Maqâm Bagdâdî  مَـقـَـامْ بَـغـْـدَادي
La passion des Mille et une nuits et l'École de chant de Bagdad
حسين إسماعيل الأعظمي   usayn Ismâºîl al-Aºzamî   ·   فريقة الكندي   Ensemble al-Kindî





al.kindi.org
al-Sur  ALCD 151
1995

enregistrement: avril, 1994
Hôtel al-Rashîd, Bagdad

Chant solo: Husayn Ismâºîl al-Aºdzamî
Qânûn: Julien Jalaleddin Weiss
Jôza: Muhammad Husayn Gamar
Tabla baghdâdiyya: Muhammad Zakî




1. [12:19]
Maqâm Awshâr (A), modulations in Bûsehlîk maqâm (C),
Bayyât (C) and Mukhâlif (B half-flat):
of the Sîkâh family, modulating in Râst, Mansûrî and Kurdân.
Dûlâb in Saºîdî maqâm, Jurjîna,
• Takhmîs qasîda:
"Yâ dhabyatan hâma l-fu'âdu bi-hubbihâ, hal-lâ ra'ayati bi qalbyia l-majrûhi?
Al-hubbu li-l-'insâni burºumun min danä
"
(Passionately cherished Gazelle, have you looked into my broken heart?
For man, love is the seed of languor
),
poem attributed to Ibn Zurayq al-Baghdâdî, expounded by Muhammad Saºîd al-Hubbûbî;
• ancient anonymous pasta: "Lêl baºd lêl"
(Night after night)

2. [6:46]
Maqâm Bayyât or Bayyâti (G), a mode attributed to a Kurd tribe
and celebrated in the 19th c. by the falsetto Ahmad Zaydân al-Bayyâtî,
persian poems,
modulations in Sabâ (G), Husaynî Kurdân, Nawä and Muhayyar.
Dûlâb 4/4.
• Jôza taqsîm;
• Abûdhiyya:
"Jâ'a l-habîbu l-ladhî ahwâj min safarin wa-sh-shamsu qad aththarat fî khaddihi attharâ"
(My love has come back from travelling, the sun has left a mark of beauty on her cheeks),
poem attributed to al-Akhras al-Baghdâdî, sung by Khidr al-Tâ'î,
wanné (humming) by the chorus of instrumentalists;
• Ancient anonymous pasta: "Alla la-sâfer le-l-Hend wa-shûf habîb"
(Yes, I will go all the way to India to see my love);

3. [3:40]
ºAtâba in Bayyât: "Yâ bû shaºr ºalä l-djatfên"
(You whose hair floats on your shoulders);
• Pasta: "Gûm darrejnî, lâ tkhâf men ahlî we-lâ ºmâmî"
(Get up and caress me, don't worry about my family and my uncles!),
attributed to Hâjj Zâyir al-Najafî.

4. [12:18]
Maqâm Awj (apogy) in B half-flat, modulations in maqâm Bayyât (D),
Mukhâlif (B half-flat) and Mustaºâr (idem);
this mode is the 5th in the suite in Husaynî
and traditionally modulates in the Sîkâh family to which it belongs.
Dûlâb 4/4
• brief taqsîm by the jôza and the qânûn
• Qasîda: "Lâ talûmî taºallulî wa (i)shtiyâqî, ina qalbî asîru yawma t-talâqî"
(Do not reproach my passion, nor my ardour, my heart is a hostage of the day we met)
poem attributed to Khidr al-Tâ'î
• Hûzâm pasta maqâm: "Mâ hann ºalayyâ we-lâ gâl khatiyya"
(He did not have mercy on me and did not say a sin)
Jûrjîna 10/16, poem and music attributed to Muhammad al-Qubbânjî

5. [13:55]
Maqâm Râst Penjgâh, modulations in Râst (F) maqâm:
modulating in Râshidî and Penjgâh.
• Taqsîm qânûn.
Dûlâb, Nusf wahda, 4/4
• Qasîda: "Matä naltaqî mithla dhâka l-liqâ? Ayna? Qûlî bi-haqqi s-samâ"
(When will we meet again? Where? Tell me, in the name of Heaven),
poem attributed to al-Akhras al-Baghdâdî,
• Pasta: "Qaddem lî burhânak"
(Show me proof of your love),
Sankîn Samâºi 10/16,
music and words attributed to Muhammad al-Qubbânji

6. [9:34]
Maqâm Hijâz Humâyûn, modulation in Hijâz maqâm (C):
modulation in Husaynî, reaching the Sahm scale and coloring in Muhayyar.
Dûlâb 3/4
• Qasîda: "Tawazzaºanî hammu man ahbabtu wa-mâ innahum fi-l-qalbi sakanu t-tayri"
(Love has torn me and my loved ones are not the guardian angels of my heart),
poem attributed to Maºrûf al-Rusâfî.
• Ancient anonymous pasta, Jûrjîna: "E-yom eloh yômên mâ marr ºalayya"
(Today, it will be two days that he has not come to see me)

7. [8:32]
Sabâ maqâm (D):
mode of the east wind and the blossoming of dissapointed passions;
the rare Rakb scale is used (G half-flat) and modulated in  Hijâz, Rast and Dûkâh.
This mode is nostalgic and melancholic and invariably talks
of the tragedy of unreciprocal or faded love.
Dûlâb 4/4
• taqsîm qânûn. classic verses
• Abûdhiyya: "Wa-mâdhâ bi-Laylä qad hadâ wa taghayyarat"
(What mourning is affecting Laylä and has changed her so?)
a poem atributed to the passion cycle of the legendary Majnûn Layla;
• Anonymous ancient pasta "Yummâ hnâ yummâ"
(Mama, over here, Mama)






HUSAYN AL-A°ZAMI ET L'ENSEMBLE AL-KINDI
La passion des Mille et une nuits et l'école de musique de Bagdad


L'école de musique de Bagdad est l'héritière d'une tradition arabe complexe, où se mêlent les influences sémitiques, turques, persanes, kurdes et même indiennes. Elle met en œuvre des modes formulaires savants, définis par un ensemble d'éléments indissociables, que l'on retrouve partiellement dans les écoles syro-égyptiennes et ottomanes. Une coloration particulière entoure de son halo chaque mode, chaque soupir: elle renvoie à la synesthésie, à la magie et à la foi, dans un contexte charismatique et apocalyptique. L'harmonie ainsi obtenue est appelée insijam et ne peut être atteinte qu'en état d'enstase mystique. L'effet obtenu sur les auditeurs est celui du tarab, émoi musical qui transporte l'âme et crée l'extase et l'exaltation.

Nommée par ses exécutants al-maqâm al-ºirâqî (composition modale d'Irak), cette forme est aussi pratiquée à Mossoul et à Kirkouk, au cours de fêtes et de concerts privés. Modes et rythmes n'ont pas toujours les mêmes appellations. Séparant peu le profane du sacré, elle se rencontre avec des variantes dans la plupart des musiques religieuses de Mésopotamie (musulmanes, juives, chrétiennes, gnostiques, évangélistes, schismatiques ou hérétiques). Le répertoire est souvent transposé en lexique mystique pour des besoins ésotériques. Toutes les communautés du pays participent de la même esthétique: arabes, kurdes, turkmènes, sunnites, chiites, faïlis, arméniens, mandéens ou sabéens, jacobites ou syriaques, assyriens, chaldéens, iraniens, circassiens, tchétchènes, géorgiens, zoroastriens, tziganes, zanzibariens, afghans, baloutches, indiens, adorateurs de Satan ou yézidis, citadins et bédouins. En Syrie et en Égypte, ce style est appelé lawn ºiraqî (couleur irakienne) ou sebºâwî baghdâdî (septain de Bagdad): de grands interprètes l'ont illustré, comme Ahmad al-Faqsh, Muhammad Abû Selmô, Najib Zayn al-Din et Adib al-Dâyikh.

Les instruments, les timbres de voix, la technique et la terminologie ne sont pas traditionnellement unifiés: le mode se nomme, par exemple, tawr (cycle) dans la musique populaire. On comptabilise près de soixante-dix modes ou compositions modales et une cinquantaine de pièces mélodiques. Le terme même de maqam (mode) est très ancien: il provient de la racine trilitère arabe qwm, profondément multivoque et coraniquement attestée (se lever, se dresser et se tenir debout, s'arrêter, se tenir immobile, triompher, ressusciter, revenir a la vie, résister, rectifier, accomplir, exécuter, avec ou sans prépositions spécifiques). On retrouve cette racine en sémitique ancien et en hamito-sémitique (égyptien pharaonique, sudarabique, hébreu, amharique, guèze, akkadien, phénicien et autres). La racine génère de nombreux verbes et substantifs: istaqâma (être en bon état ou enceinte en dialectal), qawm (demeure, séjour, tribu, peuplade, d'on le dialectal maghrébin goum et le français militaire goumier), qawma (station, pause entre deux prières, révolution, trouble, érection du membre viril), qâma ou qawân (taille, stature), al-qiyam (le culte constant de Dieu), qiyâma (résurrection), qayyûm (un des quatre-vingt dix neuf attributs traditionnels de Dieu: éternel, qui existe par lui-même), al-qayyima (la vraie religion), qîma (prix, valeur d'une chose), iqâmat al-salât (l'accomplissement de la prière), taqwîm (redressement, rectification), qâ'im maqâm (lieutenant), qâ'im al-zâwiya (rectangle), qâ'im al-sayf (poignée du sabre) etc... L'idée de base de cette racine est celle d'un arrêt, d'une érection sur un lieu, d'une station dressée. Le schème du mot est celui d'un nom de lieu de la première forme verbale simple: maqâm, muqâm ou muqâma (pluriel en maqâmât ou muqâmât et vingt occurrences coraniques, plutôt médinoises). D'abord employé pour signifier le séjour, son lieu et son temps, la place, la dignité et le rang, puis l'emplacement sacré ou prophétique (maqâm d'Ibrâhîm à la Ka°ba de la Mecque), il est transposé en vocabulaire littéraire pour désigner un genre littéraire érudit (maqâma, réunion, assemblée, séance), joute rhétorique de salons littéraires on il s'agit de défendre et d'illustrer la langue arabe en démontrant une science subtile des mots et de la syntaxe, lancée à la recherche du curieux, du rare, du bizarre, de l'étonnant, de l'archaïque, de l'inattendu et même de l'abscons. Al-Harîrî et al-Hamadhânî s'illustrèrent dans ce genre au Moyen-Âge, suivis par de nombreux auteurs, dont Shuºayb Ibrâhîm Khalîl, maître bagdadien de la jôza, qui publia un premier volume de maqâmât en 1961, sous forme littéraire, avant de se consacrer l'aspect musical dans un manuel d'apprentissage des modes en 1979. Le terme de maqâm est employé par les mystiques pour désigner les phases de l'initiation des confréries (dhikr jalî et khafî, inkhitâf, hâl et autres).

