médiéval. Si la liturgie fonde la généalogie spirituelle du Christ sur l'arbre prophétique, le chant lui se nourrit de la substance que génère la métaphore végétale : le plain-chant ou cantus planus se trouve être la métaphore de la racine du verbe, issu des Écritures saintes, la voix organale étant la voix de la jubilation du nouveau testament, qui exulte et exalte la révélation chrétienne par des formules mélodiques, petits assemblages de notes donnant une forme mélodique, qui laissent s'échapper le mélisme. Elle est la voix qui se répand au-delà des bornes des syllabes des mots selon la description d'Augustin, définition qui sera reprise au Moyen Âge pour décrire la fonction de la musique liturgique. Le renouveau des arts rhétoriques à partir du XIIe siècle engendra dans la liturgie une efflorescence de l'art vocal, notamment dans les organa, nourris de longs et subtils développements mélodiques de formules venant renforcer et dilater les élans rhétoriques du verbe.

L'esthétique médiévale du chant liturgique est également bâtie sur une recherche de l'harmonie divine qui est très présente dans les traités médiévaux de musique, largement explicitée par Augustin dans le De musica, le nombre divin étant la source selon l'auteur de l'unité interne de la musique : chaque consonance est une représentation sensible du nombre géométrique observée depuis la cosmogonie astrale, la symphonie des planètes traversant l'homme par les étendues sensibles des nombres au moyen de l'harmonie résonante que l'homme tente de recréer dans l'harmonie humaine. Alors rétabli de nouveau dans le principe du nombre qui ordonne la vie, l'homme médiéval cherchait à ordonner son corps au monde spirituel sous l'angle de la démarche du quadrivium, le quadruple chemin d'accès aux vérités intelligibles depuis le monde sensible, décrit par Boèce au VIe siècle.

C'est alors avec une immense joie, imprégnée de la jubilation que contiennent ces musiques, que l'ensemble Vox ln Rama vous propose un programme de pièces aquitaines qui témoignent de la vivacité de l'art du chant aquitain, autant dans sa virtuosité mélodico-rhétorique que dans son inventivité textuelle. Il se compose essentiellement :

• De conduits ou conductus qui accompagnaient les processions, et dont l'écriture est le plus souvent monosyllabique,
bien que parfois agrémentée de clausules ou sections mélismatiques sur un plain-chant rythmé comme dans le Nostra phalans ou le Congaudeant catholici.
• D'organa qui développaient de grands mélismes sur des tenues de plain-chant, selon des règles de congruences des voix sur des intervalles dits parfaits comme dans le Stirps Jesse de Notre-Dame mais aussi les répons du Codex Calixtinus, le livre de chant des pèlerins vers Saint-Jacques-de-Compostelle.
• De tropes qui sont des commentaires de l'ordinaire3 ou du propre4 de la liturgie chrétienne comme dans l'introït Puer natus est et le Kyrie Cuntipotens genitor du Tropaire de Moissac.
• De versus, proses rimées qui s'intercalaient entre les pièces de la messe ou des offices, composés par les moines et chantres pour agrémenter et accompagner les processions. Ils se caractérisent par le développement de longs mélismes comme dans le Jubilemus, exultemus ou le Per partum virginis, traités soit en organum soit dans le style du déchant, qui est le premier contrepoint note contre note à deux voix égales.

Nous interprétons également une œuvre du manuscrit de Florence qui reprend le thème de la racine de Jessé, afin de donner un exemple de la continuité qui s'opérait dans l'art vocal entre les diverses traditions, celle de Notre-Dame ayant de forts liens avec la région aquitaine sur un plan musical et politique.
Pour conclure cette introduction, je tiens à insister sur la richesse de la notation de ces musiques, notées en neumes dits aquitains, signes qui indiquaient les inflexions mélodiques de la voix, qui dans les versus notamment sont aujourd'hui d'un grand secours pour l'interprétation des ornements et des modes de chants médiévaux. En partant de l'étude des ces notations, il est possible de reconstituer la souplesse des ornements qui s'enlassaient autour des cordes sonores.

Fréderic RANTIÈRES

1 Vous trouverez des définitions de tous ces termes dans la rubrique 'Enregistrements' du site de l'ensemble Vox In Rama : www.voxinrarna.com.
2 Nous proposons une version en ligne de cette pièce dans la même rubrique de notre site.
3 Structure fixe de la liturgie : Kyrie, Gloria, Sanctus, Benedicamus Domino, etc.
4 Textes et chants propres aux temps liturgiques : graduel, offertoire, communion, antiennes, répons, etc.









