Ocora Radio France
C 558656 HM 90
Festival de Lille, 6.11.1983
L. Subramanian, violon carnatique
V. Kamakalar Rao, mrindangam
Viji Subramanian, tambura
RAGAM, TANAM, PALLA VI Raga Kalyani, Tala Ektal: 53'21
Enregistrement numérique réalisé le dimanche 6
novembre 1983
à l'Hôtel de Ville de Marcq-en-Baroeul,
dans le cadre du Festival de Lille, par Philippe Pelissier.
Direction artistique et notice originale: Aimée-Catherine
Deloche,
Distribution harmonia mundi
Novembre 1985, Paris.
Collection dirigée par Pierre Toureille
RAGAM, TANAM, PALLAVI
Raga: Kalyani
Tala: Ektal (cycle de quatre temps)
Compositeur: L. Subramaniam
Raga Kalyani (65ème des 72 échelles de base ou
«melakartas»)
Gamme ascendante: do, ré, mi, fa#, sol, la, si, do
Gamme descendante: do, si, la, sol, fa#, mi, ré, do
Ragas du raga-malika
1) SATYAPRIYA
Gamme ascendante: do, mi, fa, sol, si b, do
Gamme descendante: do, si b, sol, si b, la b, sol, fa, mi, sol,
ré b, do
2) DESH
Gamme ascendante: do, ré, fa, sol, si, do
Gamme descendante: do, si b, la, sol, fa, mi, ré, si, do
3) RAMAPRIYA (52ème des 72 échelles de base)
Gamme ascendante: do, ré b, mi, fa #, sol, la, si b, do
Gamme descendante: do, si b, la, sol, fa #, mi, ré b, do
RAGAM, TANAM, PALLAVI
RAGAM: Improvisation mélodique sur un tempo libre qui
révèle les différents aspects et la beauté
du raga. Au cours de ce développement, le soliste expose le raga
par étapes. Dans ce type d'improvisation, le mridangam reste
silencieux.
TANAM: Autre style d'improvisation. Bien que
développé sur un rythme libre, il introduit un
élément de pulsation rythmique. A chaque fin de phrase,
une figure de cadence rythmique stéréotypée est
utilisée pour indiquer la fin de la phrase ou de la section.
PALLAVI: Il s'agit d'un court thème mélodique
composé sur des paroles et fixé habituellement sur un
cycle du tala. Ce thème est joué deux à trois fois
sous sa forme simple, afin que l'accompagnateur ait le temps de se
familiariser avec lui. Le percussionniste fait son entrée au
début de cette section. Le pallavi comporte les traits
principaux suivants :
Neraval: Cela signifie littéralement:
«remplir ou étendre», en d'autre termes, combler
certaines parties de phrases du pallavi avec une musique nouvelle,
spontanée et créative. Le soliste improvise de nouvelles
mélodies construites autour des paroles du pallavi et
fixées d'après le tala.
Tri-kalam: Dans cette section, la phrase du pallavi est
jouée sur trois tempi en maintenant constamment le tala: deux
fois plus lentement que le tempo originel et deux fois plus rapidement.
Swara-kalpana: Cette section improvisée accompagne
l'énonciation par le percussionniste des solfa-syllabes (swaras
ou notes) à une vitesse moyenne et rapide. Chaque phrase du
swara-kalpana reprend le vers du pallavi.
Raga-malika: Le pallavi se termine par le ragamalika,
littéralement «guirlande de ragas». Le soliste
improvise librement sur différents ragas et à la fin de
chaque raga, revient au thème rythmique du pallavi originel.
Subramaniam, le violon près du cœur (tiré
d'un entretien avec l'artiste)
Subramaniam, le violon de l'Inde du Sud, le Paganini de la musique
carnatique, c'est la sérénité du musicien indien
doublé du magnétisme de la star occidentale. Sans cesse
propulsé de Tokyo à Paris, de Delhi à Los Angeles
(il ne reste jamais plus d'une semaine en place) il a conquis tous les
publics par l'élégance et la virtuosité de son
jeu. Sa carrière d'enfant prodige le confronte dès
l'âge de huit ans aux plus illustres musiciens et, très
vite, il s'impose comme le maître du violon classique -
sacré à quinze ans «violon Chakarvati: empereur des
violonistes». Sa virtuosité étonne les plus grands
du jazz: Herbie Hancock, Larry Coryell, ou Stéphane Grapelli,
avec lesquels il a souvent échangé des notes. Sa
curiosité musicale insatiable fait feu de toute technique (il en
a remontré à plus d'un ingénieur du son), de toute
forme (il a joué du Kagel, ou composé, plus
récemment, pour formation classique), de toute nouvelle
expérience (il a conseillé Peter Brook pour la conception
musicale de son «Mahabharata»). Cette ouverture totale sur
le monde, ce talent polymorphe, cette maîtrise technique trouvent
cependant leur plus véritable expression au service de la
musique classique de l'Inde du Sud, la tradition qu'il a
héritée d'une longue lignée de violonistes.