Le maqâm passe dans le vocabulaire musical, sans doute vers le XIIIe siècle apJC, grâce au théoricien syrien Shams al-Din al-Saydâwî al-Dhahabî (Kanz altarab wa-ghâyat al-ºarab fi madh sayyid al-ºajam wa-l-ºarab) pour renvoyer à la position des doigts sur une corde, puis aux mélodies et aux modes qui en sont engendrés. Le long poème qu'il rédigea utilise un curieux système de notation sur portée, sans doute inspiré par la présence des Croisés. Son poème fut recueilli par de nombreux anthologues, dont Shihâb al-Din Muhammad al-Hijâzî au XIXe siècle apJC (Safinat al-mulk wa-nafisat al-fulk, l'Arche de souveraineté et le joyau des cieux). A l'heure actuelle, il est surtout employé dans les pays arabes et turcophones: presque synonyme de naghma (racine nghm, nasalisation et mélodie), il est considéré comme plus théorique. Les termes anciens d'isba° (doigt), de shadd (transposition), de sawt (voix) ou de tab° (caractère) sont surannés et passés d'usage, bien que l'Arabie du nord et de l'est conserve le mot sawt, alors que le Maghreb défend le tab°. Divers moyens sont employés pour générer les modes: relier deux modes ou plus grâce à leurs notes communes: jonction de modes (idâfat al-anghâm: le maqâm Jammâl est composé de Sabâ et de Sehgâh), divergence de la composition des modes (ikhtilâf fi tarkîb al-maqâmat: l'Ibrâhîmî, le Bherzâwi et le Jabbûrî sont composés à partir du Bayyât, mais en diffèrent par leurs composantes et leurs introductions), ajout de modes (ziyâdat nagham °alä nagham: le maqâm Hadîdî est un composé de Sabâ et de Bayyât où prédomine le Sabâ, alors que c'est l'inverse pour le Mansûrî), différence d'interprétation (ikhtilâf bi-l-qusr aw al-madd, longueur variable des maqâmât: rapidité pour le Gulgulî, lenteur pour le Mukhâlif; le Hlélâwî et le Bâjilân ont tout en commun, sauf la brièveté du premier et sa conclusion). Ces procédés sont très anciens et connus sous le nom de tarkîb (composition) dans l'école abbasside.

Cette école est aussi fortement imprégnée d'un style a la fois archaïque et raffiné, peut-être très proche des pratiques des siècles d'or omeyyades et abbassides. Ces tentatives se sont constamment heurtées aux ténèbres de notre ignorance et aux vicissitudes des événements historiques de la Mésopotamie. Deben Bhattacharya et Simon Jargy furent les premiers à enquêter sur ce sujet.

Nous en sommes souvent réduits a assembler nostalgiquement des bribes d'un très vieux discours, fondateur d'une esthétique encore puissamment attractive.

L'histoire musicale du maqâm ºirâqî et la généalogie de ses interprètes ont été amplement fouillées au XXe siècle par des érudits hagiographes, malgré les vicissitudes politiques et les ténèbres dans lesquelles sont encore plongés bien des pans de ce patrimoine.

On retiendra les noms d'al-Musallam ou al-Muslim al-Mawsilî, de l'azéri Kâdhim Uz, du muftî Jalâl al-Din al-Hanafî, du docteur Muhammad Siddîq al-Jalîlî, du Hâjj Hâshim Muhammad al-Rajab, des érudits °Abbâs al-°Azzâwî, °Abd al-Hamîd al-°Alwâdjî, °Abd al-Wahhâb Bilâl, °Abd al-Karîm al-Allâf, Hammûdî al-Wardî, du Révérend Père Anastase-Marie de Saint-Elie le Carmélite, du chantre Alortabet Narsès Sayeghian, du professeur Yûsif Yaºqûb Maskûni, des chercheurs Thâmir al-°Âmirî, °Âmir Rashîd al-Samarrâ'î, Habîb Zâhir al-°Abbâs, Yehoshouah Qûjamân et Amnon Shiloah.

Les premiers enregistrements de cette école remontent aux dernières années du XIXe siècle (cylindres du Mulla °Uthmân al-Mawsilî, d'Ahmad Zaydân et de Mahmûd al-Khayyât). Les compagnies Baidaphon (Baydâ Abna' °Amm), Gramophone, Odéon, Polyphon, Homocord et Sudwä suivirent le mouvement entre 1908 et 1939, avant d'être relayées par des sociétés irakiennes de production (al-Hakkâk et Tshaqmâqtshîphon): le plus ancien document connu est l'enregistrement du maqâm Rast par Shâ'ûl Sâlih Gabbây en 1909 chez Gramophone, sur le catalogue persan, avec l'ensemble de Hûgî Pataw. Les plus importants documents furent préservés par Baidaphon qui invita en 1928 dans ses studi de Berlin des groupes de musiciens venus de nombreuses régions arabes. La première rencontre inter-arabe d'envergure eut ainsi lieu. L'ensemble bagdadien de °Azzûrî Hârûn al-°Awwâd (le luthiste, violoniste et qânûniste Ezra Aharon, 1900, émigré en Palestine en 1934, a l'instigation des professeurs Robert Lachmann et Yehouda Magnès) eut l'occasion d'accompagner la pétulante chanteuse tunisienne Marguerite dite Hbîba Msîka. Ces précieux documents existent dans plusieurs collections publiques ou privées. Le professeur Amnon Shiloah nous a raconté comment Ezra Aharon sortit du coma profond dans lequel le grand âge l'avait plongé, à l'écoute des documents du Congrès du Caire en 1932.

Définir sans amoindrir reviendrait a noter des échelles musicales (sullam-s) aux degrés (darajat) d'importance inégale; un processus réglé (sayr) du cheminement mélodique et des ornements spécifiques (zakhârif). Des familles de modes sont composées et transposées à partir d'un mode simple (maqâm). D'autres caractéristiques la singularisent: vocalises initiales (tahrîr-s ou badwa-s) pour poser le mode et la voix du chanteur, formules mélodiques modales fixées en des pièces appelées qitºa (pièce), wasla (liaison) ou gufte (farce en persan); montée accentuée et convenue vers l'aigu (mayyâna) ou le grave (qarâr), cris (sayha-s) reprenant le mode initial, vocalises finales (taslîm-s), syllabes modulantes (alfâz) introduisant les modulations et les transpositions, rythme intimement lié au mode, quand celui-ci est traditionnellement accompagné d'une pulsation. Tous les modes ne sont pas caractérisés par ce cheminement mélodique stéréotypé et certains n'en contiennent que quelques phases, malgré les efforts d'uniformisation académique. Des versions instrumentales brèves des modes existent et la tradition rapporte que ce sont les deux frères Dâwûd (1910-1976) et Sâlih °Ezra al-Kuwaytî (1908-1990) qui initièrent dans les années 1930 les versions complètes à Radio Bagdad.

Retrouvant la musicalité du langage du Paradis, celles-ci sont prononcées en arabe classique ou dialectal, en persan, turc osmanli, turkmène, kurde et hébreu. Certaines sont sans signification, comme dans la musique savante indienne ou médiévale occidentale (tarâna ou machicotage de l'ancienne maîtrise de Notre Dame de Paris). Certains modes ont une version écourtée et sont utilisés en tant que pièces mélodiques. La langue, arabe ou autre, des poèmes interprétés est strictement définie, mais les grands maîtres s'en gaussent.

Les modes et les modulations originales (maqam-s ou naghma-s, en plusieurs versions) sont organisés en compositions modales semi-improvisées, profanes ou mystiques. Ces compositions se succèdent au cours de suites vocales (fasl-s, dastgâh-s en persan) selon un ordre (nizâm ou radîf en persan) établi par de grands maîtres (muºallim-s, ustä-s ou ustâdh-s) aux titulatures musicales complexes. Des créations ou des inclusions de modes inconnus ou peu usités sont effectuées. Des préludes (bashraf-s ou muqaddima-s), des intermèdes (samâºî-s) constituent les parties instrumentales. Les ritournelles (dûlâb-s) peuvent être interprétées au début des suites ou au cours du chant pour rappeler le mode initial après les modulations. Seuls le rythme et la durée les différencient.

L'ensemble traditionnel (Tshâlghî Baghdâdî, groupe instrumental en osmanli) comprend un santûr (cithare à cordes frappées) ou un qânûn (cithare à cordes pincées), une jôza ou djôzé (rebec ou vièle à pique), un tambour sur poterie (tabla) ou des timbales (naqarât) et un tambourin à cymbalettes (duff zinjârî). Sous l'influence de Muhammad al-Qubbânjî et d'autres grands interprètes, le qânûn fut privilégié à partir des années 1920, de même que le luth. Le son cristallin du qânûn est considéré comme plus précis que celui du santûr, car il ne développe pas d'écho. Le luth renforce les graves et fut longtemps l'apanage du luthier chrétien Hannâ al°Awwâd. Les nagarât furent abandonnées, puis réintroduites grâce à Munir Bashîr.