L'ensemble Vox in Rama consacre dans cet enregistrement une belle place à deux des plus importants répertoires du chant polyphonique sacré du XIIe siècle. Pas moins de six pièces (plages nos 3 ; 5-6 ; 8-10) sont tirées du Liber Sancti Jacobi, dit aussi Codex Calixlinus, un manuscrit écrit vers le milieu du XIIe s., d'origine française, dont le premier volume contient l'office célébrant l'Apôtre Jacques le Majeur (le 25 juillet), noté en neumes du type français et agrémenté des chants polyphoniques. Ce livre est toujours conservé dans les Archives du chapitre de la Cathédrale Santiago de Compostela, en Galice. Deux autres pièces (n°1 et 4) représentent ici la polyphonie des manuscrits d'origine aquitaine, provenant du fonds ancien de l'Abbaye de Saint-Martial de Limoge et conservés aujourd'hui à la Bibliothèque nationale de France, dont les numéros du catalogue sont, respectivement, 1139 et 3719. Le premier a été écrit autour de l'an 1100 : plus précisément, sa partie où le versus Jubilemus exultemus trouve aujourd'hui son unique témoignage noté à deux voix. C'est donc l'une des sources les plus anciennes du répertoire de la polyphonie aquitaine. Le versus Per partum virginis est tiré des fascicules notés les plus tardifs de ce deuxième manuscrit, copiés quelques 3 ou 4 décennies postérieurement au premier. Ces deux manuscrits utilisent la notation neumatique aquitaine, de types pourtant bien différents l'un de l'autre : ce qui suppose la richesse et la diffusion de ce répertoire.

L'importance des ces répertoires musicaux pour l'histoire de la polyphonie vocale en Occident médiéval est primordiale. Ils inaugurent et perfectionnent en pratique le style de l'écriture contrapuntique à deux voix que l'on peut nommer un discantus orné. Sans chercher l'incroyable exubérance mélismatique qui caractérisera les grands organa dès le début du XIIle s., le discantus orné n'en est pas moins leur précurseur et un chaînon historique indispensable succédant à la polyphonie du XIe s., qui pratiquait un discantus basé sur le principe « note-contrenote » (punctum-contra-punctum), conçu et développé en théorie depuis le IXe s. En abandonnant l'exclusivité de ce principe, le discantus orné a multiplié les techniques d'écriture et a différencié les textures polyphoniques.

Souvent, elles sont exploitées au sein d'une seule et même pièce, comme dans le versus Per partum virginis (plage 4). A l'opposé du discantus syllabique du punctum-contra-punctum, toujours utilisé (cf. sa IV strophe 'Quam miranda quam laudanda...'), s'établit un discantus mélismatique, prédominant désormais (il compose la majorité des parties de cette pièce, comme des autres pièces à deux voix de cet enregistrement) et, quelque part à mi-chemin entre eux, un discantus neumatique (cf. conduit Nostra phalans, plage 8). Neumatique comme mélismatique, les discantus ornés superposent plusieurs notes de la voix supérieure (un neume ou un groupe mélismatique) à une note portant une syllabe de la voix principale. Ces principales techniques, graduées d'innombrables variations, sont souvent agrémentées de grands mélismes se déployant dans les deux voix simultanément : une texture, que l'on appellera plus tard une cauda (cf. plage 4, fin des vers sur 'federa/hetera', 'latuit/potuit' ou encore 'docuit'). Comme cette dernière, ces caudæ se clôturent quelquefois par une cadence mélismatiques de la voix supérieure, une copula.

Riches de ces techniques, il n'est pas surprenant que le langage musical et l'architectonie de la composition réalisent aussi d'étonnantes innovations. Les croisements des voix, les imitations, les structures en miroir, les proportions en nombre d'or sont des nouveaux outils autant que des moyens d'expression de cette polyphonie 'gothique' naissante. Ils véhiculent le discours musical et maintiennent la polyphonie des deux voix dans une sorte de dialogue des chanteurs, qui connaissent et pratiquent le même langage musical. La 'charpente' de cette musique est parsemée de structures typiques et récurrentes de formules, dont l'auditeur attentif s'apercevra d'un certain nombre (les cadences du versus Jubilemus, plage 1, sur 'canticum/ omnium', par exemple, comme ailleurs). Outre les mêmes règles de successions des intervalles consonants, outre les copulæ et currentes (les descentes rapides d'une partie de l'échelle modale vers la rencontre des voix) et autres moyens d'écriture plus ou moins 'génériques', ces deux répertoires - l'un aquitain et l'autre compostellan - connaissent quelques formules caractéristiques communes.