«Dans mon enfance cinghalaise, à la maison, ma mère
chantait et jouait de la vina. Mon père était violoniste.
Dès que j'ai eu deux ans, il s'est écrié avec
fierté: »il peut chanter«. Déjà je
répétais les notes, j'harmonisais. Plongés dans
cette atmosphère musicale, mes frères, mes sœurs et
moi, nous apprenions inconsciemment. D'ailleurs, à cette
époque, je ne me souviens pas d'être jamais sorti pour
m'amuser. Nous avions une stricte discipline de vie. Sitôt
levés le matin, nous nous mettions à jouer du violon. Mon
père nous expliquait alors certaines subtilités
techniques et nous essayions de les assimiler aussi vite que possible.
C'était nos jeux à nous. Tant que nous n'avions pas
maîtrisé le phrasé musical, nous avions une
désagréable impression d'inaccompli, nous ne pouvions
être en paix. Le soir, nous nous asseyions tous ensemble et mon
frère aîné Vaidyanathan jouait. J'étais
alors tout petit et lui se produisait déjà en public.
Tout comme mon père, il était mon idole. Il exacerbait
mon désir de jouer, d'apprendre les compositions classiques,
d'improviser. D'épreuves en épreuves, c'est ainsi que je
progressais. Avec mes frères et sœurs, nous n'en avions
jamais assez. Jamais un jour sans travail. Toujours un détail
nouveau sur lequel s'attarder. La musique est un vaste océan et
personne ne peut prétendre tout connaître. Plus on en
sait, plus on s'aperçoit qu'on ne sait rien. C'est une
quête éternelle. Le sentiment profond d'un raga, par
exemple, sa qualité émotionnelle, sa coloration, tous ses
aspects doivent être reconnus, ressentis. Tout cela
intériorisé, il est possible d'en apprendre un autre. Un
raga, ce n'est pas seulement une succession de notes: il y a un
au-delà, une abstraction qu'il faut faire vivre: la saveur, la
couleur, le contour. On peut voir un chat, un éléphant,
un chien sous des angles différents, ce sera pourtant toujours
un chat, un éléphant, un chien. Il y a tellement
d'aspects qui contribuent à donner au raga sa forme aboutie.
C'est un processus infini».
«En 1958, il y a eu des émeutes à Ceylan avec la
communauté tamoul et un soir, nous avons réalisé
qu'on allait nous attaquer. Alors nous avons fui en laissant tout
derrière nous pour rentrer en Inde. La seule chose que mon
frère ait emporté, c'est un violon dont la boîte
protège encore mon violon actuel».
Quittant Ceylan, Subramaniam et sa famille s'installent à
Madras: une autre atmosphère musicale, plus ouverte sur le
monde, celui du célèbre festival, celui aussi des
concerts mensuels. Avec son frère Shankar, son cadet de trois
ans, et Vaidyanathan, son aîné de cinq ans, il forme un
trio qui devient d'année en année l'une des attractions
du festival de Madras. Séduit par le «trio», Palghat
Mani Iyer, le plus grand des mridangistes forme avec eux un groupe qui
parcourra l'Inde entière et, en 1977, quinze ans plus tard, les
Etats-Unis.
Passionné de musique, Subramaniam l'est aussi par la science. Il
fait des études de médecine, sans oublier les concours
musicaux - ce qui lui vaut le Prix du Président de la
République - et se perfectionne encore en apprenant par
correspondance l'homéopathie, la médecine
ayurvédique (médecine traditionnelle indienne) et la
théorie musicale occidentale. Travaillant très tard, il
dort de moins en moins. «Tu es fou» lui dit son père
sidéré par le rythme auquel il s'est habitué. A la
fin de ses études médicales, il a néanmoins
décidé de consacrer sa vie à la musique.