Les autres éléments constitutifs de cette musique sont une inflexion généralement tragique (nadb) de l'interprétation vocale, des timbres de voix (tabaqât) avec persistance de la tradition des falsettistes acidulés (sawt al-zîr ou ghunnat al-mukhannasîn), un picorement (buhha), des sanglots sévèrement codifiés (ta'awwuh), des intervalles (abºâd), un vocabulaire technique (kalimât), des rythmes (durûb, awzân ou îqâºât, en plusieurs versions), des instruments propres, une lutherie particulière, un répertoire poétique en arabe classique, médian ou dialectal, distinct du légendaire héritage arabo-andalou. Une diététique rigoureuse, une musicothérapie admise et recherchée et une chironomie particulièrement expressive sont aussi attestées. Les chants étaient souvent interprétés en duo, à tour de rôle (tanâwub), afin de varier les timbres et les tessitures, tout en reposant les chanteurs. Cette caractéristique a été relevée depuis l'époque anté-islamique et le Livre des Chansons parle déjà du sublime chant des Deux Sauterelles (al-Jarâdatân). Un récitant utilisait la basse grave (sawt al-bam) pendant que l'autre pratiquait la basse aigüe (sawt al-zîr). La musique savante du Maghreb emploie ce procédé, par ailleurs répandu dans les musiques populaire et sacrée dans tous les pays arabes.


Modes irakiens de Bagdad regroupés par suites, selon le Hâjj Hâshim Muhammad al-Rajab (al-Maqâm al-ºIrâqî, Bagdad, 1961 et 1983) et le mufti Jalâl al-Dîn al-Hanafî (Revue al-Fath, 1939):

C: Arabe classique; D: arabe dialectal archaïsant de Bagdad, de Haute ou Basse Mésopotamie; P: persan; T: turc osmanli; Tm: turkmène,K: kurde.

Râst (C): Râst Hindî (C), Râst Turkî (C ou T), Mansûrî (C), Hijâz Shaytanî (C), Jabbûrî (D) et Khânâbât (C ou P) souvent avec le Sharqî Isfahân;

Bayyât ou Bayyâti (C, P ou T): Nârî (D), Tâhir ou Bâbâ Tâhir (C), Mahmûdî (D), Sîkâh (C), Mukhâlif (D) et Hlélawî (D) avec quelquefois le Bâjilân;

Hijaz ou Hijaz Diwan (C): Qûriyyât (C ou Tm), °Uraybûn ou °Arîbûn °Ajam (P ou C), °Uraybûn °Arab (D), Ibrâhîmî (D) et Hadîdî (D);

Nawä (C): Maskîn (D), °Ajam °Ushayrân (C), Penjgâh (C) et Râshidî (D) ou Qaryat Bâsh;

Husaynî (C): Dasht al-°Ajam (C ou P), Ûrfâ (D), Arwâh ou Râhat al-Arwâh (C), Awj (C), Hakîmî (D), Sabâ (C) et Tshahâr Gâh (C), avec quelquefois le Bayyât al-°Ajam et le °Alî Zubâr.

Modes traditionnellement non-inclus dans les suites: Jammâl (C), Humâyan (C), Nawrûz °Ajam (C ou P), Bashîrî ou Nîm Bashîrî (C), Dashtî ou Dasht al-°Arab (C), Huwayzâwî (C), Hijâz Âdjagh (C ou T), Bayyât al-°Ajam (C ou P), Mathnawî (C ou P), Saºîdî ou Saºîdî Mubarqa° (C), Khalwatî (C), Awshâr (C ou P), Tiflîs (T), Nahâwand (D), Bherzâwî (D), Muqâbil (D), Sharqî Isfahân ou Sharqî Râst (D), Râst Penjgâh (D ou C), Sharqî Dûkâh (D), Hijâz Kâr Kurdî ou Ibtikâr (D), Hijâz Kâr (D), Bâjilân (D), Qatar (D ou K), Gulgulî (D), Lâmî (D ou C), Qazzâzî ou Qazzâz (D ou C) et Madmî (D). D'autres sont rarement exécutés comme le Hayrân, le Shushtârî, l'Akbârî ou °Akbarî, le Zirafkand, le Najdî Sehgâh, le Râhat Shadhâ, le Nâhuft al-°Arab, le Zamzamî, le Ramal, le °Ushshâq, le Salmak, le Abtl °Atâ', le Qajar, le Mâwarâ'a-n-nahr, le Rûhé °Irâq et le Mâ'ranâ', presque disparu. Le Lâmî a connu une grande notoriété, du fait d'un enregistrement de Muhammad al-Qubbânjî chez Baidaphon fin 1928, mais °Abbûd al-Karbalâ'î l'avait déjà enregistré chez Gramophone la même année.

Pièces modales fondées sur des formules mélodiques:

B: Bayyât; H: Hijâz; M: Mansûrî ; R: Rast ; S: Sîkâh et T: Tshahârgâh.

Lâwûk (T), Zanbûrî (B), Sîkâh Balâbân (S), Mukhâlif Kirkûk (S), Sîkâh Ajam (S), °Udhdhâl (S), Seh Reng (S), Mustaºâr (S), Âdhirbayjân (S), Sîkâh Halab (S), Mâhûrî (T), °Alî Zubâr ou °Arazbâr (T), °Abbûsh (B), Bayyât al-Aghawân (B), Qariyah Bâsh ou Qaryat Bâsh (B), °Umar Galah (B), Bakhtiyâr (S), Nihuft ou Nahuft (T), Nahuft al-°Arab, °Ushayshî ou °Ashîshî (H), Qâtûlî (S), Hijâz Dunâdî (H), Hijâz Gharîb (M), Âydîn (T), Shâhnâz (H), Bûaseh Lîk (B), Hijâz Madânî (H), Jassâs ou Jasâs (S), Sufyân (S), Sîsânî (R), Qazzâz (B), Khalîlî (B), Zunjurân (R), Kûyânî (B), Muthaqqal (B), Khâbûrî (B), Rukbânî (B), °Irâq (H), Bayyât Shûri (B), Salmak (B), Sunbula (S), Zangana (S), Bahrânî (R), Janâzi (R), Dawarân (B), Mawºa (B), Muqatta° (B), Muthallath (B), Jalsa (R ou B) et Yatîmî (B).

Il y a controverse sur l'appartenance modale de certaines pièces. Certains interprètes (°Abd al-Latîf f b. Shaykh al-Layl, 1819-1899) se sont illustrés par l'introduction de certaines modulations (Gapangi) dans des modes (Hakîmî) qui en étaient dépourvus. Rashîd al-Qundarjî récitait le maqâm Ibrâhîmî en vingt quatre modulations. D'autres ont déployé des modulations en modes (Qazzâz, attribution controversée). Une trop longue prolongation de note peut changer l'atmosphère d'une pièce modale et être a l'origine d'une nouvelle modulation ou même d'un nouveau mode. Les puristes en firent le reproche aux grands maîtres, frénétiquement suivis par leurs disciples et le public. Certains modes ont la même dénomination en Iran, mais recouvrent des modes ou des formules mélodiques différents: Tshahâr Gâh, Seh Gâh, Zangûleh, Mûyeh, Zâbol, Basta Negâr, Hisâr, Mukhâlif, Maqlûb, Hazîn, Hadî, Rajaz, Mansûrî, Râst penjgâh, Rûh Afzâ, Penjgâh, Sipahr, °Ushshâq, Nawrûz, Bayyât °Ajam, Mubarqa°, Tarz, Leylî ve-Medjnûn, Râwandî, Nawrûz °Arab, Nawrûz Sabâ, Nawrûz Khâra, Mâwara'u n-nahr, Nafîr, Freng, Shûr, Salmak, Majlis Efrûz, Bozorg, Safâ, Awj, Kutshek, Dashtî, Hijâz, Qajar, Rahâb, Abû °Ata, Humâyûn, Mawâliyân, Bîdâd, Shûshtarî, Mu'âlif, Bakhtiyârî, °Udhdhâl, Mâhûr, Dâd, Dilkash, Tarab Angîz, Nîishâbûrak, Faylî, Mâhûr Saghîr, Zîrafkand, Âdhirbayjân, Hisâr, °Irâq, Nahîb, Muhayyar, Âshûrawând, Isfahânek, Bayyât Tork, Mahrabânî, Rûh al-Arwâh, Qatar etc...

Rythmes usités de nos jours: Jûrjîna 10/16 en deux versions, Wahda 4/4, Wahda Tawîla, Bamb ou Sawt 4/4, Wahda Maqsûma 2/4, Yugrug °Irâqî 18/8, Ay Nawâsî 36/4, Samah 36/4, Samâh Dârij ou Valse 2/4 et Sangîn Samâº'î 6/4. Des dénominations plus anciennes furent exposées au Congrès du Caire en 1932 par les deux maîtres percussionnistes invités (Samâh 38/8, Ay Nawâsî 18/8, Yugrug 6/4, °Ulaylâwî 10/8, Hatshtsha 6/8, Muthallath 8/8, Sharqî 4/4 et Shuºpâniyya 5/8).

Syllabes modulantes: Il en existe un très grand nombre, sans signification sinon une plainte (Ôwéh, Âh, Ôf), en arabe dialectal (Yâ bah, Ô mon père, Dºâwid ºaleyna bi-l-khêr, ehnâ we-s-sâmeºîn, Bénis-nous, nous et nos auditeurs), en classique (Allâh yâ dâyim, Dieu, ô éternel), en persan (Yâr, Amour, Yâ qashangî yâ ºazîzem az shomâ kheylî shenîdem meslé tôman, O beauté, ô cher amour, j'ai longuement entendu parler de toi, sans réussir à te voir), en osmanli (Eki kuzum, Tu m'es aussi précieuse que les yeux, ou le poème Agaler, Begler, Pashler, Seigneurs, maîtres et suzerains) et en hébreu (Alléluia). On raconte qu'un voyageur britannique du XVIIIe siècle assista à un concert du maqâm et crut sincèrement que le chanteur exhalait un cri de douleur: il lui tendit alors des médicaments. Certains vers constituent même des résurgences de poèmes anciens, complets ou incomplets. Les autres langues sont sujettes à contestation. Les grands maîtres en disposent toutefois à. leur guise.