L'avènement de ces répertoires polyphoniques nous donne une magnifique leçon d'équilibre entre l'innovation et l'héritage liturgique. Conçus pour embellir la liturgie, ils y rentrent avec une grande finesse : en marge de l'action liturgique - comme les versus aquitains - ou avec un respect dû aux formes anciennes - comme le discantus compostellan à usage eucharistique -. Un 'appropriatio' - les procédés d'accroissement du corpus musical liturgique qu'observait James McKinnon au sujet du cantus - semble régir également l'avènement de la polyphonie dans le monde du chant liturgique. Le monde, malgré ce fait, restera encore pendant bien des siècles essentiellement monodique.

L'ensemble Vox in Rama interprète ces polyphonies avec une souplesse du rythme oratoire, sans conception 'mesurée' de durée des sons. Depuis les travaux des musicologues tels Jacques Handschin et Wulf Arlt, Marius Schneider et Hendrik van der Werf, Sarah Fuller, Richard Crocker et bien d'autres, ce type d'interprétation s'inscrit déjà dans une tradition. Elle est aussi perpétuée par les choix artistiques des nombreux musiciens, tels les ensembles Anonymous IV, Sequentia et, en France, Discantus et l'Ensemble Gilles Binchois, parmi d'autres.

Giedrius GAPSYS-HUTIN, musicologue





Qui sommes-nous ?

 


» Les femmes, de bas en haut: Sarah Pirrotte, Véronique Frampas, Kazuyo Kimura, Claire Delavallée, Anne-Charlotte Beligné.

» Les hommes, de gauche á droite: Jan Lorenc, Sébastien Pettoello, Olivier Arnoult, Frédéric Rantières, Pablo Rodríguez.




Constitué de chanteurs passionnés par les musiques anciennes, l'ensemble VOX IN RAMA, sous la direction de Frédéric Rantières, se consacre essentiellement á la reconstitution des premières traditions vocales de l'Occident jusqu'aux confins du Moyen Âge.
Alliant restitution musicologique et résonance spirituelle des textes sacrés et profanes, l'ensemble Vox in Rama propose de revisiter les traditions musicales anciennes á l'aune du XXIe siècle, en tant que patrimoine vivant, dont le germe et le contenu génèrent l'esprit de créativité.

Frédéric Rantières
mène conjointement une activité de chanteur, de chef de chœurs et de chercheur. Chantre titulaire de la paroisse Saint-Paul-Saint-Louis de Paris, diplômé du Conservatoire national supérieur de Paris dans la classe de Louis-Marie Vigne, enseignant á l'école du Chœur grégorien de Paris, diplômé du Mastère professionnel de pratique des musiques médiévales, il prépare á l'École pratique des hautes études une thèse sur La rhétorique du chant liturgique chrétien latin. Il a créé en septembre 2010 un cours d'initiation á la lecture des manuscrits de chant grégorien à la bibliothèque du Saulchoir. Il dirige depuis 2006 l'ensemble Vox In Rama avec lequel il interprète le chant grégorien et le répertoire médiéval á partir de restitutions qu'il effectue depuis les manuscrits.
Sites professionnels :
www.voxinrama.com, www.fredericrantieres.com


Les ingénieurs du son
• Née en 1984, Laetitia Montanari intègre le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris dans la Formation Supérieure aux Métiers du Son. Riche d'un parcours à la fois musical et scientifique, elle est actuellement
ingénieur du son et travaille notamment comme preneuse de son sur les concerts du Goethe Institut à Paris. En 2009, elle se spécialise en musique classique et direction artistique et réalise de nombreuses prises de son de musique de chambre et d'orchestre.
• Née en 1986, Virginie Burgun est ingénieure du son et directrice artistique. Après un parcours à la fois musical et scientifique, elle intègre en 2007 la Formation Supérieure aux Métiers du Son (FSMS) du Conservatoire de Paris (CNSMDP). Elle développe depuis une activité d'enregistrement, entre pour la réalisation des derniers disques de l'organiste Gérard Sablier, et du pianiste Georges Beriachvili. Elle est également sonorisatrice des groupes de folk-rock tels que Broken Letters, It ou encore Iré.