Les nombreux albums «East-West» qu'il a enregistrés
depuis avec John Handy, Herbie Hancock, Stanley Clarke, Larry Coryell
ou Stéphane Grapelli ne sont pour lui que le fruit d'une
rencontre, l'exploration d'un «no man's land» entre deux
systèmes musicaux. Un goût qu'il a développé
après son arrivée aux Etats-Unis pour enseigner à
l'Université de Cal Arts, lorsque Ravi Shankar lui a
demandé de participer à sa tournée de 1973 avec
George Harrison et vingt autres musiciens. Depuis 1983, il ouvre
d'autres frontières, celle de la tradition classique. Le
«Double concerto pour violon et flûte» allie gammes
occidentales et micro-intervalles. «Spring Rhapsody» est un
hommage polyrythmique à Bach et à la musique baroque. Ses
visions de compositeur associent les éléments compatibles
entre musique orientale et occidentale, un travail qui se situe en
marge de sa démarche première de musicien classique de
l'Inde du Sud.
«J'ai voulu remonter aux sources de la tradition carnatique, y
remonter comme on remonterait un fleuve. C'est à l'origine une
musique d'improvisation. Des saints-compositeurs comme Thyagaraja se
rendaient au temple pour y chanter spontanément ce qui plus tard
s'est cristallisé sous la forme d'une composition fixe, un
'kriti'. C'est d'après ce poème chanté et dans son
raga que l'on improvise. Au début du siècle, des
maîtres comme T. N. Rajarathanam au 'nageswaram' (hautbois de
l'Inde du Sud) jouaient 4 ou 5 heures le même raga. On imagine
leur degré d'habileté! Puis le concert s'est
normalisé, on s'est mis à jouer de plus en plus de
compositions, on a créé la notion de répertoire.
Cela se justifie dans la musique vocale, car tout le monde peut
comprendre les poèmes. C'est différent pour la musique
instrumentale. Aussi, mon premier souci a été de
transformer la fonction du violon, de ne plus le limiter au seul
soutien de la voix. J'ai voulu au contraire utiliser toute la
potentialité de l'instrument, soit 5 à 6 octaves, au lieu
des 2 à 3 habituellement utilisés dans les compositions,
pour développer des ragas peu connus pendant une heure ou une
heure et demie. C'est pourquoi je ne joue que deux à trois
compositions en concert. C'est beaucoup plus gratifiant, je peux
m'investir totalement dans la musique, 'rentrer totalement dedans',
approfondir. Et pour cela, le temps est un facteur déterminant.
«L'origine du violon est très controversée.Mais le
violon carnatique remonterait à 3000 ans avant J.-C. Un
instrument à archet était déjà
mentionné dans les textes du Ramayana. Il aurait
été perfectionné par les Occidentaux et
rapporté en Inde, à Mysore, au XVIIème
siècle, certains disent par les Anglais, d'autres par les
Portugais. L'instrument a toujours souffert de la comparaison avec le
violon occidental qui, lui, possède un répertoire propre.
La différence, c'est la liberté d'interprétation,
incompatible avec le jeu sur une Sonate de Bach. Chaque école de
musicien, de père en fils, a ajouté sa coloration, son
propre parfum, aux compositions des grands saints poètes comme
Muttuswami Dikshitar ou Shyama Shastri. Il y a toujours liberté
de l'artiste. J'ai pris celle de transférer des techniques
appartenant à d'autres instruments. Avec la vina, si on veut
jouer 5 à 6 notes par temps, dédoubler ou multiplier la
vitesse, on marque le temps du petit doigt de la main droite sur la
corde du tala. Sur le violon, je joue la mélodie avec 2 ou 3
doigts de la main gauche, pendant qu'avec les 1 ou 2 doigts restants,
j'indique le tala au percussionniste, ou je crée des
polyrythmes. Je combine aussi un pizzicato avec certain doigts de la
main droite afin de créer l'illusion de 4 ou 5 lignes
mélodiques. J'ai développé également
d'autres techniques comme jouer la note la plus aigüe ou la plus
grave possible avec son ornementation, faire des glissandi sur 2
à 3 octaves, ou encore jouer au ralenti, ce qui demande un
contrôle total de l'assise de l'archet; j'ai voulu aussi
créer des ragas et des compositions mettant en valeur toutes les
possibilités de cet instrument sans frettes qui permet
d'infléchir ou de microtonaliser toute note. Et dans notre
musique, choisir l'ornementation d'une note, l'oscillation
appelé 'gamaka' et la placer à un moment donné
afin de produire un effet sur la sensibilité, c'est une
manière de sublimer la technique par
l'expressivité.»
Si Subramaniam réinvente le violon en élargissant ses
possibilités techniques, il le fait en s'appuyant sur la
tradition. C'est bien là tout le secret de cette nouvelle race
de musiciens indiens, qui, à l'exemple de Ravi Shankar, ont su
réussir l'alliance entre authenticité et modernité.
Aimée-Catherine Deloche