De nombreux poèmes sont extraits du Livre des Chansons d'Abû al-Farâj al-Isfahânî, de psaumes traduits en araméen (souvent issus d'évangiles apocryphes) et d'anthologies recueillies par des rabbins liés a la Kabbale (Ray Israël Najjâra). Les ombres mélancoliques de Majnûn Laylä, d'Abû Nuwâs, d'al-Mutannabbî, d'Abû al°Atâhiya, d'Ibn al-Fârid, d'Ibn Hânî et d'Abû al-Fath Ibn al-Nahhâs hantent obsessionnellement la mémoire de nombreux poètes du Tigre. Les poèmes persans autrefois récités étaient signés par Rudâki, °Attar, Saºdî, Hâfiz et °Umar Khayyâm ou extraits du Shah Nâmeh (le Livre des Rois). Les poèmes turcs et kurdes sont plutôt anonymes ou tirés des épopées de Shîrîn. L'imagerie de ces textes est constamment à la recherche d'un élan souvent érotique a la fois techtonique et marin, en lointain souvenir des Sumériens, du dieu poisson Ohannès, des conceptions bédouines de l'amour et de Sindbâd le marin en quête de l'introuvable perle des îles perdues. L'amour courtois est illustré par les qasîda-s classiques, monorimes et monomètres de poètes majeurs ou mineurs, alors que les pasta-s dialectales, strophiques et légères contiennent des paroles un peu lestes. Certains auteurs ont développé des œuvres exquises, chantées dans les salons littéraires (majâlis adabiyya), les gymnases (zûr khana-s), les cafés (qahwat khâna-s), les salons de thé (shay khâna-s) et les tavernes (khammâra-s), tels °Abd al-Ghaffâr al-Akhras al-Baghdadî (le Bègue de Bagdad, 1806-1873), le Sayyid Muhammad Saºîd al-Hubûbî (1849-1915), Fulayh et Jaºfar al-Hillî (1860-1898), Kâzim al-Azdî, °Abbûd al-Karkhî, Râdîi al-Qazwînî (mort en 1868), °Abdallah al-Faraj al-Kuwaytî, al-Hâjj Zâyir al-Najafî, al-Mullâ Tshâdir al-Zuhayrî et Khidr al-Tâ'î (XIXe siècle). Les poètes néo-classiques du XXe siècle sont représentés par le libanais émigré Iliyyâ Abû Mâdî, les irakiens °Abd al-Rahman al-Bannâ', Maºrûf al-Rusâfî (1875- 1945), Jamîl al-Zahâwî (1863-1936), Muhammad Mahdî al-Jawâhirî (1902), poètes de l'indépendance et bien d'autres.

Le takhmîs est un quintain néo-classique de trois hémistiches composés à partir d'un vers ancien et célèbre inclus au milieu et à la fin du quintain, avec une distribution courante en abaab. Les vers sont récités avec les allongements de voyelles longues pour permettre les modulations ou les transpositions. Les alfâz s'intercalent à l'intérieur des vers ou à la fin des hémistiches. Des poèmes sont enfin enchâssés dans d'autres pour les nécessités modales ou rythmiques.

La célèbre chanson "Fôg en-nakhel" (Au-dessus des palmiers) ne serait rien d'autre que la version profane de l'hymne sacré "Fawqa l-ºarsh" (Au-dessus du trône), attribué à Mullâ °Uthmân al-Mawsilî. Les hymnes hébraïques de Babylone recueillis par le cantor Avraham Zvi Idelsohn (1882-1938) et le professeur Amnon Shiloah au XXe siècle sont, comme dans les autres pays arabes, souvent composés à partir de mélodies profanes et vice-versa. Ils sont toujours récités dans les synagogues de rite babylonien en Israël et ailleurs.

Les psalmodies chrétiennes de Mésopotamie et de l'Adiabène ont les mêmes caractéristiques et développent en particulier le style Ûrfâwî, issu des mélodies araméennes antiques de Palestine. Enfin, des quatrains (Abûdhiyyât et °Atâbât, sous deux formes Furgâniyyât, de séparation ou Hawâwiyyât, d'union) ou des septains (Mawâwîl Sabºâwiyya) sont rédigés en dialecte plutôt archaïsant et chargés de sens ésotériques.

D'autres formes sont attestées, telles la Muslâwiyya, la Khâbûriyya, le Rukbâni, le Murabba°, le Nâyil (Jabbûr, °Anza, °Ubayda, Huwayja, Bûfahd, Hadarî), le Suwayhilî, la Bûrdâna, le Bûzelof, la Mijâna, le Hidâ', le Gasîd, le Gasîd al-Bâdiya dans ses deux versions Shammar ou °Anza, le Gasîd Ghazya, le Banî Hilâl, le Bani Sakhr, la Hawsa, le Mashûb, le Hjaynî, le Sâmirî, le Tshôbî, le Mangar, le Maymar, la Tajliba, la Hallâba, le Shûmalî, la Bakra, la Halliya, la Hêwa, la Hatshtsha, le Khûrshidi, le Qatâr, le Allâh Waysî, la Tajliya, le Abû al-Âhât, le Abû l-Muºanna, le Drâmî, le Jâtânâkâ, le Ghajarî, la Hôra, le Shîkhânîi, le Hayrân et tant d'autres, mais elles sont surtout interprétées lors de fêtes et de concerts populaires.

Les modes (atwâr) sont en °Ayyâsh, Sabî, Methaggal, Hayyâwî Asîl, Hayyâwî, °Unaysî, Ghâfilî, Tuwayrjâwî, Muhammadâwî, Jâdirî, Mashmûm, Majari, Majrâwîi, °Alawî, Shatrâwî, Mullâ'î Furâtî, Mullâ'î Baghdâdî, Zanbûrîi, Lâmî, Salmak et tant d'autres.

Husayn al-A°zamî appartient, quant à lui, à l'école moderne de Muhammad al-Qubbânjî (1901-1989), illustrée par Nâzim al-Ghazâlî (1920-1963), trop tôt disparu et Yûsuf °Umar (1918-1986), inoubliable chantre de la tradition, qui perpétuèrent tous deux la tradition du bédouin Abû Humayyid (1817-1881), du Mullâ Hasan al-Bâbûdjatshî (1774-1841), chef de file de l'école de Bagdad à son époque, du turkmène Rahmat Allâh Shiltâgh (1798-1872), de Khalil Rabbâz (1826-1905), aux voix remarquables de falsettistes, des hazzân-s Isrâ'il b. al-Muºallim Sâsûn (1842- 1891), Rûbîn Rajwân (1851-1927) et Salmân Moshé (1880-1955), du chantre chrétien Antûn dit Âltûn Dâyî (1861-1936), de l'ustä Mahmûd al-Khayyât (1872- 1926), chef de la guilde des couturiers, de Qaddûri al-°Aysha (1813-1896), célèbre pour son grand art, de Rahmîn Niftâr (1833-1928), du Hâfiz Mahdî al-Shahrabânîi (1894-1959), grand-maître des récitants hanafites du Coran à la Grande-Mosquée du Sayyid °Abd al-Qâdir al-Gîlânî (al-Bâz al-Ashhab), de l'hymnode chiite Hâjj Yûsuf al-Karbalâ'î (1897-1951), du Mullâ °Uthmân al-Mawsilî (1854-1923), aveugle prodige et compositeur de talent protégé du grand-maître rifâºî Muhammad Abû al-Hudä al-Sayyâdî et du sultan °Abdül-Hamîd II, de son disciple al-Sayyid Ahmad °Abd al-Qadir al-Mawsilî (1877-1941), descendant du Prophète, du héraut de la tradition falsettiste Rashîd al-Qundarjî (1886-1945), du chantre juif Yûsuf Hûraysh (1889-1975), petit-fils du rabbin autrichien Elîº'azâr b. Sâlih Khalîf, en résidence à Basra, de l'érudit al-Hâjj Jamîl al-Baghdâdî (1877-1953), spécialiste de l'orthoépie (qirâa'a) bagdadienne, du colombophile Najm al-Dîn al-Shaykhlî (1893-1938), choisi pour réciter les Glorifications de Dieu sur les plus hauts minarets (al-tamjîd ºalä ºalä l-manâ'ir), malgré sa grande beauté et sa popularité auprès des femmes voilées des harems, de l'hymnode °Abd al-Sattâr al-Tayyâr (1923), du Hâjj °Abbâs Qanbîr al-Shaykhlî l'afghan (1883-1971), célèbre pour la puissance magique de son souffle, de Hasan Khéwké (1912-1962), protégé du roi Ghâzî, d'Ahmad Mûsä (1905-1968), dont la voix grave se mouvait comme des vagues, de Salîm Shîbbeth (1908), de Hasqîl Qassâb, Fulfil Kurjî et de Yaºqûb Murâd al-ºImârî, réfugiés en Israël.

Peu de femmes ont illustré cette école vocale, mais quand elles s'y sont consacrées, elles ont excellé avec leur brio et leur raffinement coutumiers. On se rappellera nostalgiquement les voix des juives Amîna al-°Irâqiyya et Salîma Murâd (dite Salîma Pacha, 1900-1972), de l'hymnode Sadîqa al-Mullâya (Sadîqa Sâlih Mûsä, 1900-1970), de la voix déchirante de Munîra °Abd al-Rahmân al-Hawazwaz (1895-1955), de la chrétienne alépine Zakiyya Georges (1900-1961), des musulmanes Badriyya Umm Anwar et Jalîla Umm Sâmî, de Zuhûr Husayn, morte tragiquement, d'al-Sitt al-Mutahajjiba et de Khânum X, qui ne voulurent jamais dévoiler leurs identités, de la Hâjja Sultâna Yûsif, juive de Mossoul convertie l'Islâm, de Bahiyya Kashkûl, morte folle, Rûtî al-Mandalâwiyya et sa soeur Bahiyya (période d'activité: 1920-1940). Leur ancien amant, °Abd al-Karîm al-°Allâf leur a consacré un attachant ouvrage (Qiyân Baghdâd, les Musiciennes savantes de Bagdad), reprenant en partie les remarques de Jamel Eddine Bencheikh sur les esclaves musiciennes (Arabica, 1964).

Généralement issus des confessions minoritaires, les instrumentistes se sont illustrés par une technique très particulière. La tradition enregistrée sur ce disque est celle des ustä-s (maîtres) Muhammad Sâlih al-Santûrî (XIXe siècle), Hugî b. Sâlih b. Rahmîn Pataw ou Peto (1848-1933), son fils Yûsif b. Hûgî Pataw (1886- 1976, santûr), Sâlih b. Shumayyil Shmûli (1890-1960, jôza et santûr) et Yahûdâ b. Moshé Shamâsh (1884-1972, tabla), émigrés en Israël en 1951. Les traditions des familles Bassûn, Cohen, Yûna et al-Kuwaytî restent présentes en Israël. Celle d'Ibrâhîm Adham al-Qilârinetshî (vers 1850-1932) est représentée en Syrie et au Liban. Enfermant quelquefois les cordons ombilicaux de leurs fils aînés dans la caisse de leurs instruments, beaucoup de musiciens souhaitaient ainsi vouer leur descendance à la perpétuation de leur art.

Etroitement liée au mécénat, cette école a bénéficié de l'appui actif de grand commis de l'état, comme Nûrî Saºîd, après la disparition du roi Ghâzî (1939) et l'arrivée au pouvoir du régent °Abd al-Ilâh. Une étiquette rigoureuse préside au déploiement de cette musique, initialement engendrée par un cérémonial de cour. L'aspect populaire de certaines interprétations ne fait qu'en rehausser l'intérêt et en montrer l'extraordinaire impact. Naºîm Kattân a évoqué dans Adieu Babylone les arcanes de cette société traditionnelle.

Très tôt organisés en guildes, les musiciens mésopotamiens ont mené par ailleurs plusieurs batailles pour sauvegarder leurs droits auprès de la radiotélévision irakienne. Grands voyageurs, ils ont importé dans leur patrie des mélodies, des modes et des techniques qu'ils avaient pu apprécier ailleurs. Tour de Babel modale, leur esthétique peut être analysée sur près d'un millénaire et demi, grâce à toute une série de traités acoustiques, théoriques, pratiques et historiographiques. Poètes, ils ont laissé à la postérité des vers qui ne sont pas tous de mirlitons, souvent incorporés dans des répertoires anonymes anciens. On les décrypte difficilement, car ce sont généralement des chronogrammes ou des anagrammes qui supposent une science mystique de l'alphabet et des chiffres, jointe a beaucoup d'humour.

Contrairement aux autres traditions, les chanteurs du maqam sont appelés qâri' (récitant), comme les cantilleurs du Coran, sans doute pour rappeler la part sacrée de leur art. Des suites vocales sont interprétées au cours des rituels d'invocation de Dieu (dhikr-s), accompagnées de danses: la Mésopotamie n'est-elle pas la patrie des tarîqa-s (confréries) Qadiriyya et Rifâºiyya? Il y a dans la voix d'al-ºAzamî des vibrations qui rappellent les rituels des confréries sunnites et les commémorations du martyre de Husayn à Karbalâ' (Ardu l-karbi wa-l-balâ', la Terre de la Souffrance et du Malheur).

De spectaculaires déploiements de foi ont toujours lieu à la GrandeMosquée/Mausolée d'al-Kâzimayn à Bagdad, où les fidèles interprètent, travestis, la taºziya (mystère chiite). Ils mutilent leurs crânes, leurs dos et leurs ventres en cadence, accompagnés par le cliquetis argentin des chaînes, le vrombissement infernal des pointes cloutées et le souffle tranchant des yatagans. Aux fulminations sans appel de tous les théologiens et jurisconsultes répond ironiquement la vieille et terrible sentence: "L'esprit triomphe du corps des douleurs, de la vile matière et de la perpétuelle souffrance" (Ghalabati r-rûhu s-saniyyatu l-'âlâma sh-shadîdâti wa-l-lahma d-daniyya wa-l-ºadhâba l-'alîma). Ce n'est donc pas par hasard que la Mésopotamie est la Terre de l'Ordalie et du Talion, la patrie immémoriale des soufî-s, des derviches et des faqîr-s. Le nom même du pays (ºIrâq) évoque l'exsudation (°araq) de deux fleuves fécondateurs par tous leurs pores d'un désert redoutable, générateurs de marais, d'étangs, de lacs on se réfugient les marginaux et les traditions rebelles des autres âges. Wilfrid Thesiger a très bien décrit la vie traditionnelle des Arabes des Marais et leurs légendes de brumes où apparaissent les cités anéanties d'autrefois, telle Iram à la colonne qui ne crut pas au message divin et fut engloutie par les enfers. Les rituels mystiques finissent généralement par des éclats de rire, dans l'espérance de la Résurrection et de l'épectase angélique, tant promises par le Maître du Paradis, le pseudo-Aristote et son fantasque scribe lombard Umberto Eco.

C'est en Iraq, dans la ville nouvelle d'al-Wâsit, qu'est née vers le VIIIe siècle apJC la forme poétique du mawâliyâ, devenu mawwâl, chant de déploration des seigneurs arabes par leurs servants non-arabes, esclaves ou affranchis. Sur des mètres spécifiques ne respectant ni la déclinaison, ni la syntaxe coranique ou classique, ce genre fut appelé à un grand avenir dans la littérature arabe. Entrée dans la musique savante, l'abûdhiyya (littéralement abû l-adhiyya, "l'homme tourmenté") est au départ une forme populaire de chant mésopotamien sur des mètres et des modes spécifiques, à partir d'un quatrain de vers souvent à double entente, à trois rimes presque homophones et homographes. Le dernier vers finit invariablement sur le phonème invariable "-yyâh". Les poètes y décrivent généralement les douloureux tourments de la passion. Un vers d'arabe classique est récité, presque recto tono. Un quatrain dialectal le suit, glose sur sa signification et expose le mode. Des supplications et des interjections enrichissent la trame sémantique et ouvrent la voie aux modulations. Au commentaire poétique correspond donc un commentaire mélodique que ponctue le bourdon (al-anîn, en dialecte wanné) d'un choeur a cappella, prolongeant la résonance et préparant les envolées mélismatiques du récitant. La ºatâba est aussi un quatrain, mais sur des mètres propres, un ordre de rimes généralement en aaab, finissant par le phonème "b" et ponctué par le refrain "yâ bâh" (ô père). Des expressions traditionnelles sont placées en début des septains ou des quatrains : "Men yôm forgâk" (Depuis le jour de ton départ), "Y'à zên el-'awsâf" (Toi dont la beauté est parfaite), "Yâ man bihusnak" (Toi dont la beauté), "Lî khillatan" (J'ai un ami) etc... Certains poèmes sont très difficilement décryptables, car seuls leurs auteurs en maîtrisent le sens. La pudeur bédouine, les vendettas tribales et le prix du sang expliquent cette réserve naturelle.

Les compositions modales sont séparées par des pasta-s (du persan lien), quatrains avec refrain. Ce sont des transitions où intervient un choeur. Leur fonction est d'abord de reposer le récitant, que le maqam contraint à d'incessants tours de force. Du point de vue de l'économie de la suite, les pasta-s constituent une essentielle détente, une catharsis. Ils sont toujours rythmés, chantés en dialecte ou en arabe standard, généralement gais ou ironiques, quelquefois lestes ou érotiques, faisant ample usage de la fatrasie et de références à des beautés légendaires et à des lieux symboliques. Traitant à l'occasion des événements politiques, elles manient la satire et l'ironie avec brio. Considéré au départ comme un chant de femmes, il a été rapidement revendiqué par les hommes, mais au-dessus du choeur une voix aigüe lance traditionnellement l'octave en souvenir de ses origines. On retrouve ces caractéristiques dans la musique savante maghrébine.

Tant de paramètres suggèrent une structure capable d'auto-préservation et d'autogénération, une incroyable machine aux interactions dialectiques qui traverse les siècles, les empires, les peuples et les artistes: toujours différente, toujours semblable. Bagdad peut naître du néant de la tourbe, céder par traîtrise aux Mongols, devenir une bourgade ottomane, ressusciter au siècle du pétrole: sa musique survit et s'impose. Par-delà, on devine Ûr et Abraham, Uruk, l'écriture cunéiforme et les totems, Ninive et sa débauche, Akkad et la création du Shiºru, sans doute premier poème contenant rimes et mètres, Babylone la Grande Prostituée, la Porte des Dieux et ses tablettes d'argile, les Dieux vengeurs de Sumer et leur encens, les exorcismes sanglants et les sacrifices humains, Sémiramis et les Jardins Suspendus, Ctésiphon et son arche, Hammourabi et son code, Nabuchodonosor le guerrier, Assurbanipal et ses montagnes de victimes, Assurhaddon et ses otages, Sargon et ses sbires, Xerxès et ses légions, Artaxerxès à la conquête de la Grèce, Esther, ses rouleaux et les Exilés, les Chosroés et leur stupre, les Barmécides bouddhistes et la déploration de leurs serviteurs, les Abbassides et leurs oriflammes noirs, al-Muqanna°, le Cagoulé et les Ghulât, les sectes extrémistes chiites, les Mille et une nuits et la malheureuse Schéhérazade, les bas-reliefs hiératiques où les cithares, les flûtes et les tambours étaient déjà représentés. En 1951, avec la déportation en Israël de nombreux musiciens juifs, orchestrée par le régime monarchiste irakien allié de l'Occident, un vide s'est imposé, rapidement comblé par la présence des hymnodes musulmans et des chantres chrétiens. A partir de quelques leçons de Pataw et de Shmûlî, les instrumentistes musulmans retrouvèrent les gestes immémoriaux, aidés par les enregistrements discographiques et radiophoniques. La Voix démontre ainsi sa capacité de génération et de renouvellement de la musique instrumentale. Constamment sous-tendue par un appareil d'état sophistiqué et impérial, cette structure a été régulièrement l'objet d'un mécénat exigeant et généreux.

Le maqâm d'Irak a profondément évolué au cours du XXe siècle, conformément aux mutations de la société. Il a été diffusé en Mésopotamie du Sud et a connu des influences égyptiennes, syriennes, libanaises et occidentales. Nâzim al-Ghazâlî a popularisé jusqu'en Tunisie le chant de Bagdad. Par nationalisme, poèmes et termes étrangers ont été occultés. Un académisme est né, en partie dû aux efforts de pédagogues, tels le shaykh °Alî al-Darwîsh al-Mawlawî d'Alep (1872-1952), le luthiste al-Muhyî al-Dîn b. Haydar Targan d'Istanbul (1892-1967), parent de la famille royale hachémite, le spécialiste des muwashshahât Rûhî al-Khammâsh de Palestine, Hâshim Muhammad al-Rajab (1921) et Munîr Bashîr (1932) d'Irak. Certains musiciens turcs furent consultés: Refik bey Fersân (1892-1965), Mes'ûd Cemil bey Tel (1902-1965) et Necdet Varol (1924). Des experts soviétiques de l'Azerbaïdjan et du Tadjikistan furent invités, de même que l'historien tunisien Sâlih al-Mahdî et le musicologue Jacques Chailley L'état a pris en charge la sécurité et la retraite des musiciens. Des institutions remplissent le rôle des mécénats traditionnels. Les anciens cafés (°Azzâwî, Qaddûri al-°Aysha, Shâhbandar et bien d'autres) sont reconstitués au Musée de Bagdad. Les luthiers sont encouragés et subventionnés. Le solfège et l'informatique musicale ont été admis. Des séries télévisées ou radiophoniques ont été tournées et amplement diffusées. Des manuels d'enseignement avec cassettes et vidéos, des anthologies de poèmes et de compositions modales, mesurées ou non, sont parus. Des compagnies commerciales diffusent les enregistrements de la première moitié du XXe siècle, y compris les cylindres et les enregistrements phonographiques sur fils Marconi. Dés 1978 Intisâr Ibrâhîm Muhammad a continué le travail bibliographique entrepris (Masâdir al-Mûsîiqä al-ºlrâqiyya 1900-1978, les Sources Bibliographiques de la musique irakienne 1900-1978, Bagdad, 1979). A partir de 1971, de sérieuses enquêtes de terrain ont enfin mis à jour la complexité et la diversité de tous les instruments de musique d'Irak ("Les instruments en Irak et leur rôle dans la société traditionnelle", Scheherazade Hassan, Mouton éd. & Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, en langue française, 1980). Anwâr Subhî Rashîd continue sa prospection musicale de l'Antiquité mésopotamienne.

Diverses tentatives de reconstitution de la musique sumérienne ont eu lieu, à partir de lectures divergentes de tablettes cunéiformes. Des colloques, congrès et festivals sont organisés régulièrement. Des orchestres symphoniques ont été constitués, mais la musique commerciale n'a jamais abandonné ses droits. L'opprobre n'est plus systématiquement lancé aux artistes et la musicophobie recule. De grands dignitaires de l'état sont des luthistes émérites, des chantres d'église et des mécènes dévoués, soutenant les recherches et les publications musicales. Le piratage des droits d'auteur est sévèrement combattu. La presse tient ses lecteurs au courant des événements musicaux mondiaux. La communauté juive d'Israël a construit un musée et un centre du patrimoine, munis d'inestimables archives remontant au XIXe siècle. Les communautés chrétiennes ont enregistré et publié leurs liturgies. Les avantages compensent-ils les inconvénients?


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Ancien fonctionnaire de police, Husayn b. Ismâºîl b. Sâlih al-ºUbaydî al-A°zamî est né en 1952 à Bagdad (quartier d'al-A°zamiyya) dans une famille de musiciens. Le grand savoir de son grand-père est cité dans les ouvrages historiques. Son père fut un hymnode célèbre. Il a commencé sa carrière en 1972, en tant qu'hymnode et chanteur profane en interprétant le maqam Penjgâh au Théâtre du Musée de Bagdad, avant de débuter à la radio en 1974, avec les modes Mukhâlif et Hakîmî. Etudiant de musicologie à l'Université de Bagdad et à l'Institut d'Etudes Musicales, il a obtenu ses diplômes en 1979. Al-A°zamî a toujours défendu les couleurs de la musique savante de son pays, tout en cherchant à sélectionner des poèmes proches des préoccupations de ses contemporains. Poète néo-classique, conférencier et critique musical, il a rédigé plusieurs ouvrages qui n'ont pas été édités du fait de la situation actuelle. Il a aussi effectué une cinquantaine de tournées dans le monde avec la Troupe du Patrimoine irakien. Sa rencontre avec J.J. Weiss date de 1986. Ils ont réalisé ensemble plusieurs concerts en Irak et en Europe. Ce disque est son premier CD diffusé en Occident.

Français de mère suisse et de père alsacien, Julien Jalaleddin Weiss (1953) a reçu une formation classique occidentale avant de se consacrer aux traditions orientales. Il a fondé l'ensemble al-Kindî en 1983, en hommage au grand théoricien de la musique arabe Abû Yûsuf Yaºqûb al-Kindî (vers 769-873). Il a été initié au qânûn par les maîtres Kâmil °Abdallâh (Egypte), Hasan al-Gharbî (Tunis), Saadettin Oktenay (Istanbul) et Sâlim Husayn (Bagdad). Il est lauréat du prix Villa Médicis (H.M) pour ses recherches et ses créations en musique arabe, persane, turque et contemporaine (Festival de l'Université Euro-Arabe, Festival de Palerme, IRCAM et Ensemble Intercontemporain). Virtuose du qânûn, il se produit en soliste ou avec son ensemble lors de tournées dans le Monde Arabe, l'Europe, l'Afrique de l'Est, l'Amérique du Nord et le Japon. Disciple et ami de Munîr Bashîr, il a souvent joué avec lui et avec d'autres musiciens de très haut niveau: les chanteurs Lutfî Bûshnâq (Tunis) et Husayn al-A'zamî (Bagdad), les hymnodes Adîb al-Dâyikh (Alep) et Hamza Shakkûr (Damas), les flûtistes Muhammad Saºâda (Tunis), °Abd al-Salâm Safar (Lattakié) et Ziyâd Qâdi Amîn (Damas), le luthiste Muhammad Qâdrî al-Dallâl (Alep) et le percussionniste °Adil Shams al-Dîn (Alexandrie). Musicologue, il a enregistré de nombreux interprètes, tels les hymnodes syriens Hasan al-Haffâr et Sulaymân Dawûd. Enfin, il est l'auteur d'un ouvrage à paraître sur le Qânûn et les théories musicales arabo-musulmanes.

C'est en 1976 que J.J. Weiss a rencontré Munîr Bashîr: ce fut le début de toute une série d'échanges avec de nombreux musiciens irakiens (1985, 1986, 1987, 1988, 1990, 1991 et 1994). Durant ses séjours à Bagdad, J.J. Weiss put recueillir l'enseignement du cithariste Sâlim Husayn et accompagner Husayn al-A'zamî. Ce disque a été enregistré les 15 et 16 avril 1994 au célèbre hôtel al-Rashîd, à Bagdad. Faire connaître la musique irakienne et son esthétique en Occident: tel a été le but de J.J. Weiss, toujours à la recherche de l'inconnu et du beau.

Les cithares remontent à la plus haute antiquité en Mésopotamie. La facture du santûr ou santîr (onomatopée ou terme indien signifiant cent cordes) comporte une caisse en noyer souvent épaisse, des chevilles en bois d'oranger, des clous en fer et des cordes en bronze. Entourés ou non de soie, deux maillets en oranger frappent les quatre-vingt douze cordes regroupées par quatre et déployées depuis la note Yagâh jusqu'au Jawâb Hijâz. Les notes de référence sont déterminées en fonction de l'ambitus du chanteur. Le qânûn a une caisse beaucoup plus fine, ses chevilles sont en bois et ses cordes, autrefois en boyau, sont maintenant en plastique ou nylon filé de cuivre. Il est toujours possible de déposer sur les cordes un tissu très léger en soie pour obtenir un son plus étouffé, presque confidentiel. Fixées par des bagues aux index des instrumentistes, deux plumes d'aigle pinçaient les cordes. Elles sont aujourd'hui remplacées par des baguettes en plastique ou des baleines de chemise. Le nom de cet instrument signifie en grec, comme en arabe, "loi" ou "canon" et démontre l'intérêt que portaient les Arabes aux penseurs de l'Antiquité grecque et à Pythagore. Rapporté en Europe lors des croisades, le qanûn est cité par Guillaume de Machaut dans son poème la Prise d'Alexandrie (XIIIe siècle). On suppose qu'il a, moyennent l'adaptation d'un clavier, engendré le clavecin et le piano.

Le taqsîm (division en arabe) est l'exposition des caractéristiques d'un mode grâce à la division en cellules et formules mélodiques. Toujours improvisé en solo, il constitue une introduction ou une transition. Surgi sans doute au XVIIIe siècle, ce terme désigne une pratique très ancienne. Il a sans doute été généré par les servants d'origines très diverses de la cour ottomane et très tôt diffusé par les pélerins et les voyageurs. Très compliqué, quand il s'agit d'une improvisation, il ne supporte pas les phrases stéréotypées et les clichés d'école où se complaisent tant de qânûnistes, imitateurs béats des égyptiens Muhammad al-°Aqqâd (1849-1930) et Mustafä Ridâ bey (1884-1950), théoricien des sillets à quarts de ton égaux dans son traité sur le qânûn, rédigé avec une introduction du moderniste Mahmûd Ahmad al-Hifnî (1940).

Improvisées ou semi-improvisées, dix formes le génèrent : al-mujarrad (solo) dans le cadre purement instrumental, al-istiftâh (introduction au chant où il s'agit de poser le mode principal), al-muqaddima (introduction pour des modulations instrumentales et vocales), al-muhâsaba (responsa instrumentale pour l'accompagnement du chant), al-murâfaqa (accompagnement instrumental), al-rajºa (retour au mode principal après les modulations), al-taswîr (transposition des modes et modulations pour l'adapter au chant), al-taqsîm °alä îqâ° (improvisation mesurée, rythmée ou non, en particulier sur la ritournelle appelée autrefois al-dûlâb al-baghdâdî), al-tahmîla (semi-improvisation instrumentale où chacun des musiciens du groupe se livre à une prestation), al-taslîm (conclusion avec retour au mode principal). J.J. Weiss et M.H. Gamar donnent un exemple de chaque taqsîm au cours des enregistrements.

Weiss a livré sa prestation sur un remarquable instrument spécialement conçu pour lui par le luthier turc Egder Güleç et déjà employé lors de ses concerts avec l'hymnode alépin Adîb al-Dâyikh (Poèmes d'amour au Bîmâristân d'Alep, deux volumes, Al Sur-Media 7, ALCD 143 et 144). Ce troisième prototype de qânûn comprend 102 cordes, un chevalet reposant sur 6 peaux de poisson, des cordes de harpe pour renforcer les graves et quinze sillets amovibles (°arabât ou mandal) par corde, permettant modulations et transpositions dans le cadre des échelles modales grecques, persanes, arabes et turques.

Weiss nous démontre la richesse et la complexité des intervalles irakiens, mis à mal par les qânûn-s égyptiens traditionnels, aux sillets (°arabât) et touchers (°afaqât) inadaptés au maqâm irakien. Il a évité les cadences finales (qafalât) du style sharqî (levantin), trop mélodramatiques. Rejetant les expositions stéréotypées, il a rigoureusement exposé sa méthode: reprenant en partie la tradition persane, il a développé un style majestueux d'inspiration archaïque et composé des improvisations fondées sur une hiérarchie modale et un ordonnancement spatio-temporel aux antipodes de la facilité et de l'abandon. Les modes rares n'ont été cités que pour entretenir le souvenir des grands maîtres qui les ont diffusés. Ornements, trilles et batteries sont inspirées des traditions des santûristes Pataw, mais aussi de celles des qânûnistes Yûsif Bedros Aslân (1844-1929), Gabriel Iskandar (1859-1919), Sion Ibrâhim Cohen (1895-1964), Ibrâhîm Dawûd Cohen, Shâwûl Zangî, Shlûmû Shamâsh, le réfugié stambouliote Nûbâr efendi (1880-1954), Yûsif Meïr Zaºrûr al-Saghîr (1901-1986), Khudayr al-Shiblî et Sâlim Husayn. Une influence azerbaïdjanaise peut être notée dans le crépitement de son jeu; nous l'avions déjà remarquée dans la technique du luthiste bagdadien °Azzûrî Hârûn au Congrès du Caire en 1932. Les musiciens irakiens ont d'ailleurs revendiqué cette caractéristique et même remarqué que son origine pouvait être arabe et très ancienne. Tels érudits pourraient noter l'inflexion persane des modes Awshâr et Humâyûn. D'autres insisteraient sur le rappel ottoman de l'Awj. Tous seraient d'accord sur les vibrations arabes du Bayyâtî et du Sabâ. J.J. Weiss poursuit ainsi son opiniâtre entreprise d'exposition et de découverte des esthétiques musicales arabes, si diverses et si méconnues.

"Julien Jalaleddin Weiss est l'ambassadeur français des échanges musicaux. Il est le seul occidental ayant véritablement intégré l'esthétique de l'authentique patrimoine arabe. Il est le pionnier du XXe siècle dans le beau domaine humain de l'interaction musicale" (Munir Bashir, lettre autographe, Paris, le 5 juillet 1994).

al-Qânûn al-Wayssî, Prototype n° 9, Système Julien Jalaleddin Weiss, 1993
DIVISIONS ASYMETRIQUES DE L'APOTOME


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Né en 1959, Muhammad Husayn Gamar est diplômé de musicologie (Institut d'Etudes Musicales et Faculté des Beaux-Arts de l'Université de Bagdad, 1980). Auteur, compositeur et professeur de jôza à l'Institut, il est entré dans la Troupe du Patrimoine dès 1976 et a participé à de nombreuses tournées régionales et internationales. Il est considéré comme le successeur des grands interprètes d'autrefois (Abd Salîm Nâhûm Yûna 1878-1955, Sâlih Shumayyil Shmûlî, °Azzûrî Hârûn, Ephraïm Bassûn, Husayn °Alî al-Naqîb et Shuºayb Ibrâhîm Khalîl, dit Shaººûbi) et révèle sa maîtrise de la jôza, instrument difficile par excellence. Elle est posée sur la cuisse droite de l'instrumentiste, s'il est droitier et vice versa. C'est une vièle à pique ou rebec, a quatre cordes frottées par un archet. Elle se compose d'une demie caisse en noix de coco évidée, d'où son nom dialectal jôza (noix). Sa fabrication suppose l'importation de cocos résistantes des Indes, du bois d'abricotier ou d'autres arbres fruitiers, un archet tendu de poils de chevaux, quatre cordes en soie, nylon ou métaux divers, un vernis spécial (spîrto) dont le secret est enfin transmis confidentiellement. L'accordature traditionnelle est °Ushayran, Dûgâh, Nawä, Kurdân (selon l'ambitus du chanteur). Après un prélude libre, la jôza expose généralement une partie mesurée, mais l'accumulation des fioritures, des trilles, des transpositions et des modulations la disloque selon des pratiques traditionnelles. La jôza suit les arabesques des chanteurs dans un dialogue incessant. Elle fournit un son acidulé et nasillard inimitable dans le maqâm et permet au chanteur de toujours situer sa voix dans le mode.

Inventif et brillant, le percussionniste Muhammad Zakî (1960) est diplômé de l'Université de Bagdad et de l'Institut des Beaux-Arts. Il est aussi santûriste, élève du Hâjj Hâshim al-Rajab et de Munîr Bashîr. Il accompagne généralement l'ensemble d'al-ºAzamî en Irak, comme a l'étranger. Il démontre ici son remarquable talent et son don pour la frappe de cycles complexes, dans la lignée de °Abbâs b. Kâdhim Qarah Juwayd (1840-1910), de Hasqîl b. Shûta b. Meïr (1840- 1919), de Hârûn Zangi, d'Ibrâhîm b. °Ezra b. Moshé Shâsha, de Yahûdâ Moshé Shamâsh, d'Ibrâhîm Sâlih, de Husayn °Abdallâh, de °Abd al-Karîm al-°Azzâwî et de Sâmi °Abd al-Ahad. Son instrument, appelé dumbak, dumbukk ou tabla baghdâdiyya est un tambour sur poterie, traditionnellement tendu d'une peau de poisson du Tigre. Certains interprètes préfèrent une caisse en aluminium et une peau en plastique, pour éviter les déformations dues a la chaleur et à l'humidité, mais cette tendance est combattue, car elle dénature la délicatesse de certains cycles et suppose une force musculaire constante et épuisante.



Discographie de J.J. Weiss:
• Al-Kindi: musique classique arabe, Ethnic-Auvidis B6735.
• Shaykh Hamza Shakkûir and the al-Kindi ensemble, WMD-Fnac, WM 332.
• Loutfi Bouchnak et l'ensemble al-Kindî, Al Sur-Media 7, ALCD 113.
• Hamza Shakkûir and the ensemble al-Kindi, World Network-Harmonia Mundi, WDR 427.
• Les Derviches Tourneurs de Damas et l'Ensemble al-Kindi, Ethnic-Auvidis, B 6813.
• Adîb Dâyikh et Julien Jalaleddin Weiss: Poèmes d'amour au Bîmaristan d'Alep, volumes I et II, Al Sur-Media 7, ALCD 143 et 144.
• Adîb Dâyikh et Julien Jalaleddin Weiss: Stabat mater dolorosa, Hymnes à la Vierge Marie, mère de Jésus de Nazareth, à paraître chez Al Sur-Media 7 en 1995.

Discographie:
• Congrès du Caire, 1932, Paris, Ocora-Institut du Monde Arabe, 1987, HM CD 83.
• Munir Bachir, Maqamat, Paris, Maison des Cultures du Monde, 1994, W 260050.
• Irak, Iqa'at, rythmes traditionnels, Paris, Auvidis-Unesco, 1992, D 8044.
• Music of Iraq, Japon, King Record, Seven Seas, 1987, KICC 5104.
• Iraqi Jewish and Iraqi Music, Hakki Obadia, New York, Global Village Music, 1993, CD 147.
• Le Fausset de Bagdad: Rashîd al-Qundarjî, a paraître chez Al Sur.
• Le Rossignol de la Mésopotamie: Najm al-Dîn al-Shaykhlî, idem.
• Petits Maîtres et Grandes Voix: l'Ecole de Bagdad, idem.
• La musique instrumentale irakienne, idem.
• Chants sacrés d'Irak, idem.
• La Déploration du Martyre de l'Imâm al-Husayn à Karbalâ', idem.
• Les hymnes juifs de Babylone, idem.
• Musiciens juifs de Mésopotamie, idem.
• Les musiciennes savantes d'Irak, idem.

Bibliographie en langues occidentales:
• Jamel Eddine Bencheikh: Poétique arabe, Gallimard, 2e édition, 1989.
• Simon Jargy: La Poésie populaire traditionnelle chantée au Proche-Orient arabe, Mouton, Paris-La Haye, 1970.
• Bernard Moussali: Tradition et Modernité, le Congrès de Musique Arabe du Caire en 1932, Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III, 1980.
• Christian Poché: Musiques du Monde Arabe, écoute et découverte, Institut du Monde Arabe, Paris,1994.
• Idem: La Musique Arabo-andalouse, Actes Sud-Cité de la Musique, Arles, 1995.
• Amnon Shiloah: The Musical Tradition of Iraqi Jews, Iraqi Jew's Traditional Culture Center-Tcherikover Publishers, Israël, 1983.
• Idem: Music in the World of Music of Islam, a Socio-Cultural Study, Scholar Press, London, 1995, Wayne State University Press, 1995.
• Idem: Jewish Musical Traditions, Wayne State University Press, 1995.
• Wilfrid Thesiger: Les Arabes des Marais, Pion, réédition 1982.



Enregistrements:

Maqâm Awj (apogée) en si demi-bémol, modulations en maqâm-s Bayyât (ré), Mukhâlif (si demi-bémol) et Mustaºâr (idem), conclusion en Râhat al-Arwâh (Huzâm sur le degré °Irâq): ce mode hiératique à rythme libre et vers classiques constitue le cinquième de la suite en Husaynî et module traditionnellement dans la famille Sikâh, à laquelle il appartient (Sufyân, Hakîmî, Mustaºâr, Mukhâlif, Kirkûk et Âdhirbâyjân). Sa dénomination est très ancienne (peut-être le XIe siècle apJC): on la retrouve en musique ottomane et persane. Ce mode se caractérise par une formule mélodique introductrice (tahrîr) du degré Awj au degré Hijaz, revenant ensuite à l'Awj. La formule mélodique conclusive (taslîm) repose en Râhat al-Arwâh (Paix des coeurs) sur le degré °Irâq, diffusant ainsi sagesse et sérénité. Dûlâb 4/4; taqsîm-s brefs de jôza et de qânûn; qasîda: "Lâ talûmî taºallulî wa-(i)shtiyâqî, inna qalbî asîru yawma t-talâqi" (Ne blâme ni ma passion, ni mon ardeur, mon coeur est otage du jour de notre rencontre), poème attribué à Khidr al-Tâ'î; pasta maqâm Huzâm: "Mâ hann 'alayyâ we-lâ gâl khatiyya" (Il ne m'a pas accordé de merci et ne m'a pas pardonné), mode Huzâm, Jûrjîna 10/16, poème et musique attribués à Muhammad al-Qubbânjî.

Maqâm Sabâ (ré): mode éploré du Vent de l'Est et de l'éclosion des passions déçues, il se fonde sur le degré Dûgâh, utilise le degré rare Rakb (sol demi bémol) et module en Hijâz, Râst et Dûkâh. Nostalgique et mélancolique, il renvoie presque toujours à la tragédie de l'amour non partagé ou usé par le temps, aux affres des meurtres d'amour et des vengeances tribales sanglantes. Sa dénomination est archaïque, remontant sans doute au Xe siècle apJC et diffusée dans tout le monde arabo-islamique. Non mesuré, il peut être transposé sur tout degré. Il module traditionnellement en Jalsa, Mahmûdî, °Abbûsh, Awshâr et Tshahârgâh. Son taslîm s'achève mélancoliquement sur le degré Nawä (la séparation). Une version écourtée est réalisée lorsque l'interprète choisit d'interpréter un poème dialectal au lieu des vers classiques habituels. Dûlâb 4/4; taqsîm qânûn, vers classique glosé par un quatrain dialectal (abûdhiyya): "Wa-mâdhâ bi-Laylä qad hadâ wa-taghayyarat" (Quel deuil a donc atteint Layä et l'a métamorphosée?), vers attribué au cycle de la passion du légendaire Majnûn Laylä (VIIe siècle apJC) et abûdhiyya attribuée à Khidr al-Tâ'î; pasta anonyme ancienne "Yummâ hnâ yummâ" (Maman, au secours, Maman), mode Sabâ.

Maqâm Bayyât, Bayyât al-°Arab ou Bayyâtî (sol): mode solaire, renvoyant aux piyyûtîm hébraïques ou à une tribu kurde mystique et célébré au XIXe siècle sur cylindre par le fausset Ahmad Zaydân al-Bayyâtî, poèmes persans a l'origine avec la dénomination Bayyât al-°Ajam ou Isfahân, modulations en Sabâ (sol), Husaynî, Kurdân, Nawä et Muhayyar. Il fut diffusé au début du XIXe siècle dans toutes les musiques arabes, grâce aux derviches tourneurs Mawlawiyya et à l'Âyîn (rituel de tournoiements) célèbre attribué à Kutshek Dervîsh Mustafä Dede efendî (XVIIe siècle apJC). Fondé sur le degré Dûgâh et transposable sur tout autre, il est généralement récité sur des vers classiques, non mesuré et modulant traditionnellement en Nawä, Tshahârgâh ou Lâwûk, Jalsa et °Ajam sur le degré °Ajam. Son tahrîr se meut entre les degrés Dûgâh et Nawä. Des vers peuvent être récités à partir de l'octave Kurdân. Son taslîm s'achève calmement en Dûgâh. Le récitant peut choisir d'interpréter un vers classique, glosé par un quatrain dialectal et d'écourter les modulations les plus longues. Dûlâb 4/4 ; taqsîm jôza ; vers classique "Jâ'a l-habîbu l-ladhî ahwâhu min safarin wa-sh-shamsu qad aththarat fi khaddihi atharâ" (Mon amour est revenu de voyage, le soleil a laissé une trace de beauté sur ses joues), attribué à al-Akhras al-Baghdâdî et glosé par Khidr al-Tâ'î, wanné (bourdon) par le choeur des instrumentistes; pasta anonyme ancienne "Alla la-sâfer le-l-Hend wa-shûf habîbî" (Oui, j'irais jusqu'aux Indes pour voir mon amour), mode Bayyât, Jûrjîna, suivis par une ºatâba en Bayyât "Ya bû shâºr °alä l-djatfên" (Toi qui laisses flotter tes cheveux sur tes épaules), attribuée au Hâjj Zâyir al-Najafî et une pasta anonyme ancienne "Gûn darrejnî l-mullâya, lâ tkhâf men ahlî we-lâ °mâmî" (Lève-toi et guide-moi vers mon voile! Ne crains ni mon père, ni mes oncles!), mode Bayyât.

Maqâm Awshâr ou Awshârî (la), modulations en maqâm-s Bûsehlîk (do), Bayyât (do) et Mukhâlif (si demi-bémol): appartenant â la famille du Sîkâh, il module traditionnellemnt en Râst, Mansûrî et Kurdân. Il est connu en musique persane, mais renvoie à d'autres formules mélodiques, remontant peut-être à la tribu Afshâr, célèbre pour la beauté de ses femmes, la violence guerrière de ses hommes et la sagesse mystique de ses anciens. Non mesuré et fondé sur les degrés Râst et Sehgâh, il développe son caractère calme et nostalgique grâce â des vers classiques, arabes ou persans. Il emploie abondamment le Mansûrî, le Buzurg, puis revient tranquillement à l'Awshâr après deux montées (mayyâna) à l'octave. Dûlâb en maqâm Saºîdî, Jûrjîna; takhmîs qasîda: "Yâ dhabyatan hâma l-fu'âdu bi-hubbihâ, hal-lâ ra'ayti bi-qalbiya l-majrûhi? Al-hubbu li-l-insâni burºmun min danä" (Gazelle passionnément chérie, as-tu scruté mon coeur blessé? Pour l'homme, l'amour est germe de langueur), poème attribué à Ibn Zurayq al-Baghdâdî, glosé par Muhammad Saºîd al-Hubûbî; pasta anonyme ancienne: "Lêl baºd lêl" (Nuit après nuit).

Maqâm Hijâz Humâyûn (Hijâz impérial): il module en Hijâz (do), Hijâz Diwân, Hijâz Gharîb et Husaynî, atteint le degré rare du Sahm et se teinte de Muhayyar, puis de Bayyâtî grâce à la formule mélodique du Qazzâz. Mode lunaire ou martial, il appartient à la famille du Hijâz Diwân, se fonde sur le Tshahârgâh, se transpose sur tout degré, il est non-mesuré et récité sur des vers arabes classiques d'inspiration guerrière, sapientale ou léthale. Son tahrîr est en Tshahârgâh, Nîm Hisâr, Nawä et Hijâz. Son taslîm revient au Hijâz et répand la longanimité, la quiétude et les voyances intérieures ou prémonitoires. Dûlâb 3/4; qasîda: "Tawazzaºani hammu man ahbabtu wa-mâ innahum fi-l-qalbi sakanu t-tayri" (Le mal d'amour m'a déchiré et mes bien-aimés ne sont pas les anges gardiens de mon coeur), poème attribué à Maºrûf al-Rusâfî; pasta anonyme ancienne, mode, Jûrjîna: "El-yom eloh yômén mâ marr °alayya" (Aujourd'hui cela fait deux jours qu'il n'est pas passé me voir).

Maqâm Penjgâh ou Râst Penjgâh (Mode droit sur le cinquième degré): il module en Râst (fa), Râshîdî et Penjgâh. Fondé sur le Tshahârgâh, non mesuré, il est récité sur des vers classiques arabes. Sa dénomination est très ancienne, retrouvée en milieu persan, vers le Xe siècle apJC, mais recouvre des formules mélodiques très différentes. Son tahrîr part lentement du Tshahârgâh, sa mayyâna utilise ensuite machiavéliquement le Hijâz sur l'octave du Kurdân, puis repose sur la Jalsa et conclut enfin calmement sur le Tshahârgâh. Mode de la témérité, il est relié à la force impétueuse, à la vigueur virile, à la chance constante, aux noces abouties avec des vierges fécondes et aux triomphes guerriers des sultans invaincus. Taqsîm qânûn; Dùlâb, Nusf Wahda, 4/4; qasîda: "Matä naltaqîi mithla dhâka l-liqâ? Ayna ? Qûlî bi-haqqi s-samâ!" (Quand donc nous rencontrerons-nous? Où? Dis-le, au nom du Ciel!), poème attribué à al-Akhras al-Baghdâdî; pasta: "Qaddem lî burhânak" (Présente-moi les preuves de ton amour), Sankîn Samâºî 10/16, composition et paroles attribuées à Muhammad al-Qubbânjî.

Bernard Moussali,
professeur agrégé d'arabe à l'Université de Paris-Sorbonne (Paris IV) et membre de l'URA 1077 du CNRS.